— Dites donc, San-Antonio, dites donc. Cette héroïne, l’avez-vous vue ? Non, puisqu’elle a brûlé. Nous n’avons que l’affirmation de ce suspect, appréhendé et interrogé par le plus grand des hasards.
— En effet, monsieur le directeur. Aussi pensé-je que nous devrions procéder d’urgence à un nouvel interrogatoire de cet Hanjpur-Hanjrâdhieu. Il prétendait ne pas en savoir davantage, mais il serait bon de s’en assurer.
— Je le fais amener immédiatement, admet le Dirlo.
Il décroche son bigne et lance un ordre.
— Ce qui me tarabuste, reprend le Super-Chauve, c’est toute cette mise en scène du goal volontairement estourbi et qu’on évacue. La planque dans la combinaison était suffisamment bonne, en soi, pour permettre un échange discret de l’héroïne contre de l’argent…
Je lève la main.
— Vous permettez, Patron ? Qui nous dit que la drogue devait être échangée contre de l’argent ? Peut-être est-ce là que les laboratoires Fossat-Merdre jouent un rôle ?
— Nous l’apprendrons vite. J’ai ordonné la mise en place du dispositif Mimosa afin de retrouver Merdre, les meurtriers de son fils, et votre Hindoue.
Le biniou chantonne.
— Oui ? hargnit le Vieux.
Comme on dit dans les beaux livres bien écrits, « son visage se transforme ».
— De quelle façon ? insiste-t-il.
Il écoute. Sa calvitie scintille dans la lumière du déflecteur.
— Bon, soupire-t-il en raccrochant, ita est.
Il croise ses belles mains de pianiste et se met à nous contempler pensivement.
— Rien de fâcheux ? demande timidement Pinuchet.
— Et de six ! annonce le Vieux.
— Célestin Merdre ? demande âprement, presque triomphalement, César-la-Guenille.
— Non, l’Hindou.
— Quel Hindou, monsieur le directeur ? questionné-je vivement, car il est difficile, phonétiquement, d’exprimer un « e » muet placé à la fin d’un mot tel que « hindou ». Je pense à la fille, comprenez-vous ?
— Celui qui vous a mis au parfum, mon bon.
— Hanjpur-Hanjrâdhieu ?
— Soi-même : il s’est pendu dans sa cellule.
Nous demeurons un moment sans parler.
Le silence étant, dans les cas extrêmes, le meilleur moyen d’expression.
Et puis, la Calbasse hasarde ces belles paroles, empreintes d’un sens de la logique étourdissant :
— En somme, ça devient comme si ça serait dramatique, mais en plus violent, non ?
On le défrime.
On l’envisage.
Il est calme, boursouflé, plein de graisse et de pensées en haillons.
Enhardi par notre mutisme, et le prenant pour de l’intérêt, Bérurier se croit invité à poursuivre son allocution.
Il le fait.
Il le faut.
— Ordinairement, ça raisiné pas, dans les affaires de came. On dit : les trafiquants, les trafiquants. Bon : les trafiquants ! Mais moi, j’ojecterai : « quoi, les trafiquants » ?
Ébloui, réchauffé par son préambule, il déboutonne sa canadienne de maquignon ruiné.
— Un trafiquant, reprend-il, c’est quoi t’est-ce, sinon un simple commerçant ? D’accord, je vous cède le con, ce commerçant-là laisse quimper la tévéha et paie ses impôts chez Plumeau. En outre et d’autre part, ses activités sont illicites et punises par la loi selon l’artic’ j’sais plus combien de j’sais pas quoi, soite j’inconvéniens ; mais en prose, en vers et contre atout, y reste commerçant. Pas porté sur la chicorne. Discret à raser les murs. Dans la camouze ça s’étripe pas bécif. Or, pour le cas présentement actuel, y se passe quoi t’est-ce ? Verdun, messieurs ! Et j’assaisonne çui-là ! Et je te me fous par la fenêtre ! Et je te me pends ! Et cétéra et cétéra ! Tant qu’à la fin, moi, Bérurier, policier espérimenté qu’a pas sa cervelle dans sa poche percée, j’induis à me demander ceci : « Mais sacré nom d’Dieu, pourquoi ce méchant bigntz ? Caisse y différencie la présente histoire de drogue d’une aut’, hmm ? » Et m’étant eu posé la question, je m’apporte sur un plateau la réponse suivante ci-dessous : biscotte on a affaire à des Hindous ! Vous entendez ce que je cause ? À des Hindous ! Ces bonshommes, c’est mystère et bulldozer. Y n’font rien comme tout le monde. Pour piger leurs giries faut avoir suivi des cours de planches à clous à la faculté de fakirerie d’Ocalcutta. À dater de l’instant où l’adversaire dont tu combats a d’autres mœursaults que les tiens, t’agis à contresens, dou you pigez it ?
