L’échange des consentements venait d’avoir lieu lorsque je sentis quelqu’un se glisser à côté de moi. Pierre nous faisait enfin l’honneur de sa présence. Il osait afficher un visage décontracté, agrémenté de cheveux encore mouillés.
— Quoi ? me dit-il.
– Ça ne te pose pas de problème d’arriver à cette heure-là ?
— Je te l’ai dit, le boulot. Tu as ma cravate ?
Je l’attrapai dans mon sac et la claquai violemment sur son torse.
Dès que la cérémonie fut finie, je sortis sans l’attendre. Je me mis à l’écart du perron de l’église, bras croisés. Pierre se permit de saluer d’autres invités avant de me rejoindre. Durant le folklore de la sortie de mariage — grains de riz et pétales de rose —, nous n’échangeâmes pas un mot. Ce fut chacun de son côté que nous nous rendîmes sur les lieux de la soirée. Un couple, deux voitures. Cherchez l’erreur.
J’étais au buffet, il me fallait du champagne sinon j’allais finir par sauter à la gorge de Pierre. Je l’apercevais, toujours sur le parking, faisant les cent pas, son téléphone portable vissé à l’oreille. Je sifflai ma première coupe en trois gorgées, et en réclamai aussitôt une seconde. Grâce aux soirées parisiennes de ces derniers mois, je supportais très bien l’alcool.
— Excuse-moi, me dit Pierre à l’oreille cinq minutes plus tard.
— Je connais la rengaine.
— Je n’y peux rien.
Je lui fis face.
— Plus de la moitié des invités sont des médecins, n’est-ce pas ?
Il acquiesça.
— Comment se fait-il que tu sois le seul pendu à son téléphone ? Et qui, par la même occasion, délaisse sa femme ?
Il soupira et regarda au loin.
— J’ai eu un souci cette nuit, et je m’inquiète. Bon, allez, on ne va pas s’engueuler devant tout le monde, s’il te plaît… ne fais pas d’histoires.
Je ris jaune et le regardai droit dans les yeux.
— Un « je suis désolé » suivi d’un baiser aurait été préférable pour débuter.
— Et si je te dis que tu es jolie…
— Pierre, le coupa Mathieu, ta femme n’est pas jolie, elle est splendide. Salut Iris !
Il me fit une bise. Mathieu, le seul confrère de Pierre avec qui je m’entendais bien. Un joyeux luron. Il s’était rangé deux ans auparavant, en épousant Stéphanie, aujourd’hui déjà enceinte de leur deuxième enfant. Il claqua une grande tape dans le dos de mon cher mari.
— Non, sérieux ! quand elle est entrée dans l’église, on s’est tous demandé qui c’était. Une vraie femme fatale. Stéphanie veut ta robe quand la p’tite sera née. Quelle réussite époustouflante !
— Merci, je vais aller la saluer, je ne l’ai pas encore vue.
Je trinquai avec lui, mais je m’abstins de le faire avec Pierre. Pour m’éloigner de mon mari, je pris à contrecœur la direction du groupe d’épouses de médecins. À mi-parcours, je me retournai. Pierre me suivait des yeux, l’air contrarié. Bien fait pour lui.
À table, les hommes parlaient boulot, colloques, opérations. Les femmes parlaient chiffons. Et pour la première fois, j’étais au centre de toutes les attentions. Elles n’avaient pas de mots assez forts pour me complimenter sur ma robe et les autres modèles que je leur montrai sur mon smartphone. Elles voulaient que je leur raconte mes soirées mondaines, les vernissages, les cocktails… Par moments, je croisais le regard de Pierre ; il me scrutait sérieusement quelques secondes, et retournait à sa conversation.
Une fois que le gâteau fut découpé et mangé, le bal débuta. Les rangs se clairsemèrent à notre table, comme à toutes les autres, hormis celle des grands-parents. Mon doigt tournait sur le bord de ma tasse de café. Pierre fit le tour de la table et vint s’asseoir à côté de moi.
— On va bientôt aller se coucher, je suis crevé.
Si, un instant, j’avais espéré qu’il m’invite, j’étais fixée.
