— Très fort, Pinaud, le complimenté-je.
Le fossile se décape des grumeaux dans la gargante et bêle son rire frileux et triomphant. Un rien le comble !
— A toi, Béru, qu’est-ce qui te fait tiquer, là-dedans ?
— Mon nom, répond-il du tacot au tacot.
Et alors là, vraiment bravo. Moi aussi, ça me fait renâcler. Comment se peut-il que les membres de cette fumeuse organisation aient pu percer l’identité du Gravos ? Ça soulève des perplexités, une pareille question, non ?
— Une remarque, monsieur Blanc ?
— Elle concerne la rédaction du billet. A première vue, on pourrait penser que ces caractères bâton sont chargés de travestir une écriture. Moi, je prétends qu’ils constituent l’écriture de quelqu’un. Voyez comme ils sont tracés avec aisance. Comme ils sont rapides, coulés. Ce sont les dessinateurs, les publicistes, les architectes qui manient ce genre de caractères. Si vous voulez mon avis, ils vont bien avec le carton à dessins que portait l’adolescente.
— Là aussi, bravo ! fais-je. Moi, je vais apporter ma petite pierre à l’édifice. Elle a rapport au nom de l’organisation. Le Dabe a déclaré que cela sentait son voyou de banlieue, je ne partage pas ce point de vue. Des loubards ne constituent pas des « organisations », mais simplement des « bandes ». Une « organisation » c’est romantique, quelque part. Cela implique une connotation plus ou moins philosophique. Je suis convaincu que ce sont des jeunes qui ont fondé celle-là, mais des jeunes appartenant à des milieux aisés. Je vois très bien des traîne-patins de facultés, plus ou moins alcoolisés ou schnouffés, organiser ce genre de « réseau ». Des idéalistes qui, sitôt qu’on les aura arrêtés, prendront conscience de la gravité de leurs actes et deviendront des loques.
— Comment t’est-ce ils ont pu t-avoir mon blase ? insiste Sa Majesté.
— J’ai ma petite idée, murmuré-je.
— Dis-nous-la-nous, implore « l’agent de police » Bérurier.
J’hésite, puis secoue la tête.
— Navré, mes drôlets : elle n’est pas « à point ». Les fruits, quand tu les cueilles encore verts, ils achèvent de mûrir loin de leur arbre ; pas les idées !
Le Dabe en golfeur, il est un peu sublime sur les bords. Dans les tons vert, si vous voulez bien vous donner la peine de suivre mon regard étincelant d’intelligence. Vert et jaune, plus de ci et là, une tache feuille-morte. Tu le flashes et t’obtiens la couvrante du magazine Men . Pour moi, le golf est un sport avec lequel les gens huppés (ou feignant l’être) font joujou. Je les regarde arpenter le green , à longues enjambées et je me marre. Ils forment des petits groupes toujours saboulés de première, avec des mines anxieuses, voire simplement graves. Des esclaves coltinent leur ferraille à la con. Le groupe stoppe, se met en arc de cercle. De loin, on croirait un déplacement de justice en pleine reconstitution. Tout ça paraît très important. Et puis t’as un glandu qu’écarte légèrement ses nougats et qui se met à balancer son fer comme une ziquette de cheval avant de sabrer la petite balle blanche. Tous les assistants lèvent la tête pour la suivre du regard : « Oh ! la belle bleue ! ». Qu’après quoi, le silencieux cortège reprend sa marche en rase campagne vers des monticules perfides, des embûches de Noël, des étendues salement sableuses. Moi, je préfère le Tour de France dans l’Alpe homicide, ou bien le tournois de Roland-Garros, voire celui des Cinq Nations. J’aime qu’on s’emploie pour de bon. Balancer une balle et se mettre à sa recherche, c’est glandu comme idée. Juste le moment de la foutre dans le trou qui est marrant, parfois, et encore ! J’ai horreur de l’afféterie. C’est pourquoi, ces élégants maniérés, avec leur carquois plein de cannes superflues, qui « peutent » plus haut que leur cul, j’ai un peu honte, comme si souvent le long de ma vie, quand je vois pleurer ceux qui devraient rire et bouffer ceux qui devraient maigrir.
