— Ecoute, dis-je, tu vas me crever, et après ? Y a rien de plus mauvais que de dessouder un matuche ! Ça porte malheur ! Toute la maison parapluie se met à la chasse à courre ! On n’aime pas se faire buter dans la profession… C’est pas convenable. Réfléchis-y.
Il pense à ce que je lui distille dans les manettes, Bolak. C’est pas une rave.
Je renforce ma situation.
— Autre chose, mes chéris, vous savez que les bignoles vont par deux, comme les saucisses, alors j’ai un aminche dans la strass. Comme il commence à se faire vieux et que c’est un gars qui connaît son tapin, il va prendre les dispositions qui s’imposent… Ça m’étonnerait qu’il ne soit pas en train de se remuer le panier.
Colombani va directo à la fenêtre pour bigler à l’extérieur. C’est humain.
Tandis qu’il se détranche, je fais, triomphant, en ponctuant d’un mouvement de menton :
— Ah ! qu’est-ce que je disais !
Bolak se détourne instinctivement et je lui fonce dessus, bille en tête.
Il prend mon coup de boule en plein bureau et pousse un cri rauque.
Alors le cirque commence. Comme il a reculé sous le choc, je me redresse et je lui file un jeton mahousse comme l’Annapurna dans la caisse enregistreuse. Il part à dame !
— Premier service ! j’annonce.
Et je fais face à Colombani. Lui, il n’a pas perdu de temps non plus ! Il a compris le topo et défouraille à toute prune ! Son silencieux fait merveille. Pas plus de pet que lorsque vous débouchez une boutanche de Cordial-Médiocre ! La valda me rase les crins et va miauler dans la boiserie.
Je me fous à terre. C’est le moment de se protéger parce qu’il vase de la mitraille en grosse quantité. C’est pas un soufflant qu’il a, l’assassin de Brioux, c’est une machine à distribuer des bouts d’acier calibrés.
Toute sa bonne marchandise il me l’expédie franco de port. Heureusement il est gêné par la masse de Bolak qui est entre nous et, pour ne pas le sucrer, il tire un peu haut… L’escadrille du P.38 me fouette les fringues only. Sa mécanique est vide. Faut pas lui donner le temps de recharger. Je tire mon arquebuse et je le braque. Mais, manque de pot, mon outil ne part pas ! Alors je me traite d’extrait de bidet, de quintessence de naveton, de crêpe avariée, etc., because je me souviens maintenant que j’ai graissé Popof y a deux jours et que j’ai oublié de lui garnir le garde-manger. Vite, je balance mon arme dans la direction de Colombani. Il fait un saut de carpe mais le projectile le cogne tout de même à l’épaule, ce qui freine son bigne…
Je saute par-dessus Bolak. J’attrape le Colombani des familles par la cravate et je le balade de droite à gauche. Il étouffe. Pour se dégager, ce chérubin me file un coup de genou dans les joyeuses. J’en vois trente-six lampions ! J’ai l’impression que mon estomac me remonte dans le gosier et je me retiens in extremis d’aller au refile.
Lui il perd pas son temps. Un atout sur mon pif ! Un crochet à la tempe… Je titube. Ma parole, est-ce que je vais me laisser mettre K.-O. par un malfoutu comme lui ?
Je respire un grand coup et je lui téléphone un coup de saton dans ses moltebocks. J’ai mis toute la gomme ; je suis grand chelem s’il accroche un faux numéro.
Il hurle « Ouïe, hou-là-là ! » ; c’est de la chanson divine pour mes étiquettes meurtries.
Sans perdre de temps, et galvanisé par ses cris, je lui démolis la gargane par un coup de poing en plein gosier. Là il manque d’air, le pèlerin ! C’est l’asphyxie-maison… Tordu en deux, écarlate, il halète et gémit…
Ça m’excite, moi, qu’est-ce que vous voulez ! Une corrida pareille, on n’y participe pas tous les jours ! Et au cinéma c’est du bidon !
