SAN-ANTONIO
RENIFLE, C’EST DE LA VRAIE
Roman presque littéraire,
mais pas chiant du tout
A Jacques ATTALI,
bienveillante flamme,
ces nouvelles élucubrations,
avec ma tendresse spontanée.
San-A.
Il n’est pas absolument nécessaire d’être con pour vivre parmi des cons. J’ai essayé : on peut !
San-Antonio
PREMIÈRE PARTIE
ENFANTILLAGES
L’agent était gros, débraillé et sanguin. Il avait du mal à boutonner sa veste d’uniforme et son képi était trop petit d’au moins deux pointures. Détail insolite : il portait des chaussures beiges. Son poids faisait gémir les degrés de l’escalier de bois verni du petit immeuble de la rue Saint-Denis. En gravissant les marches, il regardait onduler devant lui le cul rebondi de la grosse Cléopâtre, nu sous un tutu de gaze rose, que la perspective ascendante rendait inefficace au plan de la pudeur.
Le fessier de la dame pute se zébrait de profondes vergetures qui faisaient songer à une vue aérienne d’oueds à sec méandrant dans un sol saharien.
L’agent eut envie d’avancer le tranchant de sa dextre entre les énormes miches qui flottaient à sa portée. Il pressentait le gouffre d’une babasse défoncée de longue date et la souhaitait humide à point. Mais comme il se trouvait en service, il eut suffisamment de force de caractère pour juguler ses bas instincts.
Ils atteignirent le second étage. La grosse Cléopâtre enquilla sa clé dans la serrure et délourda à la volée.
— Donnez-vous la peine d’entrer, m’sieur l’agent ! invita la prostituée.
Le représentant de la loi pénétra dans un studio de travail sobre mais fonctionnel, meublé d’un lit bas, d’une petite table en bois cérusé, d’une chaise et d’un fauteuil. Aux murs, il y avait un très grand miroir (près du lit), quelques portemanteaux sur chacun desquels pendait un fouet, plus un poster encadré représentant Tino Rossi dans Méditerranée .
Un homme dépantalonné se prélassait sur le lit : un rouquin à tronche d’Irlandais, moins que pas beau, avec des yeux pareils à deux crachats de sanatorium. Il tenait à deux mains une bouteille de gin, à demi pleine, ou à moitié vide, selon qu’on fût optimiste ou pessimiste. Il considéra l’intrusion de l’agent sans émotion apparente et n’eut même pas la réaction de voiler le paf de moyenne dimension qui pendait entre ses cuisses rosâtres.
— Voulez-vous-t-il me ritérer vos indoléances devant môssieur, mon chou ? fit le gardien of the peace à la prostipute.
Docile, la grosse Cléopâtre déclara :
— C’t’enviandé d’merde m’a s’coué le talbin de deux cents pions qu’il m’avait affuré avant la passe. L’est été le reprendre dans mon sac et comme je me terposais, y m’a filé une mandale en pleine poire. Visez, m’sieur l’agent, j’ai encore la marque sous la paupière. Voiliant cela, j’ai couru chercher de l’aide en prenant la précaution d’enfermer à clé ce vouistiti.
L’agent se tourna vers le client.
— Vous r’connaissez les faites ? demanda-t-il avec une sévérité briquée à mort.
Le rouquemoute hocha la tête.
— Naturellement, je les reconnais. Ce qu’elle oublie de vous préciser, c’est qu’elle ne m’a pas fait jouir. Une supposition, monsieur l’agent, que vous fassiez venir le plombier chez vous. Il ne touche pas à votre fuite, mais vous présente sa note, vous seriez d’accord pour payer, vous ?
Embarrassé, le gardien de la paix coula un regard indécis vers la plaignante.
— Il n’a pas pris son pied ? s’enquit-il.
