Frédéric Dard - Mets ton doigt où j'ai mon doigt

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Mets ton doigt où j'ai mon doigt: краткое содержание, описание и аннотация

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Quand une polka te demande de mettre ton doigt où elle a son doigt, vas-y, mon Nestor, car il vaut toujours mieux reconnaître le parcours avant la course.
Mais quand c'est un ancien pote de la communale qui te balance cette vanne, alors prends tes cliques sous un bras, tes claques sous l'autre, et taille-toi sans en écouter davantage.
Tu vois, le tartant, dans notre job, c'est de le prendre au sérieux.
De vouloir faire comme si on avait de l'honneur. A force de jouer à ce jeu de c… tu finis par en contracter, de l'honneur.
Et alors là… Alors, là, fiston, t'es promis à toutes les rémoulades !
Les cimetières sont bourrés de mecs qui en avaient trop.
Et cependant, le Vieux m'avait bel et bien ordonné de tout laisser tomber.
L'ennui, c'est que je me suis dit : « Laisser tomber quoi ? »
Tu comprends ?
Non !
Ben alors, lis !

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San-Antonio

Mets ton doigt où j'ai mon doigt

CHAPITRE PREMIER

DANS LEQUEL ON PORTE À MA CONNAISSANCE DES FAITS TROUBLANTS

— Mets ton doigt où j’ai mon doigt, murmure mon ami Culaille, après avoir soulevé son polo et légèrement abaissé son grimpant.

Je risque un index timoré vers son ventre blafard. J’aime pas toucher la viandasse de mes temporains. Surtout la bidoche de bonhomme, surtout lorsqu’elle a cette apparence dégodante. On dirait un bide de noyé. C’est mou, c’est grisâtre, boursouflé, avec quelques poils fanés qui tortillent comme des poils de cul dans un bidet.

— Tu sens ?

— C’est dur.

— Ça peut : c’est de l’acier ! Le chirurgien qui m’a oublié une partie de sa trousse dans le placard. Moi, j’croyais que ça n’existait que dans les blagues du Vermot, des combines pareilles.

— Que comptes-tu faire ?

Il a une expression bizarre, vu son cas.

— Le mort ! fait Culaille.

— C’est-à-dire ?

— L’outil en question vaut une fortune à cause qu’il est rarissime. Dans un an et un jour, je me ferai rouvrir et il sera à mézigue.

Comme tu peux en juger, c’est une nature, Jean Culaille.

Un de mes condisciples de la communale. Il est pas à proprement parler demeuré, mais ses cellotes poissent un peu. Dans sa tronche, ça fait comme du caviar pressé ; c’est quasiment pâteux. Il avait quatre ans de retard dans ses études. Avec plein de malfaçons côté caberluche. Ainsi, il traçait ses lettres à l’envers. T’aurais cru du russe, ses cahiers. Sa principale occupation, c’était de se pogner à longueur de chasse. J’sus tombé à côté de lui, un trimestre. Je jouais trop au con, alors on m’avait isolé dans la région lointaine du demeuré. Culaille, je présume que l’instituteur avait retapissé ses manies solitaires. Elles faisaient assez de boucan ! Avec ses poches pleines de billes, quand il s’offrait un rassis, t’aurais juré l’arrivée d’une course de troïkas. Il se filait des branloches féroces, mon pote. Écrire dans les quadrillés avec une plume sergent-major au moment où il s’en taillait une, c’était impossible. Je déjantais. Mes conjugaisons ressemblaient à des vrilles de vigne. Tournaient pomponnette. Mes crayons chutaient du pupitre et l’encrier faisait des vagues. Ah, le sagoin. Quand je le voyais passer sa main d’assommeur sous sa blouse noire, je pigeais tout de suite qu’il se déclenchait une offensive de printemps, recta. Comment son chibre ne lui est pas resté dans la main, à le cigogner de la sorte, j’ai jamais compris. Quand tu penses que certains lépreux paument un paturon simplement quand ils shootent dans une boîte de conserve vide ! Il opérait pas en souplesse, césarin.

Vers le mitan de l’année scolaire, on lui a changé son burlingue, qu’à force il l’avait démantelé. À la longue, quand il s’agitait l’ogive nucléaire, je bichais le mal de mer, tellement qu’on tanguait sur notre banc, les deux. L’océan en furie !

J’attends ses explications. Quand un condisciple (plus con que disciple, heureusement) s’annonce sur ton lieu de travail plus de vingt piges après qu’il se soye octroyé en ta présence sa dernière paluche, c’est fatalement qu’il a quelque chose à te demander.

Je le vois mal se pointant uniquement pour me faire palper un bistouri électronique à travers la peau de son ventre triste, Culaille.

Ça laisse présager des complications.

