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Frédéric Dard: Toi qui vivais

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Frédéric Dard Toi qui vivais
  • Название:
    Toi qui vivais
  • Автор:
  • Издательство:
    Éditions Fleuve Noir
  • Жанр:
  • Год:
    1958
  • Город:
    Paris
  • Язык:
    Французский
  • Рейтинг книги:
    4 / 5
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II y avait des mois et des mois que Bernard avait besoin d'en finir avec sa vie émaillée sans cesse d'erreurs et de renoncements. Pour y parvenir, il savait qu'il devait tuer et commettre le crime parfait. Il avait tout pesé, tout calculé, tout prévu. Non, vraiment, l'idée même qu'il pourrait échouer était absurde… Un suspense diabolique mené, comme toujours chez Frédéric Dard, de main de maître.

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Frédéric Dard

Toi qui vivais

À Pierre BOILEAU,

en souvenir d’un beau jour,

avec mon admiration.

F. D

PREMIÈRE PARTIE

CHAPITRE PREMIER

Tout en marchant je me répétais :

« Je suis un jardin à l’automne. Il faut enfouir toute cette végétation qui pourrit en moi afin qu’elle fertilise mon futur. »

Ça m’amusait. C’était une phrase très prétentieuse qu’on pouvait remettre cent fois sur l’établi afin de la polir. Une de ces phrases qui finissent par devenir un savant assemblage de mots dont le parfait agencement tue l’idée générale.

— Vous semblez bien préoccupé, mon vieux Bernard !

J’ai sursauté. Stephan était assis dans un fauteuil de toile, près du court de tennis ; plus élégant, plus insolent, plus beau que jamais !

Ce jour-là, le soleil cognait dur après une saison aqueuse qui avait détrempé la terre et les âmes. Les particules de quartz saupoudrant le court jetaient des espèces d’étincelles aveuglantes sur le sable rose.

Tout à ma littérature « interne », je n’avais pas aperçu Stephan, et il jouissait de ma surprise comme d’une bonne blague qu’il m’aurait faite !

Je me suis avancé vers lui. Il portait une chemise de soie crème, un pantalon de lin, des chaussures italiennes à grille, et naturellement un foulard de chez Hermès qui accusait, sans que je puisse m’expliquer pourquoi, sa nonchalance d’homme blasé.

Il m’a désigné un fauteuil, près du sien.

— Asseyez-vous ! Qu’avez-vous à la main droite, vous vous êtes blessé ?

— Une piqûre infectée, c’est très douloureux…

Dès qu’on franchissait la porte de son immense propriété des Mousseaux, on ressentait une curieuse impression d’absolue sécurité. Tout ici semblait conçu pour durer toujours. Stephan n’avait pas de plantes vénéneuses dans son jardin, lui ! Il vivait sur un gazon toujours bien tondu ! On devinait le fric autour de lui. Sa fortune, sans être ostentatoire, était partout présente dans la demeure. Je ne pouvais me défendre d’admirer le jeune homme, bien que je le haïsse cordialement. Il était jeune, fort, superbe comme on l’était au grand siècle, et plein d’esprit ! Cela, surtout, je le lui pardonnais difficilement. Ses boutades m’égratignaient toujours un peu l’orgueil.

— Je suppose que vous prendrez un drink avec moi ; j’allais justement dire à Li d’apporter des rafraîchissements.

— Volontiers.

Il a fait la chose la plus inattendue qu’on puisse imaginer dans un jardin de l’Île-de-France. Il a pris un revolver d’alarme sous son siège et a tiré un coup de feu en l’air. Des pigeons ramiers se sont envolés des arbres d’alentour dans un grand battement d’ailes. Au bout d’un instant, le domestique annamite est apparu sur le perron, dans sa veste blanche boutonnée sur l’épaule.

— À boire ! a crié Stephan.

— Vous avez une curieuse façon de sonner votre personnel, ai-je plaisanté. Ça fait très « Texas ».

— À pareille distance de la maison, c’était ça ou sonner de l’olifant, a riposté mon hôte. J’ai préféré la solution moderne.

Ses dents blanches étincelaient comme les paillettes brillantes du court de tennis. Stephan possédait un beau visage bronzé, aux traits harmonieux. Ses yeux infiniment bleus lui conféraient une impression étrange… Il ressemblait à un portrait de Modigliani, à cause justement de ce regard pareil à deux trous dans l’infini du ciel. Bien qu’il eût à peine trente ans, il grisonnait sur les tempes ; ce précoce blanchissement ajoutait à sa distinction… Stephan était un merveilleux animal qu’on ne se lassait pas de regarder.

