— Heureusement qu’on a de quoi rétablir l’équilibre, déclaré-je calmement en dégainant l’un des feux équipés de silencieux ultramodernes butinés sur les malfrats.
— Écoutez, Walti, lui fais-je, on ne va pas déclencher une guerre nucléaire juste pour décider de qui parlera le premier. Nous savons les uns et l’autre des choses qui pourraient peut-être être mises en commun pour le bien de la communauté, vous ne pensez pas ?
Son sourire prélude à son consentement.
— Peut-être, finit-il par admettre.
Et bon, toujours respectueux des coups de théâtre, moi, auteur à chevrons, je décide qu’on sonne à la lourde, et par ma seule volonté, on sonne !
Magique !
Tu devrais larguer ta charcuterie, camarade, et faire écrivain, c’est plus divertissant et tout aussi cochon.
Et Pomponnette est laguche, sémillante, mistifrisée, rieuse, son cador de chiasse sur son bras potelé pavoisé par Van Cleef (sous le paillasson), Cartier, Machinchouette, tous les vaillants marchands de jonc de la 5e Avenue.
Sa frime est pochée comme des œufs en meurette, biscotte les effets retard de la drogue. Elle s’en est morflé pour un paquet d’heures, la mère, sans escale pipi.
Elle est very surprise de m’asperger icigo.
— Oh ! si je m’attendais ! Je venais juste donner un petit bonjour à Walti. Figurez-vous que je me suis endormie dans mon fauteuil, hier, en regardant la télévision, pour me réveiller il y a une heure à peine.
— Entrez, entrez ! lui dis-je, plus on est de fous, plus on rit.
Elle me précède jusqu’au livinge, salue la compagnie. Bérurier se met à loucher d’autor sur les bras de la dadame dont certaines crevardes se feraient de belles cuisses appétissantes.
— Ce toutou est amour, il dit, en avançant la main vers Azor qui, crouic, lui gloupe la paluche.
Une rangée de perles rouges frange la délicate menotte à Messire qui se rembrunit.
— Pas très social, vot’ vermine, chère maâme. Faudrait pas qu’il viendrait me chercher, autrement sinon, j’en fais une grosse tache su’ l’mur, c’qui serait dommage vu qu’il est blanc, c’mur.
La survenue inopinée de la vieille pineuse nous découd l’ambiance. Pile au moment qu’on allait se bricoler un nouveau petit Yalta, les trois, vite fait sur le gaz. Les intempestifs, c’est une pure diarrhée, moi je prétends. Les non-souhaités qui te choient sur le râble au moment où tu as école, on devrait les flanquer par la fenêtre, à condition d’habiter au moins le deuxième étage.
Mme Kaufmann se met à glousser, pire que la duchesse de Gloucester, comme quoi un valet, en lui apportant son breakfast lui a raconté elle ne sait quelle histoire de corne-diable à propos d’un météore jailli de la mer. Elle voulait savoir ce qu’en pensait Walti.
Le Noir répond en souriant qu’il va se renseigner et décroche son bavard. Il compose un numéro à toute volée. Le chien-chien continue de mater Béru à travers ses poils, d’un œil qu’on pressent salement hostile.
— Oh ! Seigneur, j’ai oublié de ranger mes bijoux ! exclame la rombiasse. Vous me gardez mon petit chéri, je reviens de suite.
Elle pose le trésor hirsute sur un fauteuil en lui recommandant d’être sage et se trisse précipitamment.
Le gars Equal jacte à présent vigoureusement dans une langue que je ne connais pas, ce qui est rare, et qui doit être un dialecte hispano-lacté, plus ou moins créole avec des racines carrées portugo-azotées.
Je visionne Béru d’un œil anxieux.
— Il me vient une angoisse, lui dis-je.
— C’est p’t’être d’ordre digestif ? soumet le Boulimique.
Au lieu de répondre, j’enquille le canon du pétard dans mon futal, gardant la main sur la crosse gaufrée, prêt à tout et principalement au reste.