— Où est passée l’éducation de ta mère ? Après ton retard de cet après-midi, on ne peut pas se permettre de partir comme des voleurs.
— Eh, Iris ! m’interpella Mathieu. J’ai souvenir que ton mari a deux pieds gauches, et comme ma femme est une baleine… tu danses ?
— Avec plaisir, lui répondis-je en me levant.
— Tu crois que tu peux avec des échasses pareilles ? me demanda-t-il en désignant mes chaussures.
— T’inquiète, je me suis entraînée.
Je pensai à Gabriel, et fus heureuse.
L’honneur était sauf. Après un rock endiablé avec Mathieu, je m’autorisai à danser toute seule. Depuis dix ans, j’étais toujours restée scotchée à Pierre, refusant de l’abandonner. C’était fini, cette époque. Je me trémoussais, perchée sur mes dix centimètres, au son des tubes de l’été précédent, Robin Thicke, Hollysiz. Et personne ne savait à quoi — ou plutôt à qui — je pensais. Il aurait apprécié le spectacle, et n’aurait peut-être pas été très sage.
Je finis par apercevoir Pierre, debout près de la piste, qui me faisait signe qu’il était l’heure. Je lançai un au revoir général, et le rejoignis. Quand je fus près de lui, il posa sa main sur mon cou et m’embrassa du bout des lèvres, presque timidement.
— Tu es belle, très belle ce soir… Je… je te regardais danser et… excuse-moi.
— Allons dormir.
Je me blottis contre son épaule en passant un bras autour de sa taille, il me serra fort, et nous quittâmes la soirée. Nous logions dans une chambre d’hôtes du lieu de réception. Nous allions participer au lendemain de mariage. Pour mon plus grand bonheur…
Je dormis très mal. Le sommeil de Pierre fut agité, il parla, je ne comprenais rien. J’étais dans les vapes lorsque j’ouvris un œil. Je remarquai pourtant Pierre, habillé et rasé de près, assis au pied du lit, la tête entre les mains.
— Tu es déjà debout ?
Il me dévisagea, une lueur de panique dans le regard.
— Tu vas m’en vouloir, mais…
Le brouillard se dissipa à la vitesse de la lumière.
— Tu te fous de moi, là ?
— Non, je suis navré.
Je bondis hors du lit et me postai devant lui. Il resta stoïque.
— J’en ai ma claque. Tu me fais venir à ce mariage dont je me moque comme de l’an quarante, et tu n’es même pas foutu d’arriver à l’heure. Si tu savais comme j’ai eu honte hier après-midi, à l’église. Et là… là…
Des larmes de rage perlèrent au coin de mes yeux.
— Tu cherches quoi ? crachai-je.
— Je suis à bout, et… tu ne m’aides pas.
— Et moi ? Je ne suis pas à bout, peut-être ? Je me bats pour sauver notre mariage, tu n’as même pas idée (je levai les yeux au ciel et secouai la tête)… Je fais face à ton indifférence, à ton manque d’intérêt vis-à-vis de moi, de ma carrière, du truc extraordinaire qui m’arrive à Paris, avec Marthe. Hier, tout le monde m’a complimentée, et toi, tu es resté de marbre ou tu pianotais sur ton téléphone. Si tu ne te ressaisis pas très vite, nous allons droit dans le mur. À moins qu’il ne soit déjà trop tard.
Il se leva, s’approcha de moi, visiblement pour m’embrasser. Je tournai la tête.
— C’est urgent, s’excusa-t-il encore. Si je règle ça, tout ira mieux après, je te le promets.
— Je ne te crois plus. C’est fini.
— Je te retrouve dès que je peux à la maison.
— Je n’y serai pas.
Je fouillai dans mon sac, en sortis un jean, un pull et mes vieilles Converse.
— Tu restes ici ? me demanda-t-il.
— Et puis quoi encore ! Je rentre à Paris, je fais comme toi, je vais bosser.
Je m’enfermai à clé dans la salle de bains et laissai enfin les larmes couler.
— Iris, ouvre-moi, s’il te plaît.
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