Il a encore la force d’un ricanement.
— Dis vite ! je supplie…
Il sourit imperceptiblement.
— T’es encore plus pressé que moi, poulet !
Je réponds à tant de cynisme par du cynisme…
— C’est que moi, j’ai un rapport à faire, tu piges ?
Il grommelle une vague imprécation et ferme les yeux. Je me traite de gland et je me dis que je mériterais de me faire aimer… Il va claquer sans finir son historiette… Bon, il m’a du moins bonni l’essentiel. Avec ça je peux finir la chasse tout seul.
Un coup de sonnette vrille le silence qui s’est établi…
— Tiens, pour toi ! fais-je… On va t’emmener à l’hosto… Un vrai pacha !
Il ne répond pas…
Je vais ouvrir à la délégation bignolon qui poireaute sur le paillasson avec un brancard pliant sous le bras.
— Arrivez, je dis… Manœuvrez le zigoto avec soin, il a eu une explication avec une cheminée de marbre et c’est la cheminée qui a eu le dernier mot…
Ils s’empressent, déplient leur bouzin, et saisissent Colombani par ses extrémités.
— Non, fait ce dernier… Ecoute…
Je leur fais signe de stopper la manœuvre et je me penche sur lui.
— Brioux nous a indiqué Pauvel… C’était l’homme qu’il nous fallait… Il le connaissait… C’était lui qui chambrait Triffeaut ; Triffeaut faisait partie de… ses… c…
Sa voix devient pâteuse…
— Les images, je ne sais pas. Devait les avoir sur lui, en avait remis une à la vieille avant… la convertir…
Il soupire… Ses yeux vacillent.
— Emmenez-le ! dis-je.
Les gars le chargent sur la civière.
Alors, Colombani a ces derniers mots tellement faibles que je dois être le seul à les entendre :
— Tu penseras à moi, à huit heures !
On l’embarque. Je regarde s’éloigner le cortège.
Je palpe mon crâne douloureux. Derrière il y a une bosse grosse comme une aubergine, j’ai l’impression que ma hure vient de faire philippine.
CHAPITRE XXI
POUR UN… DESSUS DE CHEMINÉE
Je me passe la coquille sous le robinet d’eau froide de la cuistance ; je dis adieu à la bouteille de rhum et, molo, je quitte cette inhospitalière demeure.
Au moment où je débouche dans la rue, j’ai l’idée de consulter mon oignon. Ma montrouze affirme six heures. Je n’en reviens pas. J’ai fait un drôle de séjour dans la purée, hein ? Cinq heures en tout, je viens de passer une drôle de noye. Notez qu’elle n’est pas encore finie…
J’ai des vertiges ; par moments des étincelles d’or font le grand soleil devant mes yeux, mais l’air me fait du bien. Je monte dans mon char en prenant soin de baisser les vitres. Envoyez-moi le simoun pour me rafraîchir un peu la frite. Je me découvre dans le rétro, pas frais du tout… J’ai le genre merlan laissé pour compte… Si mes admiratrices me reluquaient à cette heure, elles feraient changer leur numéro de téléphone !
Je mets le cap sur Villejuif parce que je voudrais tout de même dire deux mots à Pauvel. En voilà un qui me court sur les claouis avec toutes ses combines d’héritage à retardement et d’assurances falsifiées.
Son affaire, notez, je la pige admirablement. Son osier étant, par le machiavélisme de sa première femelle, suspendu à la vie de la mère Permezel, il était presque normal qu’il pare au coup du sort. L’astuce de l’assurance-vie, bien qu’étant vieille comme le préservatif molletonné, s’imposait… Il a corrompu Triffeaut. Celui-ci, tout compte fait, était bien le pauvre tordu que j’avais estimé au premier regard à sa photo. Pour l’avoir, il n’a pas eu recours à l’artiche, mais à la crédulité… Triffeaut, obscur et malheureux bougre, était bien le genre de patate à s’embrigader dans une religion secrète ! Pauvel connaissait Brioux, à travers lui, il a eu raison de l’honnêteté du petit assureur… Triffeaut faisait partie des lucyfériens. Si son nom ne figurait pas sur le carnet, c’est tout bêtement parce qu’après son assassinat, Brioux, prudent, avait supprimé la page qui lui était consacrée…
Maintenant reste à savoir pourquoi la bande… ou plutôt l’Organisation, a mis Brioux en l’air, Brioux qui était son allié ? Etait-ce pour isoler plus complètement Pauvel ou bien…
Je pousse un cri : Eurêka ! s’écrierait le docteur Schweitzer en confiant un pistolet à fléchettes à un négrillon. (Le négrillon du foyer, comme dirait… Dickens.)