Furieuse, la grosse Cléopâtre explosa :
— C’est de ma faute, moi, m’sieur l’agent, si ce gougnafier est nase de la membrane ? Ecoutez, je vous fais juge : pour commencer, j’l’ai laissé m’ôter l’slip comme il le voulait. N’ensuite, il m’a procédé lui-même à mes ablutions intimes sur le bidet. Déjà, ça dénote, non ? Mais passons. J’ai voulu le démarrer à la manivelle, mais j’ai pris une crampe au poignet sans qu’ sa chique bronche d’un n’iota. Je m’ai dit que j’aurais plus de chance en l’entreprenant à la pipe. Voilà un dividu que j’ai pompé pendant un quart d’heure, montre en main, m’sieur l’agent, et qui m’est resté avec la zézette comme un bout de caoutchouc fusé. Et vous pouvez enquêter, s’il y a une chose que la grosse Cléo se défend, c’est au turlu ! Quand je m’expliquais dans le clandé de Mme Denise, boulevard de Courcelles, j’ai gagné un championnat du quartier. Vous viendriez chez moi, je vous montrerais ma coupe que c’est marqué dessus !
« Cette bourrique de Rouillé, j’y ai consacré trois quarts d’heure, montre en main, m’sieur l’agent. J’ai tout tenté parce que moi, la conscience professionnelle, c’est sacré. Je me suis même bricolé un solo de banjo pour tenter l’impossible, lui amadouer la biroute. Rien ! Et ce saligaud qui repique son flouze au bout de tous ces efforts ! Non, mais quel siècle qu’on vit, m’sieur l’agent ! Déjà qu’on assassine les vieilles dames ! Tenez, pour vous montrer le jusqu’où j’suis été : “Crapule” », hurla-t-elle.
Un caniche nain sortit en rampant de sous le lit bas.
— Crapule me vient à la raie-secousse des fois, expliqua la fille. Je mets de la confiture de groseilles sous les roustons du clille et mon cador se délecte. Généralement, pas un gus résiste à sa petite langue râpeuse. Allez regarder les bourses de cet enfoiré de merde, m’sieur l’agent. Vous découvriez encore des traces de confiture. Et c’t’ignobe vient me secouer mon flouze si durement gagné ! Vous y trouvez juste, vous ? Mais moi, un coup pareil, je vote Le Pen, la prochaine fois, m’sieur l’agent ; je préfère vous le dire sans jambages ! Si doit y avoir que Le Pen pour nous tirer de la gadoue, ben y aura Le Pen, à quoive bon démordre ?
— Mais bordel ! j’ vous dis qu’elle m’a pas fait jouir, m’sieur l’agent ! glapit le client.
La pétasse allait repartir dans les égosillances, mais l’agent stoppa ses cris.
— Laissez, on va lui prouver que s’il gode pas, vous n’y êtes pour rien, déclara-t-il.
Il s’assit dans le fauteuil, allongea ses jambes en fourche et dégoupilla sa braguette.
— Taillez-moi un p’tit calumet, qu’on voye, maâme Cléopâtre, demanda-t-il. Si c’t’individu constate que j’y vais d’mon voiliage, il s’ra bien forcé d’admett’, non ?
Et il dégaina, non sans peine, de ses braies, un paf d’une telle ampleur que la pute et son client, un bref instant réconciliés par la stupeur, poussèrent le même cri incrédule.
Vaincue par la justesse du raisonnement, la grosse Cléopâtre s’agenouilla entre les jambes de l’agent, la gueule béante comme celle d’une gargouille gothique et entreprit de l’éponger.
Elle n’eut pas à s’employer beaucoup. Au bout de quelques instants, l’agent déclara d’une voix maîtrisée :
— Gare aux taches ! La cervelle de l’homme part à dame !
En grande professionnelle, Cléopâtre tint compte de l’avertissement charitable et termina manuellement ce qu’elle avait entrepris par manigances buccales. Il s’ensuivit très rapidement un lâcher franc d’une rare abondance et d’une surprenante intensité. Le client récalcitrant et la pute considérèrent ce presque génocide d’un regard incrédule.
Le gardien de la paix poussa un profond soupir et entreprit de désarmer son énorme sexe, un peu comme un adepte du ballon dirigeable dégonfle et roule l’enveloppe de son engin avant de la charger dans la remorque de sa voiture. Il remit son service trois pièces en place et, apostrophant le client indélicat :
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