— Tu as ouvert ?
— Bien entendu.
— Alors ?
— Alors rien. La cabane ne contient que des vêtements de travail, un réchaud de camping, des casques de chantier et des bouteilles vides.
— Bon, je vais aller visionner ça sur place. Passons aux fafs saisis sur la table de l’Américain.
Le Rouquemoute commence à oublier ses cruels déboires matrimoniaux ; rien de tel que le boulot pour distraire un homme de ses tracas quotidiens.
— En fait, il s’agit d’un rapport codé, monsieur le commissaire. Heureusement que je possède une licence d’anglais et que j’ai passé deux ans dans un laboratoire de police technique américain…
— Si je comprends bien, tu as pu le déchiffrer ?
— Non sans mal : ils ont utilisé la méthode Brinkball qui est l’une des plus coriaces. Là-dedans, il est question d’un personnage appelé le « Rosier » dont il faudra s’assurer pendant la nuit du 1 erau 2 janvier, cela pour deux raisons, dont la première est capitale : il sera « en place », exceptionnellement, cette nuit-là ; et deuxièmement parce qu’il y aura un fort brouillard que devra compléter « l’intervention F ». L’équipe Raphaël se chargera de l’opération. Elle sera couverte par l’équipe Johann II, laquelle se livrera à toutes les manœuvres de diversion, ainsi qu’à la prise en charge du « Rosier ».
« Dans la phase 2 de l’action, Raphaël se dispersera au mieux tandis que l’équipe Johann II conduira le « Rosier » au point « H » où l’attendra A. K. (qui devait être Al Kollyc, je suppose). Ensuite, A. K. procédera comme prévu. »
L’Albinoche repose ses notes.
Un grand silence suit.
Rompu par un effroyable pet de Bérurier qui déteste le mutisme prolongé.
Il respire à petites narinées gourmandes, espérant des effluves désastreux, mais souvent, dans ces cas-là, la puissance de la sonorité joue au détriment du parfum.
— L’« Rosier »… Tu sais-t-il de qui est-ce qui s’agit, Rouillé ?
— Non, avoue résolument l’interpellé.
— Moi si, fais-je.
Les deux me guettent la suite.
Magnanime, Sana la leur fournit :
— Le président !
Pour le coup, ils bondissent.
— Le président ! exclament-ils en duo, Béru avec une voix de basse noble, Mathias avec une voix de baryton navré.
— Le « Rosier » ! L’homme à la rose, autrement dit ! Cette grue rue de l’Elysée… Et songe, Béru, au filet métallique qui se trouve dans le coffiot de la DS noire. Commençons par une vérification.
J’appelle le secrétariat privé de l’Elysée. Me nomme, parlemente un tantisoit, obtiens le secrétaire et lui pose la question de confiance :
— Est-il prévu que le président dorme au palais, la nuit prochaine ?
— Parfaitement, pourquoi cette question, commissaire ?
— Il s’agit de sa sécurité, monsieur le secrétaire particulier. Pour quelle raison ne rentre-t-il pas à son domicile, comme il le fait ordinairement ?
— Cette nuit, il y a une grande réception à l’Elysée qui devrait durer jusqu’à zéro heure trente et le président reçoit, tôt, demain matin, une délégation des employés de la voirie.
— A toutes fins utiles, voulez-vous dire aux services de sécurité rapprochée du président de renforcer le dispositif de nuit ?
— Vous craignez quelque chose ?
— A vrai dire, ce que je redoutais n’aura probablement pas lieu, les gens choisis pour une opération nocturne étant morts ou en fuite ; mais il est préférable de se montrer vigilant.
— Expliquez-vous, commissaire.
— J’adresserai un rapport circonstancié dès que possible, pour l’instant je me trouve dans le vif du sujet et n’ai pas le temps de paperasser. Soyez sans inquiétude, je fais le nécessaire.
Je raccroche.
