San-Antonio
Tarte à la crème story
Roman chef-d’œuvre
J’aime beaucoup la Bulgarie, qui est un pays charmant aux traditions folkloriques pittoresques.
Si j’y ai situé l’histoire de cette tarte à la crème, c’est uniquement parce qu’on y fabrique du yaourt.
J’espère que mes copains bulgares comprendront la plaisanterie.
Cela dit, s’ils ne la comprenaient pas, ça n’aurait aucune importance.
San-A.
PREMIER CHAPITRE D’UNE GRANDE BEAUTÉ, TRÈS PERCUTANT, ET QUI DONNE ENVIE D’EN SAVOIR DAVANTAGE.
Alex Andri était ennemi du bruit, et tout particulièrement de celui qui vous agresse salement sitôt que vous actionnez le bouton d’un transistor. Il détestait la musique actuelle, les chanteurs vociférants, la pube miséreuse, et autres déconnes ; pourtant, il martyrisait ses tympans plusieurs heures par jour afin de se contraindre à tolérer l’époque. Comme un prisonnier s’efforce d’arpenter les six mètres carrés de sa cellule pour garder la forme, lui s’obligeait à entendre le vacarme des ondes, histoire de s’aguerrir. Mais de tout son sens auditif meurtri, il regrettait Fascination et O sole mio , deux airs-clés de sa longue existence.
Alex Andri dirigeait H.E.C. : l’Institut des Hautes Etudes Criminelles dont il était le fondateur, le directeur et l’unique enseignant. Accessoirement, il avait une officine d’imprésario chargée de commanditer des hold-up intéressants, mais cette branche annexe cessait peu à peu toute activité, car les temps devenaient impropres à ce genre d’entreprises, étant donné le manque de correction dont faisaient preuve les malfrats d’aujourd’hui. Alex s’était laissé fabriquer comme un cave à plusieurs reprises par des merdailleurs frais émoulus de centrouse qui avaient appliqué à la lettre ses directives, usé de son matériel, et pris le large sans lui donner de leurs nouvelles, une fois le coup exécuté. Au contact de ces garnements amoraux, le vieux Andri se sentait tourner casserole et faisait de la cellote dans sa taule en délabrance, rognant sur ses besoins pour ménager ses revenus, ne donnant plus que rarement des cours à des jeunots évasifs qui venaient carillonner à son petit conservatoire du crime, plus pour y déterminer leur orientation que pour s’instruire vraiment. Car si Andri avait perdu la main dans pas mal de domaines, du moins avait-il conservé cet œil infaillible qui lui permettait de situer la spécialisation possible d’un apprenti-truand.
Au bout de quelques séances, il lui mettait la main sur l’épaule :
« Petit, je vais te parler en père, le cassement, ce ne sera jamais ton turbin, tu manques trop de réflexes. Par contre, ton calme et ta sûreté de pogne m’induiraient à te conseiller les faux talbins. T’es doué pour le dessin. »
Ou bien, à un autre :
« Tu devrais usiner dans le craquage des coffiots, gars, visiblement t’as des dons pour tout ce qui est serrure. »
Ainsi allait la fin de vie paisible du vieil Andri, dans sa vétuste maison d’Aubergenville qui sentait le moisi et bruissait des mille chuchotis du courant d’air en baguenaude.
Ce jour-là, un matin nonchalant, gris et douceâtre, on sonna à la porte de l’Institut. Le dabe se contraignait à écouter Choucroute Jérôme sur Europun ; un énergumène plus épileptique que les autres qui eût été davantage à sa place dans un cabanon que dans un studio d’enregistrement.
Alex baissa les glapissements du dingue, mais des hurlements ne peuvent jamais vraiment faiblir par le simple fait d’une chute de niveau : ils demeurent hurlements.
Le directeur d’H.E.C. s’en fut déboucler sa lourde à un assez bel homme au regard chaleureux et perspicace dont le sourire aisé annonçait qu’il se trouvait bien dans sa peau.
Andri le jaugea, apprécia la personnalité du visiteur et demanda :
— C’est pour quoi ?
