Des capuches recouvraient leurs visages mais il s’agissait d’un homme et d’une femme à terre, en pyjama et chemise de nuit. Ils avaient les pieds et les poings liés avec du scotch renforcé. Ce qui ressemblait à l’impact d’une balle avait éclaté leur crâne et le mur en était moucheté en dépit des capuches. Ils gisaient le buste incliné l’un contre l’autre, les jambes souillées d’excréments. Mc Cash eut un haut-le-cœur en soulevant les capuches — il ne connaissait pas l’homme bâillonné mais la femme était Gaétane Plabennec, qu’il avait croisée l’autre soir. Tous les deux avaient été sauvagement battus.
Mc Cash vida ses poumons, expulsant la peur qui lui coupait les jambes — Alice… Ne pas penser. Il quitta le réduit et se dirigea à pas de velours vers l’escalier qui menait à l’étage — ils étaient là-haut. La lumière de la cave s’alluma en grand.
Saholy descendit les premières marches, poussée par un homme corpulent qui la tenait par la racine des cheveux. Elle était bâillonnée, les mains dans le dos, et son visage terrorisé pissait le sang. Ils tombèrent nez à nez. La métisse voulut aussitôt se jeter dans l’escalier mais l’homme la tira vers lui et plaqua le canon d’un revolver sur sa tempe. Saholy comme bouclier, il éructa dans sa langue, intimant au borgne de lâcher son arme tout en appelant son partenaire à l’étage.
Mc Cash tira à bout portant, une balle de .38, qui lui perfora la pommette. Propulsé contre les marches, l’homme lâcha Saholy : elle s’écroula sur le béton froid de la cave. La poudre faisait presque oublier l’odeur de merde : Mc Cash grimpa l’escalier à toutes jambes, piétina au passage le corps sans visage et jaillit dans le couloir. Le sifflement caractéristique d’un silencieux claqua sur sa gauche, pulvérisant l’arête du mur. Il bondit face à lui, se réfugia dans les toilettes, haletant. La lumière tamisée du salon éclairait faiblement le couloir : l’ennemi était dans l’entrée. Mc Cash n’avait plus qu’une idée : le réduire à néant.
Un nouvel impact fit voler le plâtre à quelques centimètres de son bandeau.
— Sors de là ou je tue la fille ! cria la voix.
Alice couina à l’autre bout de la pièce. Mc Cash tira deux balles dans l’embrasure de la porte vitrée du salon, qui vola en éclats, et s’élança vers la cloison de placoplâtre. Le tueur tapi dans l’ombre jaillit à son tour et vida son chargeur, ratant sa cible mouvante qui venait de contourner le mur : Mc Cash tira à travers la cloison de placo, trois coups en aveugle. La première balle toucha le jerricane posé sur le fauteuil, qui prit feu aussitôt, la deuxième toucha l’homme au poumon, la troisième rata de peu sa gorge. Projeté par l’impact, il recula contre le mur mais n’avait pas lâché son arme.
Une fumée âcre emplissait le couloir. Quand Mc Cash se précipita dans le salon, l’homme visait Alice, cachée derrière le canapé : une deuxième balle lui troua le ventre. Il tomba sur le sol en feu, se tordit dans un râle.
Alice tremblait de peur derrière le sofa. Mc Cash jeta un œil mauvais sur l’homme à l’agonie — le trou dans son ventre ne lui laissait aucun espoir —, poussa du pied le Smith & Wesson et vint enfin auprès de la petite.
Elle ne portait qu’un tee-shirt trop grand qui avait dû appartenir à sa mère et un regard qui hurlait en silence.
— On ne va pas rester là, dit-il doucement, pour ne pas l’effrayer. Il faut que tu te lèves.
Trop choquée pour pleurer, Alice ne bougeait pas. Elle était une poupée de plomb.
— Allez viens, dit-il en lui prenant le bras.
Il y eut un bruit de crépitement dans son dos et une forte odeur de brûlé. Le feu avait pris aux rideaux et aux papiers peints dégueulasses. Mc Cash dressa Alice sur ses jambes et, sans lui laisser le temps de réfléchir, lui dit de s’habiller en vitesse. La gamine grimpa dans sa chambre, livide.