On l’a ratatiné à cause de moi ! Probable qu’après mon intervention de dimanche à la mosquée privée de Brioux, celui-ci a eu sérieusement les chocottes. Il s’est dit que ça allait fumer pour sa poire et il a rendu ses billes. Seulement il en savait trop et…
Pardine, cette bonne pomme ! Après mon départ il a alerté ses copains et ceux-ci qui connaissaient sa couardise ont préféré lui faire avaler son extrait de naissance. Vite fait…
Tout en échafaudant ces hypothèses de complément, je parviens devant les « Etablissements Pauvel ».
Pourvu qu’il soit là, le boss ! Je ne suis pas curieux, mais j’aimerais bien savoir — non seulement pourquoi les femmes blondes — mais aussi ce que l’industriel refusait aussi farouchement à la bande Bolak pour que celle-ci use de moyens de pression aussi violents !
La rue est engourdie dans l’aube. Il fait encore nuit, mais déjà l’éclat des lampes pâlit.
Çà et là, des ouvriers à bicyclette passent, emmitouflés dans du mouton.
J’avise une silhouette sous un porche, près de l’entrée de l’usine. La silhouette d’un homme qui guette. Sans doute est-ce le boy-scout que Mignon a dépêché ici sur mes conseils ?…
Je décide de demander au gars ce qu’il a vu. Il peut m’apprendre des choses intéressantes, faut vérifier…
Je m’approche de lui et j’ai la surprise de découvrir Georgel. Un Georgel frigorifié, verdâtre, avec le nez rouge, les yeux embués et une morve du style stalactite.
— Et alors ? je m’exclame.
— Je démissionne, aboie-t-il… C’est pas une vie ! Je dormais, le commissaire me téléphone de venir prendre la planque ici sous prétexte que je connais Pauvel ! Voilà cinq heures que je fais le con, avec un pardosse demi-saison… C’est plus un métier. Si je veux me suicider, j’ai un pétard, ça va plus vite et on n’a pas le temps de penser…
— Bon, lui dis-je, t’as le feu sacré…
— Foutez-vous de moi !
— Allons, Georgel, pense que je suis ton supérieur, tant sur le plan hiérarchique que sur celui de l’intelligence…
Il admet. Aux subalternes faut toujours parler le langage énergique des chefs, de ceux qui crient : « En avant » et qui braquent leurs jumelles pour voir évoluer la vague d’assaut.
— Quoi de neuf ?
— Pas grand-chose… Vers deux heures un type est venu…
— Un petit, large d’épaules ?
Il est stupéfait.
— Comment vous le savez ?
— J’ai un petit doigt qui me dit tout ! Ensuite ?… Il est entré comment ?
— Il a sonné. Quelqu’un lui a ouvert…
— Pauvel ?
— J’ai pas pu voir, d’ici on ne plonge pas à l’intérieur…
— La visite a duré longtemps ?
— Lali-lala…
— Excuse-moi, je comprends pas le papou.
— Ben… un quart d’heure, à peu près…
— Et après ?
— Le type est reparti…
— Seul ?
— Oui.
Je réfléchis un bref instant.
— Ecoute, Georgel, écoute bien… Lorsque le mec a filé, avait-il un paquet, ou quelque chose sur le bras qu’il n’avait pas en arrivant ?
— Tiens ! Oui, dit Georgel… Il est parti avec un machin argenté à la main… De loin j’ai cru que c’était un motif de cheminée… C’est idiot hein ? Il l’a mis dans sa poche… C’était dur à rentrer… Puis il est remonté dans sa bagnole…
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