Je prends mon temps, je bande bien mes biscotos et je lui mets dans le pif le plus solide crochet du droit de ma carrière. Son naze éclate comme une grenade trop mûre. Il voltige en arrière. Son crâne frappe à toute volée le coin de la cheminée de marbre et il s’immobilise complètement. Une énorme rigole de sang s’échappe de dessous sa coquille. Il a son compte, Colombani. M’est avis qu’il est pas prêt à défourailler sur ses contemporains ! Ah là là non !
Je passe mon bras sur mon front superbement emperlé d’une juste sueur. Quand, tout à coup, il se produit quelque chose. Ce quelque chose, c’est un bruit derrière moi.
J’ai le temps de me dire que Bolak est en train de récupérer… Et puis brusquement ça se produit ! Il y a une explosion immense dans ma tête. Il me semble qu’on vient de me faire partir une cartouche de dynamite dans la noix de coco.
Je pars en avant… Je tends les bras comme un aveugle, et de fait je suis aveugle… Je suis de plus sourdingue comme une terrine de lièvre…
C’est le grand coup de vape. Bolak vient de me filer la crosse de son calibre en bas de la nuque et il n’y est pas allé avec un plumeau, le frère !
Un carillon Westminster tinte allégrement. Puis : rideau !
CHAPITRE XX
LES MOURANTS SONT BAVARDS !
J’ai froid… Un drôle de froid, pas normal… J’ouvre les yeux. Il fait noir. Je suis couché à plat ventre sur du dur, et ce dur, c’est un linoléum. Le froid de cette matière glacée m’envahit. Je claque des ratiches. J’ai le frigoulet…
Ma tête zonzonne comme un bourdon coincé contre une vitre. Ça m’évoque des paysages d’été, de la chaleur, des plantes en plein épanouissement. Ce que je suis poète, tout de même ! Et ce dans les moments les plus saugrenus, hein ?
Je me mets à genoux péniblement. Il me semble que mon dôme pèse une tonne. Il est tellement lourd qu’il va me falloir une centaine de ballons rouges accrochés aux manettes pour m’aider à le tenir sur mes épaules. Oh ! ce que la vie est navrante à certaines périodes !
Un petit bruit me froisse le tympan. Un bruit, régulier, pénible : une plainte…
En titubant je parviens à me dresser sur mes cannes… « Voyons, s’agit de pas paumer les pédales : je suis dans l’appartement de Bolak. Et je suis dans le noir. Seul avec un gars qui geint. Ça ne serait pas moi, par hasard, ce gars geignard ? » Je m’observe : non, je ne pipe mot…
Je craque alors une alouf histoire de prendre une notion plus précise de mon présent.
J’aperçois, devant moi, le corps inerte de Colombani. Probable qu’il est pas canné puisqu’il gémit. C’est là une vérité de La Palice. Mais on a besoin, parfois, de se prouver que la vérité est vraie, particulièrement lorsqu’on a reçu du monde sur la théière comme c’est mon cas !
Je cherche le bouton électroc et je le déniche. Lumière ! Ça me fiche une décharge dans le bol ! Mes mirettes sont tellement affaiblies !
Je regarde autour de moi. L’appartement m’a l’air vide… Bolak s’est barré. Probable qu’il n’aime pas jouer les infirmiers, ce cher homme !
J’avise une bouteille de rhum sur une étagère. Pour bibi c’est le grand mirage. Je me déplace dans cette direction avec peine. Je rafle la boutanche, lui ôte son chapeau et la hisse jusqu’à mes lèvres. A la régalade, mes potes, le Négrita ! C’est chouette et si ça ne guérit pas de la fièvre typhoïde, ça ne la donne au moins pas. J’en écluse la valeur de deux verres à vin et je me sens tout de suite réchauffé. L’eau de feu, c’est une belle invention ! Chose marrante, le rhum me flanque une biture éclair. D’un seul coup, d’un seul, me v’là ratapois ! Je suis obligé de poser mon imperator-rex sur une chaise pour ne pas m’écouter. J’attends comme ça, durant un laps de temps indéterminé… La hure en forme de gyroscope. Puis je récupère aussi vite que j’ai été sonné. La chaleur se répartit dans mon individu, me revoilà potable.
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