José Gómez - Planète à louer

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Dans un futur indéterminé, une guerre nucléaire totale est sur le point d’éclater. Afin de sauver la Terre, des espèces extraterrestres en prennent possession, après avoir fait montre de leur force en annihilant l’Afrique. Ils y imposent des règles draconiennes visant à rétablir l’équilibre écologique. Un siècle plus tard, notre planète est redevenue un paradis, un « monde souvenir », où les riches xénoïdes viennent faire du tourisme. Mais derrière l’image d’Épinal, les conditions de vie des Terriens sont loin d’être idylliques.
Buca, la prostituée, Moy, l’artiste métis ou Alex, le scientifique de génie, tous n’aspirent qu’à une seule chose : fuir… partir… s’exiler… quitter la Terre… par tous les moyens!

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Le Colossien marchait à grandes enjambées, s’éloignant de ma rue et du Quartier 13. Il avait l’air de savoir où il allait… et cela ne me plaisait pas du tout. On n’attend pas un pareil comportement d’un xénoïde ; ils sont supposés se perdre à tout moment dans nos labyrinthes urbains et nous donner, au passage, l’opportunité de gagner notre vie, pauvres Terriens que nous sommes…

Sa cuirasse était si rugueuse qu’elle m’écorchait les genoux… Je n’ai pu retenir mes larmes plus longtemps. Furieuse contre moi-même, j’ai alors décidé que, tant qu’à pleurer, autant pleurer pour de bon. Trois secondes plus tard, je me suis mise à bêler comme un agneau. Si rien ne pouvait empêcher ce xénoïde de me sortir de mon territoire, qu’au moins je le gêne un peu… Et cela pouvait me donner une occasion de me sauver.

Ça a fonctionné. Il m’a posée à terre, tout en gardant prudemment sa main pesante sur mon épaule.

« Écoute, Leilah, a-t-il dit, je ne suis pas un voleur de petites filles, ni un de ces gourmets qui aiment le goût de la chair humaine. Mais comme tu n’as pas l’air disposé à venir avec moi sans faire un esclandre, je vais te parler clairement. Je suis venu sur Terre en… vacances, et j’ai besoin d’une fillette intelligente et habile pour m’accompagner. Je sais que tu n’as rien à perdre, parce que tu ne possèdes rien. Et ta grand-mère alcoolique y gagnera beaucoup plus de vodka que ce qu’elle pourrait boire en dix ans. Je te paierai bien, et tu vas voyager gratis sur toute ta planète. Je promets de ne jamais te toucher. Je sais que ça doit te paraître bizarre et que tu n’as pas confiance… Mais tu vas devoir me croire. Parce que je suis très têtu et quand je décide quelque chose… »

Ma jérémiade a monté d’un ton – je n’avais pas d’autre option.

« Oh, tu peux pleurer, ça ne changera rien. Mais je t’assure que tu seras bien avec moi… »

Il a fouillé dans son pardessus et en a sorti un objet qui resplendissait d’un éclat métallique.

« Donne-moi ta main, Leilah. S’il te plaît… »

J’ai hésité en regardant du coin de l’œil la main qui me tenait l’épaule. S’il avait été un agent de la Sécurité Planétaire, je lui aurais coupé deux doigts d’une seule morsure et pendant qu’il aurait crié et saigné, je l’aurais semé pour toujours. Mais tenter de mordre la main d’un Colossien revient à vouloir gaspiller son argent chez le dentiste. J’y perdrais toutes mes dents et il ne s’en rendrait même pas compte. En outre, ce type avait l’air sérieusement décidé à me retrouver, où que je. me cache. De mauvais gré, j’ai fini par lui tendre la main.

Il a pris mes doigts, les a posés contre cette chose qui brillait, puis me l’a donnée.

J’ai regardé, ahurie : une carte Platine. De celles que les banques accordent à ceux qui possèdent des comptes d’un million de crédits ou plus. C’est à peine si j’avais entendu parler d’une carte pareille. Je ne connaissais aucun humain qui en possédât une. Ce devait être un piège, ou une erreur…

« C’était une carte en blanc, Leilah, mais maintenant que j’y ai posé tes empreintes digitales, toi seule pourras avoir accès à ce compte », m’a-t-il expliqué.

J’ai expiré longuement.

