Caryl Férey - Plutôt crever

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Si votre meilleure copine vous offre pour vos trente ans les Mémoires de Lacenaire et un calibre .44 dans une boîte à chaussures, méfiez-vous ! Lisez au moins le mode d’emploi. C’est ce qu’aurait dû faire Fred avant d’abattre le député Rogemoux et de prendre la fuite à travers la Bretagne, en voiture, à vélo, à pied ou en kayak… Il aurait trouvé le carnet et les étranges QCM d’Alice. Il aurait vu les six balles creuses et les petits papiers. Il n’aurait pas été traqué par toutes les polices de France et ne serait pas devenu le gibier d’un terroriste basque aux tendances psychopathes. Il n’aurait surtout pas eu dans son sillage, comme une ombre dévorée de colère, le flic borgne Mc Cash. Lui ne lâchera jamais. Fred et Alice non plus. Quoi qu’il advienne. Plutôt crever !
Né en 1967, Caryl Férey a fait ses classes en Bretagne. Il s’est donc mis à voyager, à rencontrer des gens qui, aujourd’hui, donnent chair à ses livres. Il écrit aussi pour les enfants, la musique, le théâtre…

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— Oui. Enfin, je n’en jurerais pas mais ça y ressemblait beaucoup : ça a duré un moment…

Elle sourit :

— Je ne devais pas dormir si profondément que ça…

Mc Cash ricana méchamment. Ainsi c’était donc ça : Le Cairan n’avait pas le nouveau code d’accès de l’immeuble.

Ses semelles grinçaient sur le parquet. Depuis la cime de ses cheveux, une goutte de pluie tomba sur sa joue. Imbibé, le cuir du bandeau avait déteint sur sa peau.

— Tu peux retirer ta veste, elle est trempée, dit-elle en passant devant lui. Et puis, ce n’est plus l’heure d’attraper des bandits…

Elle s’assit sur le canapé, déplia ses jambes sur la table basse. Le sourire malsain du policier avait changé devant ses pieds, posés comme des statues sur leur socle de bois… Nietzsche avait raison. La Magadec aussi.

Arturo, qui jusqu’à présent fermait les yeux, coinça ses pattes sous son poitrail. Mc Cash vint au chevet de cette brune aux pieds nus, qu’il caressa doucement, du bout des doigts. Les orteils étaient longs, lisses comme une pomme. Sur le sofa, Gwénaëlle ne disait rien ; elle fermait les yeux, comme son chat.

Alors il embrassa la peau diaphane au creux de sa cheville, ses phalanges douces, puis la plante magique de ses pieds…

19

T.R.M

La petite. Depuis que j’avais trouvé une raison de vivre, les sensations les plus contradictoires s’opposaient en moi : pour un peu, je me serais senti en vacances, comme lorsque, enfant, on sort de convalescence et qu’on découvre que l’été a commencé sans nous. Les perspectives aujourd’hui étaient énormes…

C’est en rangeant l’arme dans le sac que je trouvai un papier à carreaux, plié au fond du paquet de cigarettes :

Pour qui est la dernière balle ?

[] les Viocs

[] le flic

[] moi

[] TRM

20

Trop plaisir

Une nuée de mouettes stationnaient sur les mâts des bateaux ; ça sentait la marée basse et le petit blanc sec dans le port de Houat. De volets bleus en roses trémières, Luis grimpa vers le bistrot qui dominait le site. Martial suivait.

Depuis le jour du double meurtre, il ne parlait plus. Il savait que Luis le tuerait à la première tentative de fuite et il avait vu ce qu’il avait fait de la fille. Ce n’est pas tant la mort que la souffrance qu’on redoute… Huit heures du soir. Les sept chambres de l’Hôtel des îles affichant complet jusqu’à l’année prochaine, les deux hommes traversèrent le dédale de ruelles qui constituait le bourg. Ils avaient mis une bonne dizaine de jours avant de comprendre pourquoi Alice avait appelé la colonie de vacances de l’île de Houat. Le chef scout ayant précisé au téléphone qu’aucune personne de ce nom n’avait cherché à le joindre, la piste aurait pu se perdre si un jour Luis n’avait déplié la dizaine de cocottes en papier trouvées dans le pavillon : chacune d’elle était confectionnée d’après une lettre officielle, rappel de banque ou attestation de chômage. Parmi ces papiers, une lettre du juge des affaires familiales où Le Cairan voyait son appel rejeté : il ne serait pas le tuteur de Mathilde, sa petite sœur.

