— Vous avez retrouvé votre chat ?
— Oui. Pas grâce à vous, insinua-t-elle en rappelant leur dernière entrevue.
— Pourquoi vous dites ça ?
— À votre tête, j’imagine que pour vous les animaux sont rien que des pauvres cons.
— Bah ! Pas tous.
Ils sourirent un peu. Pas beaucoup. C’était un flic.
— Que puis-je pour vous ?
— J’ai retrouvé une de vos déclarations dans mon carnet : au sujet du film que Le Cairan devait vous enregistrer…
— Oui ?
— Vous avez déclaré qu’il devait vous enregistrer un film : vous vouliez dire qu’il ne l’a pas fait ?
— Effectivement. C’est pour ça qu’il m’a donné son double de clé : pour que j’aille rechercher la vidéo chez lui. J’en ai besoin pour l’agreg… C’est celui de Fred, non ? fit-elle en désignant le magnétoscope qui trônait dans ses mains.
— Oui, je viens de chez lui.
— Vous aussi vous avez ses clés ?
— Non. Vous pouvez m’aider ? Ce ne sera pas long…
— Heu… Oui, oui…
Elle ouvrit la porte de son appartement et ajouta :
— Yann n’est pas là. Pour quoi faire ?
— Visionner la cassette que Fred ne vous a pas enregistrée.
Elle le regarda, interloquée. Arturo fila devant eux, la queue basse. Des feuilles griffonnées faisaient un éventail sur la table basse du salon.
— L’agrégation ? s’enquit-il en installant la machine près de la télévision.
— Oui. Un boulot de longue haleine.
— C’est comme la noyade.
— Vous avez de ces images…
Il s’emmêla les bras dans les fils de branchement :
— Dites-moi, si vous aviez tant besoin d’enregistrer ce film, pourquoi n’avez-vous pas tout simplement emprunté son vieux magnétoscope ?
— Eh bien…
Elle réfléchit.
— Fred m’avait promis de programmer l’enregistrement afin que je récupère le film lundi, lors de mon retour : je déjeunais le dimanche midi chez mon père, dans le Morbihan… Vous voulez un café, du vin ?
Ça ne répondait toujours pas à sa question.
— Café. Avec une larme de whisky si vous en avez.
Gwénaëlle sourit jusqu’à la cuisine. Quand elle revint, les mains encombrées, Mc Cash avait fini ses branchements.
— Vous savez pourquoi Le Cairan n’a pas programmé l’enregistrement du dimanche soir ?
— Non. J’avais pourtant insisté. Je lui avais même fourni la cassette.
— Vous n’avez rien enregistré par-dessus ? demanda-t-il en sortant la fameuse cassette de son étui.
— Non, je n’ai toujours pas de magnétoscope, inspecteur, répliqua-t-elle comme s’il avait tenté de lui tendre un piège grossier. Mais si c’est pour voir un match de rugby, je vous préviens que je risque de m’endormir avant la fin, menaça-t-elle plus amicalement.
— Pas de danger. Le match dure tout le long de la cassette ?
— Je ne suis pas sûre mais en tout cas le ballon était ovale.
Elle faisait de l’esprit la belle. Ils se servirent à boire et s’installèrent devant l’écran. La proximité d’un borgne sur son canapé procurait à Gwénaëlle une expérience inédite. C’était une fille curieuse.
— Vous connaissez des ennemis à Frédéric ? demanda-t-il soudain.
— Non. Pas spécialement.
— Et la politique ?
— Quoi la politique ?
— Vous le croiriez capable de tuer quelqu’un ?
— Non. En tout cas pas un député.
— C’est-à-dire ?
— À ma connaissance, le député ne lui a rien fait.
Au-delà de son petit air provocant, Gwénaëlle Magadec semblait délivrer ses messages au compte-gouttes.
— Vous insinuez qu’il serait capable de se défendre si on l’attaquait ?
— Comme tout le monde.
— Rien de plus ?
— Rien de plus.