Et de découvrir Achille dans sa tenue esbroufante, se donnant l’air anglais comme si sa gueule de vieux pédant ne lui suffisait pas, ça me fout spontanément des ulcérations dans l’épigastre.
Il est en compagnie d’un couple digne de lui. Deux vieux birbes cotés en Bourse. Bouches cul-de-poule, la dame, feutre à plume de faisan. Elle parle en dessous de ses poumons et son regard asperge de la merde de son mépris tout ce qui n’appartient pas à son monde.
Son birbe se prépare à jouer. Il cherche un fer adéquat, pas rater le coche, tu parles. Il soupèse, hésite, consulte son caddie par monosyllabes (il mérite pas davantage !) Un chirurgien qui va se lancer dans une transplantation cœur-poumons-foie-reins-rate-anus. « Je prends ma scie égoïne ou mon sécateur deux vitesses ? »
La vieille peau qui m’a retapissé murmure d’un ton fantastiquement ulcéré :
— Quel est cet individu qui se permet de se promener au beau milieu du green , très cher ?
Le Vioque se retourne et m’asperge.
— Ah ! diantre ! exclame-t-il avec simplicité. Vous permettez, chère Marie-Rose ?
Et il se pointe à mon avance, avec un regard à la fois encuriosé et mécontent.
— Qui vous a dit que j’étais ici, San-Antonio ?
— L’une de vos femmes de chanvre, monsieur le directeur, j’y réponds histoire de me marrer.
Que j’adore déformer les mots pour causer aux pompeux. C’est comme des bras d’honneur mignonnets que je leur tire, tu comprends ?
— Cela urgeait tellement ? maussade-t-il.
— Je le crois sincèrement, monsieur le directeur, sinon je ne me serais jamais permis de venir troubler vos performances.
La vieillarde prénommée Marie-Rose (la mort parfumée de l’époux) louche dans notre direction.
— Rien de fâcheux, bon Achille ? elle s’inquiète.
Bon Achille lui adresse un baiser du bout des doigts.
— Je ne le pense pas, ma tourterelle.
Comme il surprend mon regard ironique, il me chuchote : « C’est les Rousselin-Rousselon, des grosses filatures du Nord. »
Moi, incorrigible, de chuchoter à mon tour :
— Et la filature, ça vous connaît, patron !
Bon, est-ce qu’il doit rire d’une aussi indigente boutade ? Non, pas en tenue de golfeur. Il fronce son tarbouif d’aristo et assure la visière de sa gâpette escamoteuse de calvitie. C’est vrai que sans son pain de sucre, il paraît six mois de moins, Chilou.
— Eh bien ? s’impatiente-t-il.
Le duraille c’est de lui balancer mon vanne.
— Monsieur le directeur, à qui avez-vous parlé de l’opération Bérurier ?
Là, il rebiffe sec :
— Non mais, dites donc, Antonio, vous me questionnez, ma parole !
— N’appelez pas cela un questionnaire, patron. Il s’agit d’une information secrète, chuchoté-je si bas qu’il sort son petit canif d’or pour se couper les poils des oreilles afin de mieux m’entendre.
— Mais, que diantre…
Je ne laisse pas éclore et se développer sa rogne.
— Ce que je vous demande est de la plus haute importance, monsieur le directeur. Je n’ai pas le temps de vous importuner en ce lieu où vous accomplissez des exploits nécessitant une formidable concentration. Le « piège » Bérurier a été éventé. Comme nous avions pris d’infinies précautions pour qu’il restât secret, j’en conclus que vous l’avez fatalement révélé à des gens, collaborateurs ou supérieurs, pour, je le conçois, calmer le souci que leur cause cette épidémie d’assassinats.
Je le cadre droit aux prunelles, sans ciller, et ma voix, quoique basse, est d’une froideur inusitée.
Pépère sent qu’il ne peut pas se dérober. A trois mètres de là, son ami textilateur Gaston Rousselin-Rousselon vient de shooter. Un bruit de branche morte brisée net. La morue vénérable assortit le coup d’un commentaire pas bandant.
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