« Maintenant, a-t-il poursuivi, tu peux t’en aller en courant si tu veux, et m’obliger à te retrouver. Ou venir avec moi, bien gentiment, et profiter de mon cadeau. »

J’ai examiné la carte. Elle paraissait authentique. J’ai dévisagé le xénoïde. En réalité, il avait été très aimable, compte tenu de sa position, de la mienne et des circonstances…

« J’imagine que tu crois à une supercherie, a-t-il grogné. Mais si je voulais te violer, te manger ou t’envoyer dans un bordel d’esclaves, je ne ferais pas autant d’efforts avec toi. Et je ne me risquerais pas à perdre tant d’argent…

— Je veux vérifier que cette carte est vraie, ai-je déclaré en essayant de prendre un ton déterminé.

— Bien sûr, princesse, a-t-il répondu en me montrant ses quatre rangées de dents. Tu m’accompagnes ? Je sais mieux que toi que tu ne trouveras pas de terminaux dans le Quartier 13… Ils n’ont pas beaucoup de clients, je suppose. »

Il m’a lâché l’épaule et m’a tendu la main, comme s’il espérait que je la lui prenne. Je ne l’ai pas saisie. Je n’étais pas un bébé, et je ne voulais pas non plus me montrer trop amicale. J’avais ma dignité.

Je me suis frotté l’épaule. Ils sont vraiment forts, ces Colossiens.

« Tu offres des cartes de crédit à tous les gosses que tu rencontres ? Pourquoi me cherchais-tu ? Comment t’appelles-tu ? »

J’avais débité les trois questions d’affilée, comme une mini-mitrailleuse.

Il a arboré sa caricature de sourire.

« Quelquefois. Celle emportée par ton petit copain Dingo n’est pas très provisionnée. Deux mille crédits… De toute façon, c’est un vrai trésor pour lui et le reste de tes amis, tu ne crois pas ? »

Il avait prononcé le mot « amis » d’un ton ironique et ma réaction ne s’est pas fait pas attendre :

« Les rats ! ai-je murmuré, me souvenant comment ils m’avaient abandonnée.

— La deuxième réponse, a poursuivi le xénoïde, je préfère la garder pour moi… pour l’instant. Mais tu en sauras davantage plus tard, je te le promets. Un jour… Disons que c’est par… nostalgie. Pas pour toi, je ne t’ai jamais vue.

— Pour ma mère ? » ai-je demandé, intéressée.

Je ne possédais qu’une holo-vidéo d’elle, et quelques enregistrements de l’holo-réseau durant ses jugements et ses condamnations. Ma grand-mère ne me parlait pas beaucoup d’elle, même les rares fois où elle était sobre. Mais connaissant le type de vie que menait ma mère, il ne me semblait pas étrange que ce xénoïde la connaisse. Même intimement… Si quelqu’un pouvait être attiré par les énormes muscles de Friga, ça ne pouvait être qu’un mâle colossien. Et elle n’était pas laide, à dire vrai. Ma grand-mère me disait que j’étais son portrait craché.

« Peut-être, a-t-il répondu, mystérieux. Et mon nom… Je crois qu’il est imprononçable pour les humains. Mais l’un d’entre eux, un grand ami, m’appelait ToiGrandeBrute…

— Beurk. C’est trop long. Je peux t’appeler Brutos ? Combien de temps dois-je rester avec toi ? Est-ce que je peux prévenir ma grand-mère ? »

Il a aboyé plusieurs fois. Apparemment, c’était la façon de rire de son espèce.

« Tu lances toujours tes questions par groupe de trois ? Oui, Brutos, ça me va. Concernant le temps, je pense qu’un mois sera suffisant. Et appelle qui tu veux… Allons-y, Liya. »

Il s’est mis à marcher de son pas à la fois rapide et pesant. Je l’ai laissé s’éloigner de quelques mètres avant de le suivre. Je ne voulais pas lui donner l’impression que j’étais pressée de partir avec lui. J’avais ma fierté, et après avoir été pratiquement enlevée, je tenais à maintenir une certaine… distance. Mais il m’avait appelée par mon nom de guerre, celui, que j’avais choisi. Les adultes ne le faisaient jamais. Du moins, pas ma grand-mère. Elle m’appelait toujours « p’tite Leilah » et me considérait encore comme un bébé, malgré mes neuf ans.

Brutos paraissait différent. Il me prenait au sérieux et oubliait mon âge. L’idée de passer ce mois avec lui commençait à me tenter.

Je l’ai accompagné jusqu’à son hôtel. Après les cartes Or et Platine, je n’ai pas été surprise qu’il loge au célèbre Galaxie de Nouveau Cali. Comme il fallait s’y attendre, le portier a froncé les sourcils en me regardant entrer… même si, après le bain en pleine rue, j’étais presque présentable. Dans mon état habituel, il m’aurait probablement laissé passer, me prenant pour une petite xénoïde d’une espèce inconnue, et pas pour une gamine de neuf ans.

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