La Bretonne s’était renfrognée. Pourtant, il était persuadé qu’elle lui cachait quelque chose. Il faudrait peut-être utiliser une autre méthode… Il visionna le début de la cassette (il s’agissait bien de rugby), et accéléra la bande annonce du sponsor.
— Qu’est-ce que vous cherchez ?
Enfin la voix du commentateur tonna dans le salon :
— Ça, répondit le policier.
Le test-match enregistré le soir du meurtre se déroulait dans l’hémisphère Sud. Commencé à deux heures du matin, il avait dû s’achever dans la nuit… Mc Cash réfléchissait à toute allure. Voilà pourquoi Le Cairan n’avait pas prêté son magnétoscope : il comptait visionner le match le dimanche matin, chez lui, avant de programmer l’enregistrement pour Gwénaëlle et partir en vacances avec Alice… Or il ne l’avait pas fait. Pourquoi ?
Elle avait fini son thé vert.
— Ça ne vous dérange pas si je roule un joint ? demanda-t-elle au policier, alors concentré sur l’écran de télévision.
— Faites comme chez vous.
Il cherchait toujours. À ses côtés, la Bretonne faisait preuve d’une remarquable dextérité.
— On peut le partager si vous voulez ? s’enhardit-elle.
— Je suis en cure en ce moment.
— En cure de quoi ?
— C’est ce que j’aimerais savoir.
Elle passa doucement sa langue sur le collant.
— Quand vous avez regardé la vidéo pour la première fois, dit-il, vous vous souvenez si vous avez rembobiné ?
— Oui, j’ai rembobiné… Je ne comprends rien à votre histoire de vidéo, déclara Gwénaëlle revenant d’une longue apnée.
— Le Cairan n’est pas rentré chez lui dans la nuit de samedi à dimanche. J’en suis sûr, dit-il. Cette histoire d’enregistrement, ça ne colle pas. S’il ne devait pas revenir ce soir-là, il n’aurait pas enregistré le match de rugby mais votre film. Il comptait donc revenir.
— Sans doute.
Mc Cash consulta les premières pages de son carnet rouge, relut ses notes, ses listes.
— Vous avez parlé de bruits sourds au moment du meurtre, dit-il. « Peut-être des portes qu’on claque… »
— C’est vous qui l’avez dit, pas moi.
— C’était avant ou après le coup de feu ?
— Après je suppose.
— Et pourquoi pas avant ? Vous veniez de vous endormir, mais dormiez-vous vraiment ?
— J’étais fatiguée, je n’en sais rien.
Il regarda la femme assise près de lui ; ses yeux vagues lui indiquaient que l’imaginaire de la belle avait changé de cosmos. Mc Cash eut alors une idée. Une idée absurde.
— Dites-moi, je pense à quelque chose… Le code d’entrée de l’immeuble n’aurait pas changé ce week-end-là ? Je veux dire celui du meurtre ?
Gwénaëlle sortit de son coma extatique.
— Possible : il a changé dernièrement…
Elle réfléchit.
— Oui, en effet, dit-elle bientôt, le code a changé ce week-end-là puisque je l’ai utilisé pour la première fois en rentrant de chez mes parents à Vannes. J’avais pris le papier du syndic pour m’en souvenir. Je suis parfois tellement distraite…
La dernière phrase l’avait replongée dans ses rêveries.
— Attends-moi, je reviens, fit-il en la tutoyant soudain. Et surtout écoute bien…
Minuit, l’heure de la nuit. Mc Cash se tenait au milieu de la rue Duguesclin, évaluant la façade du bâtiment. Un son de cloche dans le ciel, des pavés mouillés par l’ondée du soir, personne ailleurs : il recula de deux pas sur le trottoir et planta sa semelle dans la porte d’entrée. Rebelles, les battants plièrent mais ne rompirent point. Il prit son élan et tapa de nouveau, plus violemment, plusieurs fois. Même résultat.
Mc Cash composa le code et grimpa au premier étage. Sa veste ruisselait sur le palier. Gwénaëlle Magadec ouvrit. Elle n’avait pas remis ses chaussures.
— C’était des bruits comme ça ?
Elle ne fit même pas semblant de réfléchir :
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