— J’ai interviouvé sa pipelette, révèle le Mastodonte, paraîtrait qu’il serait grutier au chômage.
Mon sang ne fait qu’un tour : mais réussi. Grutier ! Et les photos que Félicie porte à Mathias représentent une grue dans une rue peinarde.
Le teuf-teuf mérovingien de Sa Majesté déferle dans une Vréneuse accablée par la gueule de bois. Dans les maisons, on se cogne du Vichy Saint-Yorre pour se colmater les brèches hépatiques de la nuit. Sur mes indications, il emprunte l’impasse au sol inégal garni de pavés ronds dits « têtes de chats » et va jusqu’au portail plein, pas mal rouillé, qui la termine.
— Laisse ta ruine au milieu de la chaussée, Gros.
Il ronchonne sur l’épithète malsonnante car il tient sa bagnole en grande estime. Je suis déjà à pied d’œuvre, bricolant la serrure du portail à l’aide de mon fameux gadget que toutes les cours d’Europe m’envient et que je proposerai un jour au con court les pines.
Le vantail s’ouvre sur ma poussée avec un gémissement triste comme le bêlement d’un agnelet sans mère. Je glisse une teillée dans la propriété. J’avise une grande cour à l’abandon, envahie par les ronciers et les herbes en délire. Une traction noire immatriculée à Paris, dont la plaque généalogique (comme dit le Mammouth) commence par 1 et se termine par 8 est stationnée là. Au bout de la cour, il y a la maison. Elle fut belle, mais maintenant elle ressemble à la reine d’Angleterre. Volets clos, elle dérive vers la convoitise des promoteurs immobiliers qui, bientôt, la transformeront en supermarket, comme on dit en français.
On entre, on referme. Le Dodu m’interroge du regard. Je lui fais signe d’avancer. A la file indienne, je gagne la porte-fenêtre centrale. Les volets sont tirés, mais non crochetés. J’en ouvre un. La porte est également à disposition.
Nous voici dans la place. Y a de quoi claquer des chailles. Le froid de cet hiver plutôt calme s’est concentré dans la masure, renforcé par une humidité perfide et des courants d’air à n’en plus finir.
J’ai une dilection pour les maisons abandonnées, au point que j’en fous dans presque tous mes books . Cela doit issir de ma prime enfance, je suppose. Je passais mes vacances dans un hameau dont la première maison était en ruine. J’allais jouer dans cette masure qui sentait la très vieille paille et l’étron desséché, car nombre de gens y posaient culotte à l’occasion. Et alors bon, depuis, j’ai dans la tête plein de baraques désertées, angoissantes de solitude et si pitoyables à force de décharnance.
Apparemment, cette taule paraît vide, et pourtant j’y subodore une présence. Effectivement, je découvre, au premier, dans une chambre moins ravagée que les autres, un gazier en train de roupiller dans un sac de couchage. Une caisse lui tient lieu de table de chevet, laquelle supporte une grosse lampe à forte batterie, feu rouge clignotant à volonté, lumière sur deux positions, etc. Il y a également une Thermos et un poste de radio à transistor. Le dormeur (qui ne s’appelle pas Duval) est noir comme un marchand de charbon sénégalais qui serait en grand deuil, ce dont je conclus qu’il se nomme Méoutuva Didon.
Il pionce avec tant d’énergie que notre intrusion n’a pas troublé le moins du monde son sommeil. Ses deux bras hors du sac se rejoignent derrière sa tronche. Je fais signe à Mister Cachalot de lui passer les cadennes, ce dont il s’acquitte. Crois-moi ou trotte te faire triturer le chinois par la reine Babiola, mais ce double clic ne perturbe pas davantage la dorme du Noir.
Je m’approche de lui et ramasse l’un des mégots jonchant le sol autour de son pageot de fortune. Pas besoin de les renifler longtemps pour piger qu’ils ne sont pas farcis aux herbes de Provence ; et d’ailleurs, fumés aussi courts, tu parles ! Le gars s’est dosé sérieusement pour tromper la tante.
