— C’est un symbole, répond patiemment Mâbitâhungoû.
— Re-bravo ! exclame le Rassuré. Je voudrais encore une p’tite mise au point en ce dont y concerne le caillou qu’elle porte au blair. Ça l’ennuiera pas de se le foutre ailleurs pendant que j’irai au rapport matrimonial ? C’est le genre de gadget qui te fait déjanter en plein virage lorsque tu frénétises.
Ayant obtenu tous les apaisements souhaités, nous partons pour le temple.
Dans la cour, on a dressé une échelle contre l’éléphant de Bérurier. Ce dernier est invité à prendre place dans le palanquin. La fragilité des échelons l’inquiète.
— Tout compte fait, ronchonne mon camarade, c’est plus facile de monter dans une voiture de sport. Pourquoi vous z’auriez pas un escalier roulant ? Vous mordez comme c’est pratique, avec mon sabre, mes tartines recourbées et ma brioche ? Et puis me refiler un éléphant pareil ! Dites, c’est un Boinge 747, votre bestiau ! Il est à impériale ! On pourrait pas y aller en jeep à la mairie ? Et la carlinge, elle est arrimée solide, mouais ? Que si jamais une sangle pète, je m’emplâtre comme si je tomberais d’une télécabine, merde ! Sans compter que je voudrais pas écoper de sa papatte sur mon cor au pied, au minou. Et le cornard ? Où qu’il est le cornard-conducteur ? J’aime pas grimper en chignole quand le moteur est embrayé ! J’ai pas le permis poids lourd, moi !
Suant, rouscaillant, ahanant (et vanné), A-B finit par s’installer dans le satin rutilant de la nacelle. Un boy armé d’un « chavar » (ou éventail de plumes) se met à lui chasser les mouches, fort nombreuses sous cette latitude. Et, fouette cornac, le cortège dûment constitué s’ébranle.
J’occupe un éléphant à deux places avec la princesse de mes une et mille nuits (j’espère). On sort du palais. Sous le soleil, Khunsanghimpur expose crûment sa misère. Les maisons y sont lamentables, dégradées, dégradantes. Des gens exténués, maigres à hurler, pointus de partout, à tête-en-os, couverts de pustules et de haillons, gisent devant leur porte comme des ordures à ramasser. Les enfants au ventre énorme nous regardent sans nous voir, semble-t-il. Le bide ? Rien de plus révélateur. Seuls les très riches et les très pauvres ont du burlingue ici, c’est dire qu’à peu près tout le monde s’offre un durillon de comptoir. Mais il n’est pas taillé dans la même viandasse !
Des gardes, style lanciers, marchent en avant, pour si des fois un loqueteux souillerait le chemin…
Nos gros autobus tanguent et roulent lentement. On va d’une allure puissante et majestueuse. Dans un tintement de grelots et un nasillement de flûte.
— Comment trouvez-vous le spectacle ? me demande Çavajéjoui en coulant une main serpentine dans la poche de mon pantalon.
— Hollywoodien, ma chérie. À tout moment j’ai l’impression qu’un metteur en scène va crier « Coupez ! ».
— Nous restons très attachés à nos traditions, malgré le progrès, assure-t-elle.
— Je vois. L’ennui c’est que, la caste supérieure mise à part, seuls les pantalons bouffent, chez vous !
— Humm, auriez-vous des idées avancées ? s’inquiète la ravissantissime.
— Les idées avancées sont toujours retirées à temps, philosophé-je, comme les drapeaux, ma princesse, qui ne font pas partie des combats mais des célébrations de combats.
Tout en devisant et palanquinant de concert, on arrive au Temple d’Hassê [26] Le temple d’Hassê n’a pas la même signification que celui d’Angkor.
.
Une nuée de ravissantes filles en saris de couleur chatoient dans la douce pénombre du sanctuaire. Leurs visages brillent comme de l’ambre poli [27] J’ai des dons, y a pas ! Ah, quel écrivain j’aurais fait si je ne m’étais pas mis romancier !
. Elles tiennent des plateaux chargés de victuailles diverses.
