Auparavant, Monbraque doit faire une démonstration à ces gens.
De quel ordre ?
Le fait qu’il eût été lié avec Merdre, chimiste éminent et directeur d’importants laboratoires pharmaceutiques est-il à retenir ?
Quelque chose me dit que oui !
Dans le fond, le Vieux a été un peu impulsif en nous dépêchant à Bombay. Auparavant, il eût mieux valu en savoir davantage sur Monbraque. Mais le ratiboisé de la houppe est obnubilé par la drogue ! Dès qu’il s’agit de « blanche », il voit rouge ! L’avait trop peur de rater la filière. Alors il a confié l’enquête parisienne à Pinuche et nous a embarqués dare-dare pour les comptoirs de l’Inde. Tu bondis, chéri, dans les champs d’Ernagor !
— Vous êtes nombreux, dans votre secte ? hasardé-je.
Hivy Danhladesh me sourit.
— Des millions, Dieu merci.
— Je veux dire, à Khunsanghimpur ?
— La moitié de la population en fait partie. Vous savez : il le faut. L’Inde est acculée au progrès. Nous vivons une époque qui ne pardonne pas.
— Et beaucoup de gens sont au courant de… heu… l’expérience ?
— Non. Avant d’ébruiter la chose, nous voulons nous en convaincre.
Il ajoute vivement et sur un ton d’excuse :
— Remarquez que, personnellement je suis convaincu. Mais les autres dirigeants de ma section ont besoin de preuves tangibles. Comment se propageraient les miracles s’ils s’opéraient sans témoins ?
— Et, une fois qu’ils auront admis le… la chose ?
— Alors ce ne sera plus qu’une question de propagande, s’enflamme Danhladesh. Nous répandrons la nouvelle, ferons des adeptes et peu à peu, l’émulation opérera.
Nous sommes interrompus par le Mammouth.
— Non, mais y en a qui s’gênent pas ! tonitrue mon collaborateur.
Il me montre un vieil Hindou, style fakir, lequel est occupé à déféquer sur le marchepied de notre wagon.
— Tu te rends compte qu’on roule en feurste et qu’a pas de chichemanes ?
Il se tait, médusé. Ce qui suit appartient à la magie. Figurez-vous que le fakir s’est relevé et a regagné la plate-forme du wagon sans s’être reculotté. Il prend une grosse bande de gaze dans un cabas et se fourre une extrémité d’icelle dans la bouche. Il a un léger mouvement de mastication. La bande se déroule lentement. L’homme déglutit à tout bout de champ.
— Tu crois qu’y la bouffe ? chuchote le Grrrrros, intimidé.
— Oui.
— Sans boire ?
La bande continue de se dévider. Bientôt, elle a presque totalement disparu, exception faite d’une vingtaine de centimètres qui pendent de la bouche du bonhomme.
Nous deux mis à part, personne ne lui prête attention.
Chacun continue de dormir ou de rêvasser dans les cahots du train.
— Non, mais mate ! mate ! exhorte Bérurier.
Le spectacle en mérite effectivement la peine. Le fakir (ou estimé tel par les néophytes que nous sommes) s’introduit deux doigts dans le rectum comme pour se saisir de quelque chose. Genre, le monsieur distrait qui se serait endormi avec son thermomètre dans le baigneur. Il doigtonne un brin et ramène, vous devinez quoi ? Oui : le bout de la bande de gaze !
— Faut le faire, non, bée Béru. Quand j’étais mouflard j’ai vu des avaleurs de sabre, mais un comme cézigue !
À présent, le déféqueur tient les deux extrémités de la bande dans chacune de ses mains et imprime à la bandelette un mouvement de va-et-vient, comme vous pratiquez pour vous frotter la chute de reins avec une serviette-éponge.
— Tu parles d’une manière de se torchonner le fignedé après usage, mon pote ! rigole Fleur d’innocence. Tu me vois pratiquer de la sorte av’c un rouleau de faf à train ? Dis donc : à la régalade !
Ayant achevé sa besogne, l’Hindou retire sa bande par le bas et entreprend de l’enrouler afin qu’elle soit disponible pour une prochaine séance.
Le Gravos lui touche le bras.
— Scouse-me, Sœur, aborde-t-il. Volume to montre me the combinaison, plize ? Hantise fort to épatate my bonne femme. Douille houx to pige bonne femme ? Nana ! Gerce ! Fumelle, what !
D’autor, il cramponne la bande de gaze du vioque et commence de se l’enfourner dans le clapoir.
— Et afteur, Mec ? questionne-t-il, la bouche pleine. Et afteur ? Préconise-moi, y a un truc, naturliche ! Montre-me it ! Montre-me it et je t’aboule un bifton de 10 roupettes !
Hivy Danhladesh dit quelque chose au fakir lequel se met à donner un cours d’avaleur à notre cher Mastar.
Les explications se font par gestes.
