« Ne trouvez pas outrecuidante mon insistance, chère petite Véra, mais je me trouve dans un tel état que me recevoir dix secondes relève de la plus élémentaire charité », continue le Dirlo.
Véra bredouille un « Nnnon nnnnoooooon » qui dérape en plainte. Achille, en bon mâle, donc en bon con, ne doute pas qu’il lui fasse de l’effet. « Alors, c’est accordé, rayonnante petite fille, vous permettez à votre soupirant de… »
Elle permet plus, Véra, elle râle de plaisir. Faut dire que j’ai mis en route mon opération ventilo, la vraie ravageante. Ma sublime amie trémousse du fion sur mon physique de théâtre. Elle peut plus se contrôler. Elle pousse un grand cri annonciateur. Puis elle fait : « Vouhha que c’est bon ! Encore, Angkor, en corps, en cor, en Corée ! » Moi je la grume en trombe, la langue omniprésente, répondant à tous les appels d’urgence à la fois. Ça la rend folle. D’ailleurs elle le crie que c’est fou ! C’est bien la preuve, non ? Fou ou ou ! Fou !
Elle a largué le combiné. J’ai près de mon oreille la voix alarmée du Vieux qui dit « Ma petite fille ! Voyons ! Je ne pensais pas que je vous affolais à ce point ! Calmez-vous ! Je me rendais bien compte que vous étiez excitée par mon regard, ma voix, mes pressions de main, mais de là à déclencher l’orgasme par téléphone… »
« Oui ! Ouiiiii ! » égosille la Merveilleuse. « Ouiiii, je veux ! Je veux ! Tout ! C’est bon ! Encore ! » et autres affirmations de ce gracieux style. « Je t’adore ! Tu es un dieu », elle me félicite même !
Achille bavoche des :
— Mais, ma petite Véra ; vous vous pâmez ! Vous vous pâmez, ma parole ! Seigneur, il suffit de trois mots de moi pour vous conduire au septième ciel.
« Ainsi donc, je vous fais jouir à distance ! Mais c’est l’apothéose de ma carrière de séducteur. Don Juan, Casanova eux-mêmes n’ont jamais provoqué téléphoniquement l’orgasme d’une femme ! Vous m’en voyez comblé ! Heureux ! Fier, j’ose le dire. Oui, oui, très vaniteux d’un pareil succès. Jouissez, ma chère enfant, jouissez tout votre comptant pendant que je vous parle puisque ma voix bouleverse à ce point vos sens ! »
La môme, bien que n’écoutant plus, ne se le fait pas dire deux fois. « Ce pied, Badame », comme disait notre pauvre grand (homme : 55, cheveux en long, 8). La clameur ! Elle peut pas réfréner. Tu te croirais au Parc, quand les Français en marquent un. Et c’est pas de la poudre aux yeux ! Pour rien au monde je voudrais choquer, mais rappelle-toi qu’elle abonde dans ses sens, Véra. Et dans les miens ! Elle a un rugissement de lionne, ou un feulement de tigresse, faudra que je prête davantage l’oreille à la prochaine séance ; puis s’abat en avant sur la moquette.
— Inouï, inouï ! Inoubliable ! bavoche le Vieux. Je suis comblé ! Merci !
— Y a pas de quoi, ne puis-je me retenir de lui dire avant de raccrocher.
Il est minuit moins des lorsque je rallie mon appartement très voisin de celui de ma belle.
Elle a eu droit, ceci pour la minuscule Histoire, à deux autres panards grand veneur, exécutés sur des instruments différents, car je suis, nul n’en ignore plus, l’homme-orchestre de la lonche. Aussi, est-ce une femme ravagée par l’amour et ses dérivés que je confie au sommeil.
Tout de suite, je suis frappé par le clignotant lumineux de mon turlu, signalant qu’un appel d’urgence m’est lancé. Je compose le numéro du concierge, lequel m’annonce que mon taxi est là depuis vingt minutes.
— Quel taxi ? mitonné-je. Je n’en ai pas commandé.
— Un instant, je vous prie.