Il est de ces instants d’alerte intense où votre chair grince comme l’essieu rouillé d’une vieille charrette surchargée, comme l’écrivait pas plus tard qu’au siècle dernier Mme Oursenoire de l’Académie française. J’en traverse un. Quel surprenant signal d’alarme retentit soudain en moi ? Déclenché par quoi ? Par qui ? Impossible de répondre à cette question. Je ne perds pas le Noir des yeux.
Bérurier se baisse pour ramasser une pièce de monnaie. Ses entrailles momentanément comprimées par le mouvement, le contraignent à s’affranchir d’un gaz en instance. Je demande grand pardon d’un tel détail auprès de mon public élégant et précieux, composé de vieilles seringues bêcheuses qui me bouquinent aux gogues, non sans m’avoir muni du préservatif d’un couvre-livre de cuir, afin de donner à ma couvrante un sérieux que mon texte n’a pas. Donc, je le précise pour ces gentes dames de haut lignage et de plafond bas, qu’Alexandre-Benoît Bérurier loufe, ou pète, ou encore en lâche un, mais un chouette, un terrible, un galvanisant, un qui affirme sa présence, qui montre ses prétentions, qui exprime la vigueur et l’infinie portée du canon qui le tira. Un énorme ! Long, avec des résonances qui n’en finissent pas, des échos rouleurs.
Et si je précise ainsi, alors que tant de beaux sentiments sont encore à dire, et que je saurais dire, c’est parce que ce vent fait marée, et qui fait marrer, a son mot à dire dans cette histoire peu commune, dont tu voudras bien taire à tes amis la fin que j’ignore encore. Oh ! que certes oui, il importe, le pet de Sa Majesté majestante et tonitruante du fondement. A preuve qu’en l’entendant, le mignard cador à chère Daisy se met dans une rogne inouïse. Le v’là qui saute de son fauteuil, court au Gros, se jette sur ses mollets qu’il attaque de ses quenottes aiguës. Ce travail, matelot ! Quelle minuscule et virulente fureur ! Un comprimé de férocité !
Surpris par cette attaque, messire l’Hénorme est un court instant déconcerté. Il agite sa jambe, mais le toutou ne parvient pas à décramponner, ses mignards crocs étant pris dans l’étoffe du futal. Bérurier tire des penalties imaginaires pour se défaire de l’agresseur. En vain. L’autre ronfle comme un rasoir électrique, tout petit chien mais gros frelon. Qu’en désespoir de cause, mon pote le biche par les pattes arrière, tire sec, arrachant des lambeaux de grimpant. Emporté par son élan, sa fureur et sa force, il propulse le yorkshire au loin. La boule de poils enrubannée valdingue dans les azurs en tournoyant, traverse la petite terrasse, passe par-dessus une énorme touffe de vétiliers opiacés à fleurs roses, franchit le ruisseau enchanteur, déboule sur la piscine au moment où un obèse se livre à des effets de graisse sur le plongeoir, sous lequel le clébard s’abat pile.
Et alors, ce qui succède fournirait la matière à douze romans chez un auteur constipé de la glande inventive. Non, mais écoute ça, Bazu. C’est formide, si tellement pas croyable que je te rends ta liberté de lecteur et que, libre à toi de m’ajouter foi ou non. Le chien-chien à Daisy se transforme en typhon. Il explose, se volatilise, engendre un geyser, anéantit le plongeoir, sectionne en deux ou trois quartiers qui ne sont pas de noblesse l’obèse plongeur. Un crash fantastique. Les vitres ruissellent sur les façades, comme les larmes sur celle d’une veuve du jour. Nous en avons les tympans commotionnés. On se visionne sans se voir. On hébète, on a l’air bête, l’herbette. Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Hein ? Allô ! Ne coupez pas ! L’heure qu’il est ? Je ne sais pas, j’ai pas de chaussette. Et vous disiez, monsieur le curé ?
Comme toujours, ça hurle alentour. On fuit d’abord, pour rappliquer ensuite ; car les hommes se comportent comme leurs ancêtres les poissons.
Le premier, le Noir résume la situation.
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