SAN-ANTONIO
AUX FRAIS DE LA PRINCESSE
Roman matelassé
A Toi
à Moi
à la Vie
à la Mort
à Corps et
à Cris
à Tire-larigot
à Bon entendeur,
Salut !
San A.
Te fous pas de la gueule des riches, tu ne sais pas ce qui t’attend.
* * *
Il y a des gens que j’embrasse pour ne plus les voir.
* * *
Croire en Dieu ?
Bien obligé, quand on a des enfants.
* * *
L’égoïsme tranquille des peintres.
Lecteur !
Ô mon lecteur !
Mon lecteur patient, mon lecteur égrotant, laminé, souffreteux, meurtri, chiasseux, morbide.
Ô mon lecteur !
Mon lecteur inculte, mon lecteur présomptueux, désemparé, variqueux, redondant, boulimique, foireux, endoctriné, endocrinien, masochiste, constipé, lugubre, inconstant, inconsistant, incontinent.
Ô mon lecteur !
Mon lecteur en rires et en larmes. Mon lecteur qui-s’en-va-tout-seul ! Mon lecteur de misère, de fausse gloire. Mon lecteur à mobylette, en Mercedes (Benz), à pied, à pied d’œuvre, désœuvré, fuyard, mais qui sait mourir pour quarante sous !
Lecteur d’amour et de gueuserie ; enfileur de perles et de sa femme ; mourant de vivre ; chiant en froc ; priant bas ; criant la soif ; pleurant sans cesse.
Lecteur que j’ai épousé il y a lurette et qui me meurt doucement contre, comme le mur est compissé par le chien. Lecteur avide, à vide, lecteur impitoyable qui toujours renaît de ses sens. Lecteur qui me transmet ses descendants pour que je leur donne à eux aussi des cours particuliers d’insolence et de charité. Des cours d’amour. Des cours de baise. Des cours de larmes et de sanglots.
Lecteur que je vois dans ma glace.
Lecteur de si longtemps et de pour toujours, je vais, pour la première fois de ma carrière échevelante, perpétrer de la nouveauté. Puisqu’en premier chapitre de cet ouvrage de bon gré mal gré, je place le dernier du précédent [1] Allez donc faire ça plus loin.
, pour qu’ainsi la chaîne soit inrompue et que, de la sorte, les deux livres se suivent et ne se ressemblent pas.
Le ministre est assis à son burlingue, les mains croisées. Il a l’air d’un gros bulldog qui fait semblant d’être méchant.
Il me dit, avec un accent qui balance des bouffées d’ail :
— Môssieur le directeur, je vous félicite. Son Excellence, l’ambassadeur d’Israël va arriver dans vingt minutes pour joindre ses compliments aux miens ; il paraît qu’on parle de donner votre nom à une rue de Tel-Aviv !
Il ricane :
— La gloire, non ?
Je sens du persiflage à travers l’ail.
— Les honneurs ne sont que des hochets, répliqué-je.
Le ministre reprend, de sa voix lourde et martelée qui fait penser à un égoutier en train de se déplacer, bottes aux pieds dans son obscur empire :
— Dites-moi, mon cher, qu’est-ce qui vous a valu votre promotion en qualité de directeur de la Police ?
L’attaque !
Je lui souris :
— L’homme étant imbu de lui-même, je m’imaginais que je la devais à mes seuls mérites, monsieur le ministre. Mais si elle vous semble injustifiée, je tiens ma démission à votre disposition.
Il plisse son groin pour « Guignols » de Canal +.
— Ne prenez pas la mouche, mon cher. Vous le savez, j’ai mon franc-parler.
— Qui donc l’ignorerait, monsieur le ministre ?
Il hoche sa forte tête et une expression ricaneuse éclaire d’une fausse joie son lourd visage de bûcheron de la politique.
— Le président de la République aurait des faiblesses pour vous, crois-je savoir ?
— Tous les monarques ont de l’indulgence pour les bouffons.