— Ah ! Aaaaah ! râle soudain l’Hénorme. Him semb’ que ça vient.
À cet instant, tout le convoi fait un boucan noir, comme si on attachait la tour Eiffel à la queue d’un chien.
On est jetés pêle-mêle ! Enchevêtrés ! J’ai ma tête sous le sari d’une dame ! On se débat ! Les roues continuent de ferrailler sur le rail brûlant. Les heurtoirs se tamponnent. Les wagons se marchent sur les pieds. C’est la cohue, le dessin Duboutien. Ça gueulotte un brin : des mômes tombés des blagues à tabac maternelles…
On s’ébroue, se récupère, se rattife tant bien que mal.
Et puis on s’informe à travers les confusions, les contusions.
Renseignement pris, il s’agit d’un troupeau de vaches sacrées qui est couché en travers de la voie. Hivy Danhladesh nous explique qu’on ne peut le chasser, il faut attendre que les bêtes se déplacent d’elles-mêmes avant de continuer.
— J’en avais entendu causer, articule Béru, coupé dans sa leçon de gaze, mais je croyais qu’c’était des bobards à la Jules Baliverne, genre Les cinq sous pour l’avoir raide !
Il se tait, la pommette enflammée, la prunelle convoiteuse, de la bave aux babines.
— Dedieu ! exclame-t-il, ben le v’là not’ casse-graine. Un morcif dans le filet, même quand c’est taillé dans de la bestiole coriace, c’est pas négligeable !
Il fouille sa valoche à la recherche d’un couteau.
J’interviens : En pure perte. Il a faim, comprenez-vous ? FAIM ! C’est pire que la mousson, un Béru affamé. Plus terrible qu’un raz de marée, plus irrésistible qu’un cyclone.
Le v’là qui saute du dur.
— Où va-t-il ? demande Hivy Danhladesh, alarmé.
— Il veut tuer une vache !
— Quouâaaa ! ! ! ! ! !
Le petit vioque galope sur le ballast à la poursuite du Gros. Puis il s’immobilise et lance un cri strident.
— Regardez ! hurle-t-il.
Les Hindous sont penchés à l’extérieur et matent également.
Ce qu’ils fixent, de leurs pauvres yeux abasourdis ? Je vais vous le dire, bien que vous ne me le demandiez pas, ou peut-être à cause de cela car j’ai horreur des mendigots [12] C’est faux ; je leur fais l’aumône.
.
Ils regardent l’énorme couteau planté dans le large dos d’Alexandre-Benoît Bérurier.
Mais le plus stupéfiant, le côté hallucinant de la chose, c’est que Béru continue de marcher vers la tête du train comme si de rien n’était !
Il ne sert à rien de faire un pet dans l’eau pour en dissimuler l’odeur, tous les physiciens con-pétants vous le diront, avec preuve à l’appui. Je vous note ceci-cela au passage, à cause de ma tête de chapitre qui sonne tout bizarre au milieu d’un ouvrage de cette qualité. Vous savez combien j’estime fastidieux le découpage d’un livre en chapitres, c’est pourquoi — mes féaux le savent — je tâche à égayer cette nécessité en jouant avec ce mot « chapitre », pourtant tout bête et rabougri (tellement rabougri que j’ai bien envie d’y foutre un « s » manière que ça fasse plus… gris encore). Cette fois, j’en ai dégagé les ânes à grammes. Et puis voilà que la fantaisie des assemblages me donne le machin ci-dessus. Rigolo, non ! D’aucuns me prêteront encore des instincts scatologiques. Diront bien bas que je me complais dans les lieux d’aisances et je sais pas quoi encore ! C’est vrai dans la mesure où je les fréquente quelque peu : loi fait nécessité ! Pourtant, la main sur l’anus je peux vous jurer une chose, gentlemen et women : je ne pète jamais en société, et en privé le moins possible. Cela dit, je reconnais le pet comme mode d’expression. J’affirme qu’il contient des vertus comiques certaines et ne lui conteste pas son droit de cité. Le pet me séduit par le fait qu’il représente l’énormité. Une énormité qui nous menace tous et nous terrasse plusieurs fois au cours de notre propre vie organique. Il est des pets auxquels on aspire (si je puis dire), des pets qui font rêver. Tenez : imaginez un pet de Sa Majesté la reine d’Angleterre pendant un discours au Parlement, et vous comprendrez ce que j’entends par là. Folie ? Non, ÇA PEUT SE PRODUIRE. Ah ! fasse le ciel que la chose arrive avant la fin de la monarchie, car ce serait LE pet du siècle. Aucun autre ne saurait le remplacer. Un pet de M. Kossyguine ? Cela va de soi. De Nixon ? On croit toujours l’entendre ! De Franco ? Il ne fait que ça ! De Liz Taylor ? J’entends les siens depuis chez moi ! Inutile de se foutre la calbasse en torche. Le seul pet vraiment IMPORTANT ne saurait souffler que de London et ce serait un pet royal !
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