— L’est d’meuré su’ l’signe du Zodiac, biscotte son emphysème. Lui, à son âge, la plongée sous-marine, ça lu torpill’rait les bronches.
— Explique-nous ce qui s’est passé, Gros ? Après avoir failli mourir bouffés par des caïmans, ce serait malheureux de crever de curiosité.
Le veau marin go :
— C’t’à la sute du coup d’turlu qu’t’y as passé pour l’affranchir à propos d’vot’ espédition à la suce-moi-l’-nœud.
— Eh bien ?
— Aussitôt qu’t’as eu raccroché, la Pine est v’nu m’esposer l’topo. On a décidé qu’ça fouettait la gadoue, vot’ histoire, et qu’on d’vait se manier la rondelle pour t’sortir d’ce sac d’embrouilles. Alors on est été voir l’Vieux. Et là, j’doive dire qu’il a été très bien, Chilou ! Efficace pour un’ fois. Tout d’sute il a fait tilt et a cramponné son turlu pour tuber au grand patron de l’F.B.I. dont il connaît. Le bonhomme en question s’est foutu dans une de ces rognes cont’ l’Cartel Noir, mais une rogne qu’on l’entendait gueuler dans l’biniou au Dabe. Tout en angliche, je t’fais remarquer. Une rogne dans c’t’ langue-là fait plus d’effet que dans les aut’, sauf p’t-êt’ l’allemand et l’japonais.
« Il disait, c’est le Vieux qui nous l’a répété, que l’nouveau Président voulait purger l’pays de cet Etat dans l’Etat qui soudoiliait la police, la justice, les institutions. Il voulait qu’on nettoive à fond et qu’tant pis pour la casse, tout ça. Y l’a d’mandé qu’on allave, moi et Pinuche, l’rejoind’ à Vagin-se-tond pour bien mett’ les choses au point concernant vous deux, y espliquer à fond la caisse l’bidule. D’or et d’orgeat, y l’allait brancher une équipe d’élite su’ c’bigntz. Pas des manchots, ni des ripoux qui se laissassent remplir les fouilles par l’Cartel, mais des encore utiles, façon Elliot Ness, des qu’on est sûr qu’au petit ni au grand jamais y bouffassent dans les gamelles des gredins. Tout ça.
« Alors on s’a embarqués, moi et le Débris. A peine posés à Vagin-se-tond, on a une converse av’c les chefs d’l’ F.B.I., à la raie au porc, et y nous propulsent sur San Francisco comme quoi la volaille d’Californie était à vos trousseaux. Qu’vous alliez vous faire gauler les noix incessamment. La fameuse équipe des litres était à pied d’œuvre, veillant au grain. Bon, on déhotte su’ la côtelette Ouest, prise en chargement par nos confrères. Ils disent qu’la situation a évolué. Les fédés vous ont arrêtés au chevalet d’la fille Kajapoul et emmenés à l’hôtel d’police, pour, un peu plus tard, vous remett’ à des scouts du Cartel ; c’qu’était bien la preuve qu’avait collision entre les poulets et l’Cartel Noir !
« Les mecs de l’F.B.I. avaient filoché les lascars et vosigues jusqu’au port où qu’une vedette vous a transbahutés à bord d’ce yachete. Y a z’eu conseil d’guerre. Le barlu étant hors des eaux territoiriales, donc pas question de le raisonner. D’aut’ part, à l’F.B.I., y savaient qu’y s’en passait des sévères à bord. Il y a quéqu’temps, on avait r’trouvé le corps d’un mataf du Silver Shark av’c un lingue d’vingt centimèt’ dans l’burlingue. L’était pas complètement mort, et avant d’canner y l’a bonni des trucs su’les agisseries des gens qu’appart’nait le yachete. L’a raconté l’histoire des crocos dans leur aquarium, qu’on leur donnait des pèlerins à tortorer. Les flics ont pensé qu’il délirait et n’ont pas donné suite. S’l’ment ma pomme, quand j’ai su qu’on vous avait drivés su’c’raffiot de merde, j’ai gueulé comme un charron. J’ai annoncé que j’allais frétiller un canot et v’nir voir.