P’t’ être qu’il vient me relancer à la fraîche ? Ça arrive souvent. Des gars d’autrefois me chutent sur le paldingue, à l’improviste. Me racontent leur vie. Me claquent le baquet, les endosses. « Sacré Antoine ! On peut dire que t’as drôlement réussi. Charogne, ce que t’as réussi. Réussir pareillement, je te jure ! C’est une réussite, une réussite comme toi ! »

Ensuite, ils passent la sébile. Le petit coup de mangave à l’étuvée. Leur bonne femme qui se fait sarcler les légumes. Les mômes dont les études chiément brillantes les laissent sur la paille, l’accident de chignole aux conséquences cascadeuses. Et leur arthrose ! Surtout, l’arthrose ! Tu peux pas savoir combien j’en ai déjà arrosé, des arthroses. Les ravages qu’elles ont fait à mon compte C.P. Quand je les vois se radiner avec une canne, je me dis : « Ça y est, San-A. Tu l’as dans l’œuf pour cinquante points ! V’là une arthrose qui te tombe dessus en piqué. Des vrais Mig ou Mirage , ces arthritiques ! »

Pourtant, Culaille, je vois mal. Il a pas l’air à la cote. C’est pas le vrai mylord, mais ses sapes ont une certaine tenue. Je le situerais presque boutiquier aisé. Je me prépare timidement, prêt à marchander en cas de besoin. Je rameute les arguments de défense : mon tiers provisionnel, la bagnole que je viens de changer, un placement bloqué… Faut drôlement se cramponner à ses piastres, de nos jours. Vos poches, c’est une simple plaque tournante, une gare de triage. T’as beau mettre ton tire-gomme par-dessus, il se taille, ton auber, d’une manière ou de plusieurs autres. Plus ça va, plus il devient itinérant. Instable, quoi ! Fottant, qu’ils assurent. Flottant sans flotteurs. Il fait la planche (à billets). Le verbe se fait cher, les gars !

— Ça marche, pour toi, Culaille ?

Boum, c’est parti. Je prends le risque de percer l’abcès.

Mon pote acquiesce sans hésiter.

— Pas mal.

Ouf ! Du coup, il me devient sympa. Quelque chose qui ressemble à une confuse tendresse m’arrive au battant. Je lui suis reconnaissant de ne pas me taper.

— Qu’est-ce que tu branles ?

Je me mords les lèvres. Ça m’a échappé. J’espère qu’il ne va pas prendre ça pour un sarcasme relatif au passé. D’ailleurs, la veuve poignet, c’est plus de son âge. Il a dû se dégauchir un brancard, ce forcené de la membrure.

Il n’a pas sourcillé.

— Pff, je me débrouille.

Renchifrognage du gars San-A. Compris, v’là autre chose. J’y avais pas songé. C’est pas de la brise de larfouillet qu’il attend de moi, mais que je lui arrange un bidon pourri. Il a dû s’enquiller dans une laide impasse, le Culaille : amocher un cogne, engourdir les éconocroques d’une vieillarde, j’sais pas. Dans le fond, il a la tête à commettre un gros délit de branque. C’est le genre d’enflure capable d’arracher la tête d’un type qui licebroquerait contre sa voiture.

— Et tu te débrouilles dans quoi, mec ?

Il se biche la braguette à deux mains.

— Dans le cul, répond-il.

— T’es proxénète ?

Il réfléchit.

— Tu veux dire barbeau, Antoine ?

— Oui.

Un sourire qui lui fera beaucoup pardonner éclaire sa face rugueuse de con taillé dans du con brut.

— Penses-tu ! Oh, d’accord, ce que je fais c’est pas glorieux-glorieux, mais ça n’a rien de malhonnête. Et puis, avec mon tempérament que tu te rappelles la vigueur, fallait bien que je trouve une solution. Je peux te causer franchement ? C’est surtout l’ami que je viens voir.

Je lève ma belle main droite.

— Rien de ce que tu me diras ne sortira d’ici, Culaille, juré !

Il respire plus librement.

— Je fais des extras au Bois de Boulogne, me confie cette force de la nature.

— À savoir ?

— J’ai une potesse qui tapine dans le Bois : la petite Mireille. Pas le genre de radasse ordinaire. C’est une personne bien élevée, mariée, mère de famille et tout. Elle a de la religion et elle vote réformateur, pour te la situer. Je l’ai connue en qualité de voisine. Un jour que son poste de téloche s’est mis à cramer en plein Guy Lux. Elle était seule chez elle. Elle a appelé au secours. Je me suis précipité. J’ai pu lui réparer les dégâts. En reconnaissance, elle m’a fait une petite pipe. On a noué des relations cordiales, du coup. De fil en aiguille, elle m’a confié qu’elle s’expliquait au Bois. Son vieux le sait pas. Elle est arrivée très incidemment au pain de fesse. Elle travaillait en usine. Un après-midi qu’il y avait grève, elle est allée se prendre un bol d’air au Bois. Elle s’est assise sur un banc. Un vieux mironton s’est pointé, qui l’a chargée, lui a proposé du fric. Mireille, ça l’a amusée de jouer à la pute. Elle est allée éponger le vieux qui lui a filé dix raides. Pour lors, ça lui a ouvert des perspectives, tu comprends ? Depuis, elle y va réglo tous les après-midi, sauf le dimanche et le mercredi, jour que ses chiares ont congé, car c’est une très bonne mère, Mireille.

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