San-Antonio
Sauce tomate sur canapé
Seuls, les adeptes du yoga sont capables de péter plus haut que leur cul .
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Quand tu as tout perdu, il te reste la vie .
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Il y a des épreuves, dans la vie, qui nous font passer à des paliers supérieurs d’où nous ne redescendons jamais .
Cardinal Journet
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Je rencontre de moins en moins de gens dont je pourrais être le fils .
Antoine Pinay
Si on m’enlevait toutes les soirées au cours desquelles je me suis fait chier, j’aurais vingt ans de moins .
San-A.
Il était beau à voir. Passionnant à suivre. Si rapide et acrobate qu’il vous filait le vertigo. Monté sur ses patins à roulettes, il fonçait plus vite que les véhicules sur la chaussée. Il allait en louvoyant sur le trottoir, courbé en avant, les mains dans le dos, vêtu d’une combinaison de cuir noir qui lui collait au corps comme une seconde peau ; peau de squale, brillante. Il portait un casque de cycliste en cuir, avec mentonnière, des lunettes de soudeur à l’arc. A la taille, un réticule comme en ont la plupart des skieurs. Parfois, il bondissait pour franchir un obstacle et perdait alors, semblait-il, les contraintes de la pesanteur, comme s’il allait s’envoler.
A un moment donné, l’homme jaillit du trottoir afin de traverser la rue devant le capot des voitures. Ses mouvements étaient si fabuleux que les automobilistes oubliaient de l’invectiver en freinant. Il sauta sur le trottoir d’en face, continua ses méandres étourdissants, puis vira sur le boulevard où il força l’allure.
Des passants se retournèrent afin de suivre sa ruée superbe. Le patineur, sans ralentir, retira une main de son dos afin d’ouvrir son petit sac ventral. Il atteignit la terrasse d’une brasserie et opéra un arrêt somptueux devant un client qui paraissait attendre devant une consommation de couleur brune.
Le patineur sortit alors du réticule un pistolet de fort calibre, à crosse noire, mais au canon chromé. Il le braqua sur la poitrine de l’homme et tira posément trois balles qui lui déchiquetèrent le cœur.
Avant même que les autres clients ne se mettent à hurler, le patineur se fondit dans la foule.
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Antoine II, mon nouveau collaborateur (et fils adoptif) se jeta hors de ma 600 SL et bondit à la poursuite du fuyard. Je n’avais pas eu le temps de proférer un mot. La chose s’était opérée si rapidement et de façon si inattendue !
A mon tour, je quittai ma chignole après avoir posé mon feu girateur sur le toit.
— Police, qu’on ne touche à rien ! criai-je aux badauds et aux gens de la terrasse, avant de m’élancer aussi sur les traces du meurtrier.
Toinet avait de l’avance sur moi, mais j’apercevais son blouson Lacoste blanc, à col vert, loin devant moi. Il arpentait vilain, le bougre. Je sentais nos vingt ans d’écart dans mes jarrets !
Au bout de quelques centaines de mètres effrénés, il disparut de ma vue. J’essayai de passer le turbo. Et puis je dus stopper net : le môme se trouvait allongé au sol. Je mis quelques fractions de secondes à piger qu’il venait de plaquer le fuyard. Le gars avait été sonné par sa chute brutale car il remuait plutôt faiblement. Pour lui passer les menottes, ce fut du gâteau.
Toinet se redressa en soufflant.
— Bathouze, non ? exulta-t-il.
Il se pencha de nouveau pour chercher quelque chose.
Je lui demandai de quoi il s’agissait.
— De mon couteau suisse à vingt-huit usages, fit-il en ramassant l’objet. Je le lui ai balancé de toutes mes forces dans les jambes, ça l’a fait trébucher.
— Totales félicitations, dis-je.
Comme un agent se radinait, je me fis connaître et lui enjoignis d’appeler Police-Secours fissa.
