— Oh!
Ça riait gras sur le quai.
— Même pas une petite pipe?
— Beurk!
— Je n’ai pas l’air comme ça mais…
— Dégage, la grosse, tu nous fous la gerbe.
— Ouais! Je crois que je préfère encore baiser un cheval à bascule!
— Ha ha!
Ils sentirent trop tard l’ombre qui s’était glissée depuis les conteneurs.
— Un geste, un mot et je vous massacre, siffla Mc Cash, un marteau brandi au-dessus de la tête. Fouille-les, lança-t-il aussitôt à Stavros.
Les gardes n’osèrent pas bouger, sentant la menace de leur agresseur, à peine visible sous un sweat à capuche. Stavros tira un pistolet automatique d’une poche, qu’il tendit à Mc Cash.
— Vous êtes combien à bord? dit-il en empoignant l’arme.
— … Douze.
— Vous compris?
Ils acquiescèrent ensemble.
— Les naufragées du voilier sont à bord? poursuivit Mc Cash.
— Oui… Oui.
— Où?
— Dans la cale. Au… au deuxième sous-sol.
Un coup de crosse s’abattit sur le premier marin, qui étouffa un râle, le second eut un geste de repli vers la passerelle et reçut le choc à la tempe. Il s’écroula à son tour, une méchante plaie au front. Mc Cash inspectait déjà le pont du cargo du regard, cinq mètres au-dessus de lui: personne. La chance était avec eux.
Il s’agenouilla sur les pavés humides sous le regard fardé de Stavros, fouilla les hommes à terre. Le Glock était semblable à l’arme du mafieux albanais. Il vérifia le chargeur: plein.
Les amarres du Jasper grinçaient le long du quai. Les marins semblaient sonnés — il avait cogné fort. Mc Cash enfila le passe-montagne qui lui servait de bonnet pendant que Stavros retirait ses talons et sa perruque. Avec la pluie, le maquillage commençait à couler.
— Tu es prêt, la grosse?
— À toi de passer devant.
Les gouttes tambourinaient maintenant, couvrant leurs pas le long de la passerelle. Mc Cash grimpa le premier, fantomatique, épiant les bruits de la nuit. Stavros suivait dans sa robe trempée, pieds nus. Pas âme qui vive sur le pont du cargo mais un déluge qui chassait les mouettes impavides; Mc Cash avança à pas comptés, désigna la porte qui menait aux cabines. Leurs cœurs battirent plus vite au moment d’actionner la poignée.
Un escalier en fer menait au ventre du navire. Stavros s’aida de la rampe patinée par des milliers de mains pour ne pas glisser. Une veilleuse éclairait les couloirs à la peinture blanche écaillée. Mc Cash suivit le fléchage pour descendre encore, stoppa: un ronflement se faisait entendre derrière la porte voisine. La chambrée des marins? Ils avancèrent à pas de loups: l’escalier suivant donnait sur les cales.
Ils poussèrent une porte de fer, qui grinça affreusement. Le temps passa sur des braises. Un marin sortit alors de la cabine voisine, alerté par le bruit ou allant pisser. Pris de court, Mc Cash planta le canon du Glock sous son nez.
— Les réfugiées, chuchota-t-il: elles sont où?
L’homme cligna des yeux sous la lumière blafarde, ravala sa salive devant le visage cagoulé et l’arme pointée sur lui. Il fit un signe vers la porte en fer — l’étage en dessous… Mc Cash l’attrapa par le cou et le força à passer devant. Les marches étaient abruptes, l’escalier étroit. Ils descendirent vers les cales dans un silence relatif qui ne les rassura pas. On n’entendait plus la pluie battre contre les structures d’acier, ça sentait le gas-oil, le cambouis, et le froid des longues solitudes. Mc Cash tenait son otage par le col du pyjama lorsqu’un marin apparut dans la coursive: il les vit, resta une seconde interloqué, et laissa échapper un cri en détalant.
L’ex-flic brandit le pistolet mais se refusa à lui tirer dans le dos.