Il a bâillé délicatement en mettant le dos de sa main devant sa bouche. Ce bâillement était voulu, je le sentais bien. Il signifiait clairement : « Vous ne m’ennuyez pas, mais vous ne m’amusez pas non plus. »

J’ai fermé les yeux pour écouter la rumeur d’insectes montant du gazon. C’était un fabuleux bruit d’été, je l’entendais toujours avec émotion car il me rappelait ma jeunesse.

Stephan avait beaucoup de chance décidément de pouvoir régner sur cette paix somptueuse… Chez lui, le soleil avait une odeur de plantes rares et l’air qu’on y respirait paraissait plus léger qu’ailleurs. Je lui en ai fait la remarque.

— Je reçois tout mon oxygène de Suisse, a-t-il affirmé, sans rire. Et je me fais réflecter le soleil depuis la Côte d’Azur. Je paie un compagnon pour qu’il me le pêche dans un miroir au milieu des fleurs de la Corniche…

Li descendait l’allée aux dalles roses en poussant devant lui un chariot de bambou empli de bouteilles.

— Scotch ? a murmuré Stephan.

— Non, je préférerais une bière…

— Deux bières, Li !

Lorsque le domestique a été parti, mon compagnon a levé son verre.

— Dites-moi, Bernard…

— Oui ?

— Combien êtes-vous venu me demander aujourd’hui ?

Je me suis senti rougir et mes doigts se sont crispés sur les parois du verre.

— Quelle idée !

— Comment ! Vous n’avez pas l’intention de me taper !

— Absolument pas !

— Alors les affaires marchent ?

— Elles reprennent ! J’ai un chantier à Maisons-Laffitte… Un groupe scolaire…

— Bravo ! Gros morceau ?

— Très gros…

— Alors vous allez peut-être pouvoir me rendre ce que vous me devez ?…

Je n’ai rien répondu. Stephan a posé son verre et s’est renversé dans son fauteuil en nouant ses mains derrière la tête.

— Mon cher Bernard, hier soir je me suis amusé à faire le compte de ce que vous me deviez…

— Vraiment !

Je l’aurais giflé. Le ton de sa voix était plus humiliant que ses paroles. Je le détestais comme je n’avais jamais détesté personne hormis ma femme.

— Savez-vous à combien se monte votre débit au total ?

— Je n’ai pas fait le calcul…

— Huit millions six cent trente mille francs, intérêts compris.

— Oh ! bigre, ai-je sursauté.

Car c’était vrai, je n’avais jamais additionné le montant de ses prêts… Je préférais ne pas y songer.

— C’est une somme, non ?

— En effet !

— J’aimerais que nous envisagions son retour à mon compte…

— Vous avez besoin d’argent ?

— Votre question ne veut rien dire, mon vieux… Les gens qui ont besoin d’argent ne sont pas des financiers. Moi, je me pique d’en être un… Un financier capable de faiblesses, je vous l’ai prouvé, car mon Dieu, ces sommes que je vous ai remises sont garanties par très peu de choses. Votre affaire ne vaut que le prix de la plaque de cuivre vissée sur la porte ; votre appartement ne vous appartient pas et son mobilier, dont j’apprécie la sûreté de goût, perdrait considérablement de sa valeur entre les pattes d’un commissaire-priseur !

J’ai bu ma bière pour éviter de la lui lancer à la figure. Il avait le sens de la vacherie qui fait mal, ce salaud-là !

Un silence poignant s’est abattu sur nous. J’avais une râpe ébréchée à la place du cœur.

— Alors ? a-t-il murmuré…

— Je pense être en mesure de vous rembourser partiellement à la fin du mois…

— Qu’appelez-vous partiellement ?

— Je dois toucher un gros à-valoir sur le chantier dont je vous ai parlé… Est-ce qu’un million vous satisferait ?

Il a pris tout son temps, histoire de bien me laisser mijoter. Lorsqu’il avait la situation pour lui, il s’y entendait comme pas un pour l’exploiter.

— Resterait sept millions six cent trente mille francs, Bernard… Et les intérêts continueraient de courir. Que dis-je : de galoper ! Lorsqu’on emprunte de l’argent, on ne se méfie pas des intérêts… Pourtant ils sont terribles ! Voyez, sur ces huit unités, près de deux figurent au titre des intérêts… Dame, voilà quatre ans que vos emprunts ont commencé…

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