Sur le radar, le grand écho du point d’embarquement vers Rigel, où les hyper-vaisseaux attendent que les lanceurs leur amènent les passagers en partance vers la lointaine étoile, diminue de plus en plus.
Mais un autre écho s’approche, beaucoup plus petit et plus rapide. Il ne sort pas de l’atmosphère terrestre. Il vient de l’orbite. Un patrouilleur.
Friga jure et connecte le champ collecteur d’hydrogène pour réactiver les réacteurs.
Jowe calcule sans se presser les trajectoires et les vitesses relatives des deux véhicules spatiaux.
Adam se plaint de leur malchance : pourquoi fallait-il qu’ils soient détectés si rapidement ?
Friga lui rappelle que seuls les faibles croient en la chance.
Les invisibles mâchoires magnétiques du champ collecteur se déploient devant L’Espoir, capturant les atomes d’hydrogène qui flottent dans l’espace, à raison d’un ou deux par mètre cube.
Les quinze pour cent d’hydrogène des réservoirs seront suffisants pour rallumer les réacteurs, mais pas plus. Le champ collecteur augmente leur efficacité avec la vitesse : après vingt secondes, les moteurs atteignent un régime stable. La capture et la consommation d’hydrogène s’équilibrent.
Jowe sort de son mutisme pour informer les autres d’une voix enrouée que le patrouilleur est en train de gagner du terrain.
Adam, hystérique, lui répond que ceux de la Sécurité Planétaire possèdent des moteurs inertiels basés sur l’antigravitation, qui ne nécessitent ni combustible externe ni préchauffage… Mais qu’ils ne les rattraperont pas, vu l’avance qu’ils ont.
Jowe le détrompe. D’après ses calculs, la trajectoire du patrouilleur est inéluctable : ils arriveront à distance de tir avant que L’Espoir se soit avancé suffisamment dans le Tunnel de fuite pour activer l’hyper-moteur et que celui-ci fonctionne. Et cela doit se produire dans environ une heure.
Adam explose et hurle à Jowe qu’il peut aller tout de suite en enfer : il lui suffit d’ouvrir l’écoutille, de sortir et de se mettre à courir dans l’espace, s’il a si peur.
Friga s’en mêle. De sa voix rocailleuse, elle leur rappelle qu’il s’agit d’un patrouilleur isolé et que L’Espoir est blindé et armé. De nouveau, elle tripote les commandes de tir.
Le patrouilleur doit maintenant les avoir identifiés comme vaisseau fugitif : il maintient le silence radio tandis qu’il s’approche. Au cas où, Adam émet un faisceau d’interférences pour éviter que leur poursuivant ne demande de l’aide à d’autres vaisseaux de la Sécurité Planétaire.
Manœuvrant les commandes avec l’adresse d’un pianiste, Friga corrige le cap de L’Espoir et lance les réacteurs à plasma à pleine puissance. À vitesse toujours croissante, le vaisseau s’éloigne du plan de l’écliptique. D’ici deux heures, il sera à distance suffisante pour le saut en hyper-espace.
Si le patrouilleur ne les détruit pas avant… Il ne leur a pas encore demandé de se rendre.
Ce que, de toute façon, ils ne feront pas sans lutter. Le combat est inévitable.
LE COMBAT
L’heure s’écoule.
Friga, impatiente, brûle du désir de tirer sur le patrouilleur.
Malgré la notable avance prise par L’Espoir ; le vaisseau de la Sécurité Planétaire et sa vitesse supérieure ont réduit considérablement la distance qui les sépare.
Jowe rappelle à Friga que la portée des masers de L’Espoir est supérieure d’un ou deux kilomètres à celle des canons à particules du patrouilleur. Mais, en contrepartie, il leur faut presque une minute pour se recharger après chaque tir, contre seulement dix secondes pour les armes ennemies.
Adam acquiesce et regarde la chef-pilote.
Friga sourit : au moins elle aura l’avantage de la surprise et du premier tir, et elle compte bien en profiter. En outre, elle connaît quelques petits trucs… Ce n’est pas parce que les patrouilleurs ont été construits par des xénoïdes que leur conception est parfaite. Certes, le vaisseau de la Sécurité Planétaire a une cabine hyper blindée et un moteur inertiel super protégé, mais les tourelles desquelles émergent ses armes redoutables constituent son point faible.
