Le couple retourne à l’intérieur du burlingue, mais chacun sur son pétard. L’Asiatique a moulé ses besicles et ressemble à un hibou qui vient de trouver sa chouette en train de se faire miser par un grand-duc. Une mousse blanchâtre sort de sa bouche aux lèvres minces. Comme je le trouve antipathique, il a droit à mon talon droit sur sa pommette gauche. Il opte aussitôt pour la position allongée. Je palpe ses fringues à la recherche d’une arme, mais il n’en porte pas sur lui.
Redevenu galant, je tends la main à Violette pour l’aider à se remettre debout. D’une secousse je la redresse. A peine ma main a-t-elle lâché la sienne que, redevant mufle, je lui écrase une baffe qui la renvoie dinguer à travers la pièce. Il me semble que je ne retrou-verai jamais mon calme (comme disait à Québec, le corps expéditionnaire français en 1759).
Me voilà à nouveau penché sur Violette.
— J’aurais dû me méfier : une morue pareille ! grincé-je-t-il en lui administrant une nouvelle tatouille.
Elle me sourit à travers son échevelance et le raisin qui dégouline sur sa vitrine.
— Oh ! oui : frappe encore ! supplie-t-elle.
Et comme mon éberluance stoppe mes coups, elle dit :
— Comme tu es fort ! Comme tu es beau ! Comme tu es terriblement mâle ! Cogne-moi, chéri ! C’est trop bon ! Esquinte-moi toute ! Je veux que tu me brises, que tu me disloques ! Après tu me baiseras sur le plancher, tu verras : ce sera merveilleux !
— Pétasse hystéro !
— Et comment ! Bats-moi encore, Antoine ! Mets-moi en sang ! Enceinte ! Tout ! Tout, mon grand beau mec !
Ecœuré, je la laisse pour rendormir le taulier d’un coup de mon talon gauche sur sa pommette droite. Qu’ensuite, je m’intéresse enfin à Mathias.
Son cas ne nécessite pas de ma part un gros effort de concentration : il est éloquent. Le Rouquin est tranquillement assis dans le fauteuil faisant face à celui du directeur. L’une de ses manches est retroussée et il est clair qu’on lui a fait une piqûre. Une piqûre — ô ironie — de son fameux produit qui met n’importe lequel de tes semblables à ta complète disposition, sans qu’il en garde le moindre souvenir. Le petit attirail que je connais bien se trouve encore sur le sous-main de cuir du dirluche.
Maintenant, la Violette (de Parme) se roule sur le parquet en criant que je dois la baiser vite, vite, et en arrachant son slip. C’est la grande crise. Qu’heureuse-ment, je vois surgir un vaillant qui ne perd jamais son sang-froid : en l’eau cul rance, M. Blanc. Il porte quelque chose de lourd. Et de partiellement fluide : un seau d’eau puisée aux toilettes. Avec une joie réelle, il balance le contenu du récipient dans le portrait de la chienne en chaleur. Radical. Elle cesse de m’implorer et se met à claquer des chailles. Cette fois, nous la relevons pour de bon et l’installons dans le fauteuil directorial. Ses cheveux plaqués sur le visage, ses fards dilués, lui donnent une gueule de noyée, à la Violette.
— Ecoute, sous-merde, lui postillonné-je dans le portrait. Si tu ne t’affales pas complètement, si tu ne me racontes pas toutes tes giries, je te massacre réellement ; et sans te baiser en fin de parcours, crois-le bien. Mords ta frite dans la glace, là, sur la droite, et dis-moi quel chimpanzé couvert d’eczéma, charriant un cul gros comme un potiron et violet comme une aubergine, aurait envie de t’embroquer, pute borgne, dégueulade de rat malade, charogne pestilentielle ! Je préférerais sodomiser le Chinetoque, là par terre plutôt que de te toucher autrement qu’avec mon poing, gorgone !
Elle a un pâle sourire. Pas bravache : conquis à tout jamais.
— Tout ce que vous pourrez me dire, commissaire (tiens, elle a repris le voussoiement) ne m’empêchera pas de vous trouver sublime. Vous êtes si noble dans la colère, si beau, si grand que je vous aimerai toute ma vie et n’accepterai jamais plus un autre homme que vous dans mon corps !