J’entends jacasser dans la langue de Cervantès (en Angleterre on dit « dans la langue de Shakespeare » ; en Italie, « dans celle du Dante » ; en Allemagne, « dans celle de Goethe » ; en France, « dans celle de San-Antonio », etc.).
— Il paraît que vous êtes attendu dans la vieille ville, señor , finit par me déclarer l’homme aux clés d’or dont la parole l’est également.
Moi, inutile de te le réaffirmer, je ne mets jamais longtemps à prendre une décision.
— Excusez, j’avais oublié. Dites-lui que j’arrive.
Et bon, me voilà de nouveau sur le sentier enchanteur, à l’exotisme un tantisoit bidon, je finis par me dire, avec ces plantations élaborées, ces spots jaunes, ces cascades artificielles.
Devant la porte du Fuente , un gros mec attend, en devisant avec un portier de nuit. L’air bon bougre. Il est vêtu d’un futal noir, d’un tricot de grosse laine beige ravaudé aux coudes, et coiffé d’un kebour indécis ressortissant de la marine fluviale ou de l’infanterie coloniale espagnoles. Il fume une grosse cigarette jaune dont la fumée pue des pieds. Sur le terre-plein, son bahut somnole dans une déglingue latine et rien qu’à le voir, j’éprouve déjà l’effondrement de sa banquette dans mes miches.
En m’apercevant, il jette son clope, réalisant illico que je suis le señor qui.
Sans un mot, je grimpe. La banquette s’effondre un peu plus bas que prévu, l’un des ressorts meurtrissant ma fesse droite. Le taxidriver lance un salut au portier. Visiblement, les deux hommes se connaissent et se pratiquent, ce qui indique bien que mon chauffeur est un vrai taxi.
— Qui vous a demandé de venir me chercher ? questionné-je.
— Un serveur de l’ El Chibro, señor . Il m’a même remis cent pesetas.
Son honnêteté l’ennoblit et je vois d’ailleurs briller une auréole autour de son képi civilo-militaro-espagnol.
Il ne faut pas longtemps pour se rendre du Fuente à la ville. L’ancienne cité, comme toutes les parties anciennes des agglomérations se situe sur une hauteur, à gauche de Marbella en allant sur Malaga.
Des venelles pittoresques, où se dressent encore çà et là des maisons typiques : façades blanches, grilles en fer forgé aux fenêtres, portes à caissons, guili-guili-guili.
Des airs de guitare s’étirent dans la fraîcheur nocturne. On voit briller des loupiotes de couleur à l’entrée des bars. C’est plein de gens pas pressés de se pieuter qui discutent le bout de gras sur les seuils. Des gamins chahutent, des putes putassent, et des marchands de n’importe quoi harcèlent les touristes en goguette.
Le bahut stoppe à l’orée d’une placette à pavés ronds, au centre de laquelle une fontaine ouvragée donne aux passants envie de pisser. Quelques arbres l’agrémentent. On avise des boîtes, devant lesquelles des aboyeurs n’aboient pas, battant la semelle tristement, dans leurs livrées hétéroclites.
Mon chauffeur me désigne une porte très vétuste au bas d’un court escalier :
— El Chibro, señor !
L’enseigne peinte sur la façade représente un chibro du dix-septième, de toute beauté, avec une tête de hidalgo (et je ne parle pas de mon copain Alfred Hidalgo, journaliste quelque part dans les Afriques).
Je carme le pilote d’élite, malgré les cent pesetas qui lui furent votées, et je me rends droit à la boîte. Je suis comme le mari de la mère Plexe. Qui diantre ? Comment ? Pourquoi ? Mystère et castagnettes ! On me sait ici. On veut me voir. Punto à la ligne ! Alors, d’accord, très bien, Sana ne se défile pas, sauf au 14 Juillet, lorsqu’il marche en tête des troupes de police devant la tribune officielle, là que tant et tant de gens indispensables se trouvent réunis.
La porte du bar s’ouvre dès que je m’engage dans l’escadrin, car un préposé guigne l’arrivée du chaland nonchalant. Je pénètre dans une salle basse, éclairée seulement par des chandeliers. Les murs sont décorés d’emblèmes tauromachiques, et aussi de chibros de toutes tailles et de toutes origines.
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