Mc Cash fouilla les poches de l’homme qui venait de mourir, recroquevillé sur le tapis, trouva des papiers dans un portefeuille — ceux d’un certain Grégoire Marcus. Le tampon était celui du ministère des Armées…
Le feu gagnait dans le salon — la moquette et les tapis en acrylique prenaient comme des torches nauséabondes. Trop tard pour s’en occuper. Les voisins, les pompiers, tout le monde allait arriver. Ils n’avaient pas une seconde à perdre… Alice descendit, un jean et un pull sur le dos : Mc Cash l’attrapa par la main, décrocha son anorak bleu du portemanteau et fila par la cave.
Le type dans l’escalier correspondait au signalement de l’homme entrevu chez Le Guillou, du moins dans son souvenir. Il obligea Alice à détourner les yeux — la balle lui avait emporté la moitié du visage.
L’homme avait un passeport ukrainien, un couteau de guerre semblable à celui qui lui avait entaillé la main et un nom : Papertis… Leur véhicule devait être garé quelque part en bordure du lotissement mais il n’avait pas le temps de se lancer à sa recherche. Alice s’était portée au secours de Saholy, qui gisait au pied des marches, entravée : des larmes avaient coulé sur son visage poisseux, elle faisait peine à voir. Mc Cash la libéra d’un coup de canif. Elle avait la tête cabossée après sa chute et une vilaine blessure au nez — le sang avait coulé dans son cou…
— Il faut qu’on file, lâcha-t-il avant qu’elle ait pu dire un mot. Tout de suite.
*
Le ciel blanchissait à l’horizon. Sur le siège passager de la Clio, Saholy avait du mal à reprendre ses esprits.
— Tu aurais pu me tuer tout à l’heure, dit-elle.
Le projectile l’avait frôlée.
— Ces types sont des militaires, dit-il, des tueurs professionnels : il m’aurait tué aussitôt avant de te loger une balle dans la tête.
— Comment peux-tu en être sûr ?
— Tu veux qu’on demande aux Plabennec ?
Ça la calma un peu.
La Clio envoyait des gerbes de pluie grise : ils fonçaient sur la quatre-voies détrempée, la plupart du temps sur la file de gauche, évitant les camions. La circulation était dense, Saholy pissait le sang sur le siège, retenait son nez dans le mouchoir. Il fallait lui trouver un médecin — l’appendice était probablement cassé. À l’arrière, Alice n’avait toujours pas dit un mot.
Mc Cash les avait traînées hors du pavillon jusqu’à la voiture et avait pris le volant. Saholy n’était pas en état de conduire et il ne faisait pas bon rester dans le secteur. Les persiennes des voisins étaient closes, ils étaient partis en vacances et il y avait une chance pour que personne ne les ait vus — les allées du lotissement étaient vides et les coups de feu tirés à l’intérieur de la maison n’avaient, semble-t-il, pas alerté le voisinage. Le feu s’en chargerait. Ils avaient pris la quatre-voies de Rennes, toute proche, sans appeler Ledu. Les types qui les attendaient chez les Plabennec n’étaient pas seulement des mercenaires à la solde du plus offrant, ils étaient aussi très au courant des faits et gestes d’Alice et dûment protégés : celui qui parlait français avait sur lui un document de l’armée. Vrai ou faux, la gendarmerie relevait du même corps. Ledu menait les opérations à sa guise et, chargé de l’enquête, il pouvait tout aussi bien les couvrir. Mc Cash ne pouvait pas prendre ce risque. Pas avec la petite dans les parages.
Trop secouée pour protester, Saholy s’était rangée à son avis. Mc Cash hésitait. Il manquait d’informations. La piste des pays de l’Est semblait la bonne, restait à savoir dans quel pays Blanckaert s’était rendu. Sean allait l’aider… Il se tourna vers la métisse, qui faisait des tas avec ses mouchoirs ensanglantés.
Ils dépassaient Le Mans et les affiches publicitaires pour leur circuit de bagnoles : il jeta un œil sur les rétroviseurs et, au dernier moment, prit la bretelle de sortie.
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