— Putain…
Le flottement ne dura pas. Mc Cash était branché sur pile nucléaire, ses sens au rasoir. Il écrasa la crosse sur le crâne du marin-bouclier, enjamba son corps et fila le long de la coursive, Stavros à sa suite. Il y avait une petite pièce près de la chaufferie, une porte au verrou fermé qu’il actionna. Il faisait noir dans le réduit mais un visage se dressa sur un matelas de fortune, à peine visible à la lumière du couloir. Le visage d’une femme noire, jeune, effrayée, seule.
— Qui êtes-vous? murmura-t-elle en français.
— Des amis d’Angélique et Marco. Où sont les autres?
— Parties, répondit-elle.
— Où ça?
— Je ne sais pas.
Mc Cash pesta dans sa barbe — il arrivait trop tard. L’Africaine le regardait, entre la peur et l’espoir, lorgnant l’homme grimé dans son dos.
— Pourquoi ils t’ont laissée?
— J’ai le bassin fracturé, dit-elle.
Pas le temps de discuter.
— Bon, aide-la à se lever, lança-t-il à Stavros. Le type va donner l’alerte, il faut qu’on déguerpisse.
Mc Cash laissa le Grec passer devant lui. Si un autre escalier menait à l’étage supérieur, il devait se situer au bout de la coursive. Pas d’autres choix qu’affronter la meute. Il se posta près de l’escalier de fer, entendit le branle-bas de combat au-dessus, guetta arme au poing. Les voix se rapprochaient, se mêlaient dans une langue qu’il ne comprenait pas: la contre-attaque était imminente.
Mc Cash attendit que les marins dévalent les marches pour jaillir et faire feu. Deux balles se fichèrent dans le corps du premier, qui bascula en arrière pendant que les autres refluaient. Une poignée de secondes passa, irréelle. La poudre lui piquait les yeux, ses oreilles bourdonnaient, son cœur battait à cent à l’heure et ils étaient encore une demi-douzaine là-haut.
— Laissez-nous partir avec la fille ou je vous descends tous! hurla-t-il à l’angle de l’escalier. Les uns après les autres! menaça-t-il.
Pas de réponse. Stavros apparut alors dans la coursive, maintenant la jeune Africaine contre son épaule. Elle faisait peine à voir, le corps décharné et douloureux, mais Mc Cash sut à sa mine qu’elle ne flancherait pas. Pas maintenant.
— Je suis le capitaine de ce bateau! lâcha une voix depuis l’étage. Qu’est-ce que vous voulez?
— Récupérer la fille séquestrée dans la cale! répéta-t-il en leur faisant signe de se tenir à l’abri. C’est Zamiakis qui vous paie mais il sera bientôt en prison et vous serez accusés de complicité de meurtre! Laissez-nous sortir d’ici et je vous laisse filer! C’est votre seule chance, bande de minables!
Il y eut un moment de flottement à l’étage. Stavros en profita pour caler la réfugiée contre le mur de la coursive.
— Je vais voir s’il y a une autre issue, chuchota-t-il.
Mc Cash garda le doigt sur la queue de détente. Une trentaine de secondes s’écoula.
— OK! cria l’officier depuis l’étage. OK! On vous laisse remonter!
Stavros revenait, le souffle court.
— Il y a une issue un peu plus loin, dit-il, un escalier un peu moins raide, mais je ne sais pas où il mène… Et il faudra porter la fille sur tes épaules. Je n’ai plus l’âge.
Mc Cash analysa vite la situation. Le capitaine du Jasper était à la botte de l’armateur impliqué dans le naufrage: il n’avait pas confiance et en portant la fille il serait désarmé.
— Je vais déposer mon revolver en haut de l’escalier, en évidence! relança le capitaine. C’est la seule arme à bord!
— Je fais le tour, glissa Mc Cash à Stavros.
Il s’éclipsa à pas feutrés, fila par la coursive et trouva l’autre escalier. Il grimpa les marches en pointant son arme mais la porte de l’étage restait close; il l’ouvrit doucement, ne détecta aucune présence. De fait le couloir était désert mais il entendait des voix basses un peu plus loin.
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