— Ce qu’il faut entendre ! soupire Jérémie. Elle dit ça, mais le premier ouistiti qui lui montre son membre, elle lui saute dessus !
Je lui intime de se taire, d’un geste énervé.
— Parle, fais-je à Violette.
Là, elle se ressaisit et devient professionnelle.
— Je comprends que vous croyiez à une trahison de ma part, fait-elle en montrant Mathias. Mais tout ce qui s’est déroulé ici résulte de la volonté d’Achille. C’est sur son ordre exprès que j’ai agi. Vous ne me croyez pas, commissaire ?
Je n’ai pas le temps de lui répondre.
Quatre canons de mitraillettes s’insinuent par l’entre-bâille-ment de la porte.
Une voix féminine lance avec calme :
— Tout le monde les bras levés, face au mur. Sinon ça va être le massacre de la Saint-Valentin !
Toi qui es à moitié con, tu as déjà compris, avec ta bonne moitié, que nous renouons de brusques relations, les « amazones » et moi. Bravo ! Tu es digne de demeurer mon lecteur pendant encore trois décades décadantes, plus les années de guerre.
Nos chères sœurs de la Contraception Contempla-tive se sont remises de leurs émotions, m’ont recherché et retrouvé. Intraitables Walkyries ! Comment ont-elles pratiqué n’est pas mon affaire. Je le sais pertinemment qu’il y a plein de gens à mes chausses. Fantastique imbroglio ! Quand je traite le cas des tueurs, nous sommes filochés, et puis des mecs (ou des gerces) suivent qui nous suit, et ainsi de suite. Les fausses religieuses nous alpaguent pour nous driver en leur couvent, aussitôt y a du trèpe à la clé, pour nous filer le dur ; si bien que lorsque nous nous évadons du monastère, des dégourdoches en attente n’ont plus qu’à reprendre la poursuite infernale.
Il serait peut-être temps de dénombrer mes adversaires et de les « replacer dans leur contexte » comme « ils » disent puis ces temps. Tu remarqueras « replacer dans son contexte », c’est leur nouvelle dégoulinerie. Ça et aussi « il faut raison garder » : un vieux machin remis au goût du jour par quelque politicard persuadé que c’est de lui. Pour ce qui est de se piquer des formules, ils sont tous d’accord. La « langue de bois « aussi, tiens, ça marche de la gauche à la droite. Les pauvres nœuds pantelants ! Je pensais parvenir à mourir sans vraiment les haïr, mais je commence à piger que ça va pas être possible ! Je craque ! C’est comme une lente et inguérissable (d’Olonne) maladie. Elle m’investit, me contraint. Mourir en état de haïssure, c’est grave, tu sais ! C’est « péché mortel » comme on disait à l’époque du caté.
Je m’étais confessé un samedi pour communier le lendemain. Et voilà-t-il pas que je rencontre la petite Masson, Huguette Masson. Déguisée en Chaperon Rouge, elle allait porter je ne sais quoi à sa grand-mère malade (peut-être une galette et un pot de beurre, après tout ?). Je l’ai accompagnée. La grand-mère était veuve et moribonde dans une grande bâtisse froide qui puait la pisse de chat. J’ai attendu Huguette dans la cuisine où le lourd tic-tac de la grosse horloge à balancier grignotait les derniers instants de la mère-grand que le loup travesti en Mort allait bientôt venir boulotter.
Quand Huguette est redescendue de la chambre, je l’ai saisie par-derrière et j’ai retroussé sa robette. Elle portait des bas de laine maintenus par des élastiques et une culotte « Petit Barlu », plutôt rude, fixée à la taille par des boutons. J’étais si ému et si gauche que je n’ai pu en défaire qu’un seul. A peine de quoi passer la main pour caresser sa petite minouche. C’était excitant. Le sang carillonnait dans mes baffles. Mais je ne triquais pas. Je pensais que j’étais en train de me flanquer en état de péché mortel, ni plus, ni moins. Je n’avais dans le cigare que ma communion du lendemain. Si j’allais à la sainte table avec des doigts sentant la chatte, j’étais bonnard pour l’excommunication, les feux de l’enfer, la féroce damnation sans appel.
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