— J’aimerais prendre des leçons, annonça le visiteur.
Le Vieux approuva, satisfait. Il entraîna l’arrivant dans une pièce pleine d’humilité et d’humidité et lui désigna un fauteuil de rotin, un tant soit en pas de vis. Lui-même prit place derrière un bureau métallique rouillé aux angles et croisa ses mains en décharnance sur un grand buvard couvert de graffiti machinaux.
— Des leçons de quoi ? demanda-t-il.
Son vis-à-vis le considérait d’un air à la fois amusé et attendri.
— On m’a beaucoup parlé de vous, mais je connais mal votre cycle d’études, monsieur Andri.
En soupirant, le père Alex tira sur la manette branlante d’un tiroir récalcitrant. Il eut du mal à l’ouvrir, y parvint, et se mit à farfouiller dedans. Il ramena une feuille de papier porteuse d’un texte ronéotypé, qu’il tendit à son « client ».
Ce dernier lut :
Institut des Hautes Etudes Criminelles .
Direction : Professeur Alex Andri, titulaire de seize condamnations, dont cinq en assises .
Cours de :
Vol à la Tire .
Vol avec Effraction .
Lavage de Chèques .
Hold-up .
Recel .
Faux-Monnayage (jusqu’en classe de 6 eseulement) .
Braquage .
Escroqueries en tout genre .
Détournement de fonds .
Cours préparatoires pour l’entrée en classe de Meurtres à gages .
Attestations d’anciens élèves :
Merci, cher monsieur Andri, grâce à votre enseignement, je sens que ça va chauffer.
Dr. PETIOT
Un grand coup de bada à Alex qui m’a permis d’arriver où je suis.
Pierre LOUTREL (dit Pierrot-le-Fou)
Toute ma reconnaissance à Alex Andri qui m’a tenu la main pour tracer mes premières encoches sur la crosse de mon P 63.
Jacques MESRINE
Le visiteur lut et approuva.
— Très intéressant, fit-il.
— Laquelle de ces spécialités vous tente ? demanda le directeur d’H.E.C.
— Celle à laquelle j’aspire ne figure pas sur le catalogue, répondit l’homme de charme.
Le Dabe déglutit tant bien que mal. La voix de chacal piégé de Choucroute Jérôme lui parvenait depuis la pièce voisine, chiante comme une scie circulaire affrontant un nœud dans le bois.
— Qu’entendez-vous par là ? demanda-t-il d’un ton piteux, car il espérait beaucoup de cet homme bien mis dont les manières n’étaient point celles d’un truand.
Pour éclairer sa lanterne (sourde), le visiteur extirpa de sa poche une coupure de presse sur deux colonnes, au papier passablement jauni [1] Et je te demande pardon pour ce « passablement » médiocre, moi qui raffole tant des adverbes.
.
Alex chaussa des lunettes dont les branches plus ou moins disloquées partaient dans tous les sens comme les jambes d’un pantin de son. Il lut à haute mi-voix : « La police met fin aux exploits singuliers d’Alex Andri dit “ Le Lanceur de poignards” . »
Au lieu de lire l’article dont il se souvenait parfaitement, bien qu’il datât d’une trentaine d’années, Andri interrogea son interlocuteur du regard.
— A cette époque, professeur, vous aviez mis au point une astuce diabolique, fit ce dernier : vous lanciez un poignard porteur d’un message à l’intérieur d’une maison. Sur le message, il était recommandé d’accrocher immédiatement une somme donnée au manche du poignard, lequel continuait d’être relié à vous par un fil de nylon. Si la victime obtempérait, vous haliez le tout. Si elle refusait, vous lanciez alors un second poignard muni d’un explosif et ça pétait dur chez votre bonhomme. Oh ! pas de quoi réduire le quartier en poudre, mais enfin on a enregistré à l’époque pas mal de dégâts corporels autant que matériels. Vous avez réussi cet exploit au moins sept fois avant de vous faire piquer par un passant héroïque. Il y a toujours des Bayard à la traîne.
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