À bord du patrouilleur, il y a un système de gravité artificielle, simulant celle de la Terre. Cela facilitera les choses.
Friga n’a jamais été vaincue au corps à corps. Elle mitraille le ventre de l’agent le plus éloigné. Elle plante son vibro-couteau dans la poitrine du deuxième, qui tentait de sortir son arme.
Assaillie par le troisième, elle lui attrape le cou sous son énorme bras en une prise de strangulation et serre, serre, lui frappant dans le même temps le visage contre son genou. Trois secondes plus tard, l’agent de la Sécurité Planétaire cesse de se débattre. Il doit être asphyxié ou avoir les vertèbres cervicales brisées. Friga se demande pourquoi il ne saigne pas.
Et où est Jowe ? Pourquoi ne l’aide-t-il pas ?
C’est alors qu’elle sent le coup sur sa nuque. Et la douleur. Étonnée, elle se retourne pour recevoir en plein visage le second coup de crosse. Elle tombe en lâchant sa victime, sans comprendre comment un homme avec un vibro-couteau planté jusqu’au manche en pleine poitrine peut frapper avec tant de force.
Elle tente de se relever, mais l’agent au ventre criblé de balles lui écrase les doigts, avant de lui balancer un coup de pied.
Avant de s’évanouir, Friga réalise enfin ce qu’il se passe.
D’abord, elle voit l’éclat de métal derrière les pseudo-viscères troués de l’agent de la Sécurité Planétaire et comprend qu’il ne s’agit pas d’un humain, mais d’un huborg. Comme les deux autres. Au moins n’a-t-elle pas été battue par des hommes…
Ensuite, alors que les brumes de l’inconscience l’appellent, elle regarde l’écoutille et identifie ce qui s’en éloigne, flottant vers l’immensité de l’espace. Si elle n’était pas si fatiguée… Si l’obscurité n’était pas si accueillante, elle rirait de bon cœur.
Parce qu’elle sait où est Jowe.
Parce que, malgré tout, il a réussi.
Il ne retournera jamais en reconditionnement corporel.
À présent, son destin, c’est l’infini. Sans scaphandre, congelé, mort.
Mais libre.
Finalement, complètement et définitivement LIBRE.
Autrefois, la Terre était saturée de futurologues.
Autrefois, lorsque le Contact n’était qu’un cauchemar né de la plume de quelques écrivains de science-fiction pessimistes…
À l’époque, les futurologues semblaient avoir le monopole de l’optimiste. On ne savait pas si le passé – quelle qu’en soit la période– avait été heureux. Le futur serait toujours plus lumineux, plus humain, plus riche , plus écologique, plus…
Ou alors , il ne serait simplement pas.
Les plus pessimistes des nouveaux augures évoquaient l’éventualité que l’homo sapiens, avec ses armes nucléaires – ou ses armes biologiques, ou ses déchets, il y avait plusieurs apocalypses possibles, – détruise sa civilisation et son espèce. Et peut-être, au passage, la planète. Mais quel individu se soucierait des péripéties du scénario une fois la scène quittée ?
Quoi qu’il en soit , les décisions concernant son futur appartenaient totalement à l’homme. Les options paraissaient très limitées : le développement vertigineux et rationnel, ou bien le suicide.
Mais les xénoïdes sont arrivés. À première vue, ils ne connaissaient pas la futurologie , dont ils se fichaient éperdument. Du moins, celle des hommes . Après leur Ultimatum, le monopole du futur a cessé d’appartenir aux nouveaux augures. Et à l’ensemble de l’espèce humaine.
Il ne reste à l’homo sapiens que le présent , comme on laisse un os à un chien pour qu’il le ronge , une fois que son maître a mangé toute la chair. Il n’y a plus de « pronostics pour les cinquante prochaines années ». Ni pour les dix prochaines. Ni même pour demain.
Chaque matin, l’être humain s’éveille avec espoir et peur, pour découvrir avec découragement – et soulagement – que tout est pareil. Ce n’est pas un cauchemar. Les xénoïdes existent, ils sont les maîtres. Et nul ne sait ce qu’ils décideront pour demain.
Les travailleuses sociales, le reconditionnement corporel, l’effacement de mémoire des humains qui voyagent loin de la Terre, les huborgs auyaris substitués à l’humanité faillible de la Sécurité Planétaire , les métis fabriqués en série , l’écologie et l’histoire terriennes vendues au plus offrant …
Nul l’aurait imaginé.
Nul ne sait ce qu’il y aura après.
Même les descendants de ces pessimistes auteurs de science-fiction ont cessé de rêver et d’écrire ; dépassés par la folie vertigineuse de la réalité.
Mais ils savent tous , comme le condamné à mort sait qu’il n’y aura pas de grâce , que la situation n’est qu’un étrange interrègne , qu’elle ne peut durer éternellement.
Et tous tremblent de peur : si c’est dur aujourd’hui , qu’en sera-t-il demain ?
Mieux vaut un mal connu qu’un pire à venir …
Certains visionnaires essaient désespérément de trouver une échappatoire.
La Terre découvrant un nouveau type de propulsion hyper-ultraluminique et abandonnant le Système solaire et la galaxie , loin des vautours xénoïdes qui dévorent chaque nuit le foie des hommes qui se régénère sans cesse.
La Terre découvrant l’arme définitive et menaçant la galaxie d’annihilation si on ne la laissait pas sortir pour toujours du sous-développement.
La Terre , découvrant le remède définitif contre le vieillissement et la mort et le donnant à la galaxie, en échange d’un futur autodéterminé.
Mais les scientifiques-galériens, depuis leurs laboratoires-ergastules, savent trop bien que la science ne sera pas la solution. Peu importe ce qu’ils inventent, ils n’ont pas les moyens de l’appliquer à une échelle suffisamment grande pour concurrencer les xénoïdes.
D’autres parlent de la dignité humaine et proposent un suicide collectif de la Terre. Mieux vaut cesser d’exister que de demeurer esclaves.
Mais les psychologues savent fort bien que la vie et l’instinct de conservation sont des forces trop puissantes. Bien plus que l’orgueil et le désespoir… La Terre entière ne sera pas une nouvelle Numance , ni une nouvelle Sagonte. Mieux vaut être esclaves des Romains-xénoïdes que morts …
D’autres, encore plus éloignés de la réalité , rêvent d’un altruisme galactique qui, à un moment du futur, concédera la liberté de développement à la colonie terrienne. Comme l’a aimablement fait l’Angleterre avec l’Inde à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Ils oublient que la Reine Elisabeth II n’avait envoyé son ultime vice-roi, Lord Louis Mountbatten, donner l’indépendance au sous-continent qu’au moment où elle n’avait plus été capable de le contrôler. Lorsque ni les Anglais ni les spahis n’étaient en mesure de maintenir leur domination sur des millions de personnes.
Tant que les Anglais-xénoïdes et leurs spahis-Agence Touristique Planétaire continueront de contrôler la Terre , il n’y aura pas d’indépendance. Nul ne rend sa poule aux œufs d’or si on ne l’y oblige pas.
Certains font confiance au temps , qui peut tout , pour que la décadence s’empare des races xénoïdes vieillissantes et fatiguées et fasse s’effondrer leur empire , comme la Rome antique.
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