— Parce que vous en êtes un ?
— Disons que ma désinvolture peut le faire croire.
— Môssieur San-Antonio, savez-vous que vous n’êtes pas à votre place, actuellement ?
— Je me le dis parfois avec assez peu de verve, conviens-je.
— Et savez-vous pourquoi ? Parce que vos mérites, dont vous venez de parler, sont trop grands. Vous êtes un homme d’action, mon cher, et vous le prouvez abondamment ; un héros moderne sans cesse en train de guerroyer et dont le cul n’est pas à sa place dans un fauteuil pivotant. Bayard n’aurait pas pu être Richelieu.
— Conclusion, je démissionne ?
— Conclusion, je vous décharge de vos actuelles fonctions pour vous en confier d’autres qui conviendront bien mieux à votre tempérament.
— Intéressant, et de quoi s’agit-il, monsieur le ministre ?
— De fonder un corps spécial de police.
— Parallèle ? Comme l’était le S.A.C. ? Une section spéciale placée sous votre contrôle et qui fonctionnerait avec des fonds secrets ? Une légion romaine prête à toutes les actions ? Non, merci, monsieur le ministre !
— Ce que vous êtes soupe au lait, monsieur San-Antonio ! Vous avez une piètre opinion de moi. Il n’y a rien de secret dans mon projet, rien de « parallèle » comme vous le dites et je vous fous mon billet qu’il aura l’approbation de votre cher président.
— Mon président est également le vôtre, monsieur le ministre.
— Mais oui, mais oui, mais bien sûr. Ce que je veux fonder, c’est une vaste brigade que vous dirigeriez. Elle ne s’occuperait que des « cas » particuliers, du genre de celui que vous venez de régler. Elle échapperait à la pesanteur administrative, jouirait de prérogatives particulières. L’époque est terriblement dangereuse, monsieur San-Antonio, elle a besoin d’une force de frappe capable d’intervenir vite et fermement. Vous êtes l’homme d’une telle réalisation.
— Il faut que je réfléchisse.
— Naturellement. Prenez tout votre temps et donnez-moi votre réponse ce soir, au cours d’un dîner discret dans un endroit qui le sera aussi.
Diable de bonhomme. Un cas ! Il y a en lui une détermination, une volonté sans compromis que je reconnais.
— D’accord, monsieur le ministre.
— Voyons, monsieur San-Antonio, on ne va pas se livrer à un bras de fer pour vous obliger d’accepter une chose dont vous avez toujours rêvé en secret !
Il éclate d’un rire de marchand de bestiaux venant d’acheter à bas prix tous les bourrins de la garde républicaine.
— Donnez-moi un conseil, mon bon ; qui prendre pour vous succéder ?
— Celui qui m’a précédé, monsieur le ministre ; il était idéal pour tenir ce poste.
— Mais il est à la retraite !
— Il ne demande probablement qu’à rempiler.
— Il est vieux ! objecte encore le ministre.
Je hausse les épaules :
— Sans doute, mais il ne demande qu’à rajeunir !
Je distinguais mal les traits du tennisman car il avait la tête penchée pour faire rebondir sa balle au sol une sixaine de fois avant d’engager. Je m’arc-boutais pour subir l’arrivée du projectile et le contrôler autant que faire se pouvait.
Le joueur se redressa avec une sorte d’exultation annonciatrice de victoire. C’était Courier, avec sa casquette blanche et sa blondeur de tomate mûre.
Son fin visage d’intellectuel surmené avait perdu sa pâleur coutumière et évoquait le drapeau japonais peint par Van Gogh. Il arma son épaule, son bras, et me virgula une tatahouète capable de pratiquer une brèche dans la coque du Jeanne-d’Arc . Néanmoins, il ne fit pas un ace puisque je reçus la boule jaune entre les yeux (luxe que M. Jean-François Le Pen ne peut s’offrir, le pauvre) et que j’étais à deux mètres de la ligne.
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