— Bonno, v’là qui commence au poil ! s’écrie le quasi marié en constatant la chose. Le petit casse-graine matinal : une riche idée. Et les serveuses ont tout ce qu’y faut pour te fout’ en appétit !
Mâbitâhungoû lui explique que ces mets sont des offrandes au Dieu Ganesh dont la statue gentiment grotesque se dresse, formidable, au fond du temple. Un corps d’homme obèse pourvu d’une tête d’éléphant ! Les vierges s’en approchent, se prosternent et déposent leurs plateaux. On amène les futurs époux.
En loucedé, Béru cramponne une cuisse de poulet au curry qu’il se met à dévorer à belles dents tandis que les gurus (ou prêtres) commencent la célébration du mariage. Ils placent des bâtons d’encens devant la statue. Se prosternent. Psalmodient.
Toutes les religions sont à base de prosternations et de psalmodiances, d’encens, d’offrandes, et autres conneries du genre. L’homme, faut qu’il rampe, il a ça dans les rotules. Qu’il bouffe la poussière… Fasse des pipes urbi et orbi. Il croit servir Dieu en s’humiliant, en s’écrasant, alors qu’au contraire, la seule manière de LE servir c’est de dresser la tronche, bomber le torse et foncer. Y a qu’une vertu en ce monde : la charité ! Et la charité c’est quoi ? De la colère, mes grands. Uniquement de la colère. La charité consiste à s’indigner ! La charité, c’est de l’intolérance, de la rebiffe. La charité, c’est pas de chialer sur la misère du monde : c’est de la combattre. La charité n’est pas humble, mais belliqueuse ! La charité, c’est de l’amour. En amour faut pas s’aplatir, c’est inopérant. Véry négatif. Même sodomisé, tu dois remuer pour l’agrément de la chose ! La carpette ? Jamais ! Dieu a horreur des serpillières !
— Dites, les mecs, interpelle soudain le Grasveau en se tournant vers l’assistance, c’est à ce truc que vous me comprenez ? (Il montre Ganesh.)
Un silence recueilli ne lui répond pas.
Alors il s’insurge.
— Bien ! Trop p’aimable ! Déjà Babar je trouvais un peu corsé, mais plaisant ! Non, sans charre. Vous l’avez vue, votre bestiole ! Et moi, hein ? Et moi ? Matez et comparez, quoi, merde !
Il quitte son fauteuil pour aller se placer au côté de la statue.
— Des jumeaux, p’t’être, non ?
La foule se prosterne.
— Ganesh ! Ganesh ! s’écrie-t-elle.
Un voile de tristesse passe sur le visage naguère radieux de l’imminent (et éminent) prince consort.
— Bon, j’ai pigé, c’est vindicatif chez vous, soupire le malheureux. Heureusement que j’ai faim.
Et il mange.
Beaucoup !
En force…
Nul n’ose l’interrompre. Ce n’est qu’après qu’il a nettoyé les plats d’offrande que la cérémonie peut se perpétrer (le terme n’est pas mal dans son genre, vous l’allez constater d’ici bientôt).
Les gurus apportent des parchemins raides comme des abat-jour de salon. Ils écrivent à l’aide d’une plume de Zyzigeânhmer [28] Oiseau rare, célèbre pour son plumage et ses longues pattes qu’on trouve dans la province du Kâzynodpâri (près de Calcutta).
trempée dans de l’encre de Chine [29] La Chine apporte une aide franche et massive à sa voisine indienne.
. Bien qu’exprimant en sanscrit, ils écrivent vite, et pourtant, le sanscrit, faut se le respirer, non ? Essayez de rédiger votre déclaration d’impôts en sanscrit, et le Trésor vous en donnera de mes nouvelles !
Leur tartine achevée, ils vont déposer les parchemins au pied de Ganesh.
Chants ! Litanies (du docteur Gustin) ! Feuilles de rose ! Encens et en mil ! Vive la mariée !
Le grand prêtre (il s’est fait bonzer) s’approche de Bérurier.
Le déchausse.
Il a alors un mouvement d’épouvante et court se cogner un gorgeon de Chartreuse Verte au bonzebytère.
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