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L’assassiné achevait de se saigner tranquillos, le nez dans une assiette de chips qui accompagnait son martini-gin. Chose amusante, sa consommation ne s’était même pas renversée. Il s’appelait Roger Marmelard, était mort à 48 ans et s’occupait d’une importante société de transports internationaux avant de trépasser à cette terrasse de brasserie.
Il m’avait contacté plusieurs jours auparavant, sur la recommandation d’un homme politique peu connu. Je l’avais néanmoins reçu.
« — Quelqu’un me fait chanter ! » m’avait-il expliqué.
La banalité même. Une photo compromettante, qu’il me montra sans se faire prier. Le cliché le représentait en train de baiser en levrette une exquise jouvencelle dont la jeunesse te faisait grincer les couilles.
« — C’est la troisième que je reçois », m’avait révélé le sieur Marmelard.
« — De quoi vous menace-t-on ? De l’envoyer à votre épouse, je suppose ? » ajouté-en en louchant sur son alliance large comme un bracelet de force.
« — Exactement. »
« — Laquelle prendrait mal ce signe de virilité extérieure ? »
« — D’autant plus mal qu’il s’agit de sa fille. »
« — Oh ! merde ! »
« — N’est-ce pas ? »
« — Quel âge a ce sujet ?
Là, il avait marqué une hésitation :
« — Quinze ans ! »
« — On peut dire que le blé en herbe, ça ne vous fait pas peur ! »
« — J’ai perdu la tête. C’est un fruit si tentant, monsieur le directeur. La promiscuité, vous savez ce que c’est ? Jour après jour, cette grâce à portée de main. Cet être si neuf qui vous cajole, vous embrasse. Vous sentez ces adorables petits seins contre votre poitrine, vous… »
« — Ne me faites pas bander, monsieur Marmelard, je n’aurais pas le temps de conjurer. Qui vous fait chanter ? »
« — Je l’ignore. »
« — Combien exige-t-on ? »
« — Cinq cent mille francs. »
« — Vous avez déjà craché au bassinet ? »
« — Pas encore. »
« — De quelle manière vous contacte-t-on ? »
« — La nuit, quand je dors au côté de mon épouse ! Diabolique, n’est-ce pas ? »
« — Habile. Où en sont les tractations ? »
« — J’ai promis de verser la somme mardi prochain, à dix-huit heures, à la terrasse de la Brasserie de Nevers . L’argent devra se trouver dans un sac en plastique. »
* * *
J’ai regardé sous le guéridon où reposait le buste mitraillé de Marmelard. Un sac de plastique en provenance des Chaussures Clarence, Champs-Elysées (le bottier de l’élite), s’y trouvait. L’ai ramassé ; dedans, il y avait des liasses. A première vue on pouvait croire que c’était des talbins de cinq cents raides, en fait il s’agissait de biftons de cinéma que j’avais procurés personno au pauvre bonhomme.
Ce qui me troublait, c’est que le patineur-assassin n’avait pas esquissé le moindre geste pour s’en emparer.
Il allait éclaircir ce mystère.
Ma conscience ferraillait comme une vieille bécane déglinguée. J’avais conseillé au transporteur de jouer le jeu et j’étais venu me poster devant la brasserie, dans mon bolide gris métallisé, en compagnie de Toinet devenu mon auxiliaire depuis son bac [1] Lire absolument Aux frais de la princesse . Un ouvrage qui a fait dire à Jérôme Gacin, de L’Evénement : « Quand je serai à l’Académie française, je ferai campagne pour que San-Antonio se voie décerner le Grand Prix à titre posthume. »
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Nous n’avions pas pu prévenir le meurtre, du moins, la vélocité du gosse lui avait-elle permis d’arrêter l’assassin.
Le pauvre Marmelard conservait encore un air surpris sur son masque mortuaire. C’était un gars à tronche de self made man qui commençait à grisonner et devait fréquenter les instituts de culture physique. Il possédait une frime plutôt sympa, des yeux très sombres et du poil aux pommettes.
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