« C’t’alors que les gars ont app’lé Vagin-se-tond et qu’on leur a donné l’feu vert pour une opération en règ’. On était six pour agir. Avec un matériel mimi : grenades soporifiantes, pistolets silencieux, mitraillettes, j’t’en passe ! Sophie-ce-ticket, comme on dit puis ! Les mecs, des techniciens pur fruit, j’te prille d’croire. On a inverti le yachete avec des cordes et des grappins. On avait des sacs et des tanches accrochés aux ceintures. A c’t’heure, y n’restait plus lerche d’équipage en exercice. En quéqu’grenades endormantes tout a été dit. »
— Chapeau, murmure Sauveur. Vous voyez, m’sieur Bérurier, j’vous gardais un chien de ma chienne pour le tabassage que vous m’aviez mis jadis.
Il caresse la cicatrice résultant de l’unique chevalière que Béru eût jamais portée au cours de sa vie mondaine, et déclare :
— Aujourd’hui, non seulement je ne vous en veux plus, mais je vous exprime ma gratitude et mon estime.
Un peu déconcerté par cette profession de foi, le Gros bougonne :
— Caresse de chien donne des puces !
Moi, depuis un moment, je n’écoute plus : je regarde remuer dans le tas de morts un personnage qui n’est autre que le grand inquisiteur. Plus très frais, le maître de la côte Ouest pour le Cartel Noir ! Il lui manque un pied, qu’un saurien foudroyé par une bastos dans l’œil tient encore entre ses dents. De plus, il s’est dégusté deux ou trois valdas dans le corps, ce qui le gêne vachetement pour faire ses abdominaux, l’abdominal homme des neiges.
Il a encore sa connaissance. Son regard froid est fixé sur nous. Il tient un pistolet extra-plat (un Bergougnant-Monpaphe calibre 8) et fait de louables efforts pour le braquer dans notre direction. Seulement ses forces l’ont abandonné et il n’est plus capable de soulever un timbre-poste à zéro franc cinquante (il aurait l’impression de faire des poids et haltères).
Avec dégoût (et des couleurs !), je pattouille dans cette écœurante gabegie : le sang en coagulance, les cadavres, les moribonds et les nombreux débris humains. Me penche sur le zig à la frime de lion agonisant. J’ôte l’arme de sa main et la jette derrière moi.
— C’est plus l’heure de faire joujou avec ce machin-là, bonhomme !
On se regarde. L’approche de l’agonie l’humanise enfin car je lis la peur dans son regard. Oui, lui, l’implacable, le décideur d’exécutions, lui qui a fait périr atrocement tant et tant de gens, il a les flubes, les jetons, les copeaux, les foies, la chiasse noire, les grelots, le traczir, les boules à zéro, les chaleurs, le taf, la mouillette, les chocottes. Un effroi glacé l’investit. Dieu, dans Sa totale et souveraine justice, fait du bourreau terrifiant une victime grelottante de trouille.
Il murmure :
— Il faut me soigner !
Non, tu te rends compte, vicomte ? Me bonnir ça à moi, qu’il allait faire manger tout vivant par des caïmans ! Faut pas chier la honte.
— Vous soigner ? fais-je gravement. En échange de quoi ?
— Je souffre atrocement.
— Est-ce tellement injuste ?
— On doit faire vite !
Je baisse le ton :
— Ecoutez, mon vieux, il y a peut-être une transaction possible.
— Vite ! supplie-t-il.
Mais je ne me bouscule pas.
— Effectivement, dis-je, j’ai eu le temps de parler avec Clay. Il m’a dit qu’il a été mis à mort, lui et ses compagnons, parce qu’ils avaient surpris un terrible secret, seulement il est mort sans m’en dire plus. Vous me racontez de quoi il s’agit et on réclame un hélico sanitaire qui viendra vous chercher sur le pont et vous conduira en clinique. D’ici une heure vous pouvez vous trouver sur une table d’opération. C’est une proposition intéressante.
— Je n’ai pas le droit, balbutie-t-il.
— O.K., mon vieux. En ce cas bonne crève !
Je me tourne vers mes deux potes qui assistent à l’entretien.
— On y va, les gars ? Cet endroit finit par me rendre neurasth !
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