La colonie de vacances. De nouveau joint au téléphone, le boy-scout avait alors confirmé la présence d’une petite Mathilde Le Cairan. Luis avait ainsi décidé de se rendre sur place, priant pour que son idée soit la bonne, et surtout qu’il n’arrive pas trop tard…

Un chien renifla les pieds du Basque tandis qu’ils passaient devant chez lui. Martial suivait toujours : Martial ne savait plus faire que ça.

Sur la place du village, des hommes préparaient les guirlandes lumineuses pour le bal du soir. Quelques vieux rentraient chez eux en poussant des brouettes. Les plus actifs jouaient aux boules, un chiffon à la main ; affaissés sur les bancs, les derniers les regardaient faire en pensant à des trucs, comme s’ils avaient perdu le cochonnet depuis longtemps. Quittant le bourg, Luis et Martial prirent la direction du nord. D’après les commerçants, c’est là que se trouvait la seule colonie de l’île, une institution privée du côté de Porh Halai, à deux kilomètres environ…

Le camp de vacances était un baraquement de pierre grise aux volets clos, cerné par un mur couvert de lierre. Pendue à la grille, une cloche, que l’Espagnol fit tinter à plusieurs reprises.

Un jeune homme à l’embonpoint prononcé accourut bientôt, affolé :

— Ne faites pas tout ce tintamarre ! Il est presque dix heures : tout le monde dort ici !

Son ton baissa au fur et à mesure qu’il approchait de la grille, puis il se tut complètement : les yeux du Basque le perçaient de part en part.

— Mathilde Le Cairan est là ?

— Eh bien, heu, oui…

— Nous sommes de la famille.

— Ah ? Eh bien, dans ce cas, il faudra repasser demain. Si vous voulez la voir. Tout le monde dort depuis longtemps…

Luis hocha la tête, visiblement satisfait. Par contre, le petit gros qui le suivait n’avait pas l’air dans son assiette.

— Bien. Nous repasserons…

Le chef scout les regarda partir, anxieux. Qu’est-ce qu’ils avaient tous après cette gamine ?

Les deux hommes empruntèrent le chemin qui menait aux dunes, estampillées camping municipal. Luis mâchait les restes de son sempiternel cure-dent, snobant le coucher de soleil sur la baie. Il ne savait pas s’il avait vu juste, si Alice et Le Cairan comptaient chercher la gamine à la colonie mais l’île de Houat était minuscule : s’ils étaient là, il les trouverait vite… Sur le chemin des dunes, ils croisèrent une famille à vélos et un poney qui agitait la frange. Les premières tentes se découpaient dans l’horizon mauve.

Une bande de jeunes hippies technoïdes qui fumaient de l’herbe devant un feu leur indiquèrent un lot de tentes à l’écart. Martial marchait tête basse dans le sable, le pas de plus en plus lourd.

La plupart des touristes étaient déjà partis au bal. Ils inspectèrent plusieurs canadiennes, vides, avant d’ouvrir le zip d’un igloo livré aux chardons. À l’intérieur, il y avait deux duvets, des boîtes de conserve, des livres, des vêtements et un cerf-volant en cours de confection. C’est en voyant les quelques mots écrits sur les rubans que le doute se mua en certitude : « Pour tes six ans, petite. »

Le Basque extirpa sa longue carcasse de la tente. Sans un regard pour Martial, il jaugea les environs d’un air de défi : ils étaient là.

*

Le feu d’artifice venait de s’achever au-dessus du port. Cloué à la buvette par une foule hétéroclite et bruyante, Martial commanda deux verres à la rousse aux cheveux en pétard qui virevoltait derrière le comptoir improvisé.

— Quatre euros s’il vous plaît ! fit la rouquine en posant deux gobelets dégoulinant de mousse.

Il s’empara des bières et retrouva bientôt Luis, accoudé tel Diogène sur un tonneau en bord de piste. Depuis son estrade, un crooner de campagne en sous-pull argenté entonnait les premiers accords d’un standard armoricain : répondant à ses imprécations, les gens se prirent par la main avant de former une farandole.

— Quatre euros, ils se font pas chier, grogna Martial en lui tendant sa bière.

Le Basque ne releva pas : il observait les petites filles qui dansaient, agrippées aux mains de leurs parents, leurs dernières dents de lait prêtes pour les étoiles.

Cachés dans l’igloo, les deux hommes avaient guetté leur retour mais ni Alice ni Fred n’étaient apparus. Peu avant minuit, alors qu’explosaient les premières gerbes du feu d’artifice, Luis avait décidé de rejoindre le bal. Martial avait suivi, guidé par la peur qui ne le quittait plus.

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