Lorsque l’indicateur de distance est positionné au point qu’elle a fixé, elle appuie d’un geste décidé sur les déclencheurs de ses masers. Ce qui déconnecte soudain les moteurs.
Sous l’effet du brusque arrêt de l’accélération, l’apesanteur soulève les trois passagers qui flottent au-dessus de leurs sièges, retenus par leurs ceintures de sécurité, et guettent les effets du tir de leur vaisseau.
« Rallume les moteurs ! crie Adam, hystérique. Pourquoi as-tu fait ça ? »
Sur l’écran radar, l’ennemi paraît indemne.
« Calme-toi, Adam, répond Jowe. Il est logique d’éteindre les réacteurs. Cela réserve de la puissance pour les boucliers, et le changement d’accélération complique le calcul de notre position. »
Huit secondes après son attaque, L’Espoir est la cible du faisceau de particules ionisées tiré par le patrouilleur. Sur le radar, la décharge ressemble à un jet de points lumineux qui unit les deux vaisseaux pendant une seconde.
Malgré le bouclier de leur champ de force, l’impact est parfait… et désastreux pour L’Espoir. Les planches de plasti-acier du vaisseau artisanal se fissurent d’un bout à l’autre, plusieurs renforts structurels volent en éclats, et les réservoirs d’hydrogène – fort heureusement presque vides – explosent, lançant de grandes flammes dans l’espace.
Pire, le champ de force cesse inexplicablement de fonctionner. Adam, affolé, pianote désespérément sur les contrôles du système, essayant de le réactiver. Sans succès…
« Un autre tir comme ça et le voyage est fini », déclare Jowe, d’une voix sereine.
Friga ne prononce pas un mot. Elle surveille le rechargement de ses armes. Si elle doit mourir, ce sera en se battant. À l’évidence, son stratagème n’a pas fonctionné… L’adversaire lancera son deuxième tir avant que L’Espoir puisse riposter. Et sans bouclier, il les détruira à coup sûr.
Le délai s’écoule : sept secondes, huit, neuf…
La femme et les deux hommes ferment les yeux…
Trois secondes plus tard, ils sont toujours vivants. Il semble que l’ennemi n’ait pas pu tirer… Sur l’écran radar, le vaisseau patrouilleur entame une manœuvre d’esquive. Il est entouré d’une myriade de points lumineux intermittents.
Friga lance son cri de guerre et fait feu de nouveau.
« Je le savais ! rugit-elle en riant. Si je parvenais à endommager l’isolateur de leur canon à particules, leur premier tir serait le dernier ! Prends-toi ça dans les dents, Sécurité Planétaire de mes deux ! »
Les deux hommes comprennent alors ce qui est arrivé à leur poursuivant. Les points lumineux sont les « balles » de son propre canon : les particules chargées. À cause du court-circuit provoqué dans l’arme par le tir de Friga, elles n’ont pas pu être projetées au loin. Et, attirées par l’électricité statique de la coque du patrouilleur, elles s’agglutinent autour de celle-ci sans que le champ de force leur permette d’y adhérer.
Le second tir des masers de L’Espoir n’a pas d’effet visible. Mais l’ennemi bat prudemment en retraite.
Il n’y a pas d’autre patrouilleur sur le radar. Sans autre poursuivant, Friga décide de ne pas reconnecter les réacteurs. Le vaisseau suit sa trajectoire inertielle dans le Tunnel de fuite.
Les trois aspirants au voyage hyper-spatial, voyant se profiler l’infini et l’éternité devant eux, se détachent de leurs sièges en riant et jouent en apesanteur comme des gamins. Ils répareront plus tard les dégâts provoqués par l’attaque du patrouilleur. Pour l’heure, il faut relâcher la pression. Oublier, au moins pour quelques instants, qu’en comparaison de ce qui les attend, tout ce qu’ils viennent de réaliser n’était qu’un jeu d’enfant.
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