— Le « Rosier », c’est bel et bien le président. Un coup formide, drivé par le Ricain, a été mis sur pied pour le rapter. On a voulu profiter d’un faisceau de circonstances favorables à un enlèvement. Ces circonstances sont : premièrement, le président dort à l’Elysée ; deuxièmement, une grue est installée depuis plusieurs jours à quelques mètres du palais ; troisièmement, il y aura du brouillard ce soir.
Le Gros demande :
— Pourquoi t’est-ce qu’on aurait attendu qu’il pionce au château ?
— Parce que la sécurité du président est plus relâchée à l’Elysée, ce qui se comprend parfaitement. Le palais fourmille de gardes. Il y en a plein la cour, dans le parc, à l’extérieur. L’idée ne viendrait pas, selon la logique simple, d’aller le dénicher dans les appartements royaux. Parce que l’on s’imagine qu’un coup de main éventuel s’effectuerait par le sol, et non par les airs ! Al Kollyc possède un plan de la bâtisse. Il s’est dit que si des gars grimpent sur l’immeuble d’en face et qu’un grutier manœuvre le plus doucettement possible le bras du formidable engin de manière à ce qu’il se déplace, depuis l’aplomb de l’immeuble en question à celui des appartements présidentiels, des gars outillés et gonflés peuvent s’introduire dans la chambre du… « Rosier », neutraliser celui-ci, le placer dans le filet et le déposer sur le toit d’en face. Le brouillard, prévu pour cette nuit, masquera la manœuvre de la grue et, par ailleurs, une certaine équipe baptisée Johann II est chargée d’opérer une diversion. C’est un coup de main d’une folle témérité mais qui a toutes les chances de réussir.
Mes camarades opinent à bouilles rabattues.
— De feurste couality, admet Bérurier ; maintenant, ce qu’y faudrait qu’on va savoir, c’est si le coup va z’êt’ tenté malgré qu’on aye foutu la merde. Deux des Ritaux sur trois est mort. Le grutier, on l’a retapissé, de même que le matériel prévu pour l’ kidnappinge au président. Moi, à la place d’eux, j’ déclarerais forfaiture ; biscotte les rixes qu’ils prendent, tu permets, c’est du sucide ! Et pis, et plus que tout, le bigue chef, le Ricain, a été flingué garenne. Tu veux qu’ils vont faire quoi, ces malins, privés d’ leur général, et des troupes du génie ? Tu croyes qu’ le débarquement d’ 44 aurait eu lieu si l’ général Eugène Ovaire avait été buté la veille et qu’ les barlus fussent en panne d’ mazout ?
Mathias acquiesce.
— Je pense qu’Alexandre-Benoît a raison, monsieur le commissaire ; l’affaire me semble tout à fait compromise.
Je branle le chef (je suis le chef).
— Pas d’ votre avis à cent pour cent, les mecs.
— Oh ! toi, faut toujours qu’ tu peindes l’ diable su’ la muraille ! ronchonne Mister Big Bide.
— J’aimerais avoir votre sentiment, monsieur le commissaire, demande le futur lauréat du Prix Cognac (mieux vaut queutard que jamais).
Je débute comme tout homme politique interrogé par un journaliste.
— Ecoutez, fais-je.
Oui, bon, ils écoutent. C’est bien pour dire de prolonger le temps de réflexion, rassembler des arguments.
« Ecoutez ! »
Pontifiant. Achtung , je vais causer ; deux points ouvrez les guillemets ! N’en perdez pas une broque, messeigneurs. Very important . L’oracle va jacter. Oyez ! Oyez !
— Ecoutez, tout à mon avis repose sur une chose…
— Laquelle était-ce ? questionne l’Avide.
— Le dernier des trois Ritals s’est-il rendu compte que son pote blessé a perdu les photos de la grue, ou pas ? Il est très possible et même probable que, dans le feu de l’action qui était dramatique à souhait, ce détail lui soit passé inaperçu. S’il a tué son pote blessé ainsi que Mamie Rolande, c’est pour les empêcher de parler, donc il a l’intention de mener l’opération envers et contre tout.
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