Je le fouille. Bilan : des fafs à son nom, du pognon (six mille pions environ), un rasoir à manche, un poinçon de cordonnier dont la pointe est fichée dans un bouchon (pas déchirer sa poche), une boîte en fer de chez mon amie Valda (dont le prénom est Pastille, au cas que t’ignorerais) contenant une demi-douzaine de joints (et pas des joints de culasse, espère !), un grigri confectionné avec de l’ivoire et des poils de cul (ne représentant rien, mais très ressemblant quand même) et pour conclure, une petite culotte porno blanche, à dentelle rose, fendue de l’entrejambe, trop délicate et proprette pour lui servir à essuyer sa jauge à huile. Cela dit, le personnage me paraît massif, jeune, il a une grande frime de chourineur et porte un sweet-shirt jaune qu’a écrit dessus « Ta gueule, je parle ! », car ça se fait beaucoup de nos jours d’arborer des slogans, déclarations, invectives ou professions de foi sur sa poitrine, là où les croisés de Charles IX portaient des croix.
— Méoutuva ! appelé-je. On est arrivé, mon biquet ! Va falloir soulever ces belles paupières en veau crispé.
L’homme geint au creux de son inconscience dans laquelle je viens de percer un trou et qui, de ce fait, commence à se dégonfler.
Bérurier précipite les choses en lui shootant les côtelettes. Le Noir barrit ; oui, je crois qu’il barrit, à moins qu’il n’ait feulé un grand coup, faudrait qu’il réédite pour se rendre mieux compte.
Il veut bondir, tel précisément un tigre (décidément, je pense qu’il a feulé), mais ses poignets entravés l’en empêchent (à la ligne).
Cette fois, il nous visionne, pas content. Il a d’immenses yeux jaunes dont le blanc est jaune aussi, avec un chouïa de sang comme dans certains œufs.
— Calmos, mon pote, lui dis-je en m’accroupissant sur mes talons.
— Qui êtes-vous ? me demande-t-il, en escamotant les « r », comme tous les Noirs dans le doublage de Autant en emporte le vent .
— Des types qui sont contre, sibylliné-je.
Il paraît anéanti.
— Mais quoi donc ?
— Rien, on attend.
— Vous attendez ?
— Que tu parles. C’est écrit sur ton maillot : « Ta gueule, je parle ! » Alors, bon, je ferme ma gueule et tu parles. Vas-y, baby, je t’écoute.
Ce qui l’impressionne peut-être le plus vivement, c’est de découvrir le contenu de ses vagues aligné sur le plancher, un peu comme à un étal de foire aux Puces. Ayant suivi son regard, je ramasse le rasoir et, après un bref coup de sifflet, le jette à Béru. Simiesque, il s’en saisit.
— Tu le commences par quoi, Gros ? je demande flegmatiquement.
Sa Majesté étudie le Noir de son bel œil porcin.
— Les portugaises ; pour rester classique, non ? Juste se met’ en train… Ensute, j’y coup’rai les vestibules et j’lu les lui cloquerai dans la gueule. Moi, j’vois l’programme d’cett’ manière. Turell’ment, je finirai par l’gésier, la méchante jugulaire : couic !
— Mais putain, j’vous ai rien fait ! s’écrie notre bon Didon.
— Pas encore, conviens-je, seul’ment si tu te grouilles pas de répondre à nos questions, alors là tu nous auras fait, et quand on nous a faits, on peut plus revenir dessus : la marche arrière n’existe pas.
— Bon, ben demandez, demandez ! Je suis blanc comme neige, moi !
Tous autres auteurs que moi, racistes de bas étage, s’empresseraient de glousser en entendant cela ; mais l’Antonio, oh ! pardon, c’est une autre catégorie, si tu veux bien ! Il donne dans la facilité uniquement quand elle est difficile.
— Tu connais l’équipe de Ritals ?
— Un ! il me dit.
— Décris-le-me !
Il me raconte le grand vilain qui convoyait le toubib et que j’ai flingué dans sa tire.
— Pas d’autres ?
— Pas encore, j’attends qu’ils viennent me prendre.
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