Époumoné, il se tait.
Le voilà cramoisi, le chéri.
J’attends une explosion du Vieux.
Elle se produit en effet. Mais pas dans le style prévu.
— Bravo, Bérurier !
— N’est-ce pas ! exulte l’Ampleur.
— Pour filandreuse qu’elle paraisse, votre démonstration n’en est pas moins éblouissante, continue notre honoré Patron.
— J’en avais la prétention, rétorque fermement Bérurier. L’intelligence, même si elle trouve pas ses mots, reste intelligente.
— C’est vrai, Bérurier, c’est vrai. Mais dites-moi, combien pesez-vous, mon ami ?
La question accroît la stupeur ambiante.
— Moi ? bafouille (et pourtant c’est dur de bafouiller sur une seule syllabe) le Gros.
— Oui, vous.
— Nu, ou en tenue de pêcheur à la ligne ? Parce qu’en tenue de pêcheur, rien que les cuissardes, déjà…
— Nu, Bérurier, nu ?
— Nu, répète Alexandre-Benoît, d’un ton songeur. Laissez que je vous dise pas de connerie. Nu, je vais chercher mon quintal !
— Cent kilos ? doute le Dabe.
— Grammes ! ajoute Béru. Cent kilogrammes, nuance !
— Seulement ?
Le Mastar rougit, son regard balbutie.
— Écoutez, m’sieur l’dir’c’teur, ça dépend du moment de la pesée, nécessairement. Si je me pèserais en sortant de table, il est évident [9] Du verbe « évider ».
que mon poids subirait une fluction. Bon, chipotons pas, je vais vous faire une cotte de maille taillée : ajoutez dix pour cent d’intérêts et vous tomberez dans l’énorme.
— Il va falloir peser près du double, Bérurier ! décide le Dirluche.
— Hein !
— Parfaitement, mon garçon !
— Mais c’est au sujet de quoi-ce, s’il n’est pointe indiscret, m’sieur l’dir’c’teur ?
— D’une mission délicate, Bérurier.
Le Mafflu fronce son tarin fraiseux.
— Bon j’dis pas non, j’ai rien d’absolument contre six nait ma bergère. Déjà qu’elle rouscaille quand je l’ascensionne comme quoi j’y flétris les loloches et y bouscule les poumons… Si je me joue philippine, vous parlez d’une chanson ! Elle voudra plus que je lui accapare les faveurs, m’sieur le directeur. Y a pas plus ronchon que c’te bonne femme. Enfin, brèfle, je grossirai en douce.
— Pas le temps.
— Ah non ?
— Non, il faudra peser deux cents kilos dès ce soir, Bérurier !
— Dès ce…
— Oui, mon ami.
Alors Béru, le bon, le brave, le cher, le tendre Béru a une réaction étourdissante.
Vous savez ce qu’il fait ?
Il regarde sa montre.
— C’est pas de la mauvaise volonté, mais je crains bien que ça soye un peu juste, m’sieur le directeur, soupire-t-il, navré.
DEUXIÈME PARTIE
RIEN N’EST TOQUÉ MAIS TOUT EST O.K
— Si encore ce serait de la vraie graisse, fignolée Grand Véfour, lamente Béru, mais j’t’en fous : du caoutchouc renforcé. J’étouffe comme dans un carquois, là-dedans. J’me fais l’illuse d’être picador aux arènes de Madrid. Et pis c’te chaleur de chiasse n’arrange pas mon problo. Et ma gueule, dis, parle-z’en moi, de ma bouille, Mec ! Il en a fait quoi t’est-ce, ton costumeur de cinoche ? Une tarte à la crème ? Une tête de veau vinaigrette ? Un coussin de caissière ? Ça me difforme de partout. J’ai l’impression qu’on m’a gonflé à 2,8 ! Le roi de la baudruche ! Ah, les idées du dabe, je te promets : c’est pas de la galantine de canard !
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