José Gómez - Planète à louer

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Dans un futur indéterminé, une guerre nucléaire totale est sur le point d’éclater. Afin de sauver la Terre, des espèces extraterrestres en prennent possession, après avoir fait montre de leur force en annihilant l’Afrique. Ils y imposent des règles draconiennes visant à rétablir l’équilibre écologique. Un siècle plus tard, notre planète est redevenue un paradis, un « monde souvenir », où les riches xénoïdes viennent faire du tourisme. Mais derrière l’image d’Épinal, les conditions de vie des Terriens sont loin d’être idylliques.
Buca, la prostituée, Moy, l’artiste métis ou Alex, le scientifique de génie, tous n’aspirent qu’à une seule chose : fuir… partir… s’exiler… quitter la Terre… par tous les moyens!

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Caresser le gros corps cuirassé de ToiGrandeBrute procurait une sensation étrange, comme toucher une machine ou une statue de pierre. Moy avait toujours entendu dire que la carapace des Colossiens était peu sensible. Mais ToiGrandeBrute semblait apprécier plus que tout d’être effleuré. Et cela ne lui coûtait rien de le satisfaire. C’était comme caresser un chien, mais légèrement plus imposant…

Depuis l’enfance, Moy, en tant que Terrien, avait découvert que le sexe était monnaie courante chez les humains pour payer des dettes envers les xénoïdes. Bien qu’il n’ait jamais envisagé de se lancer dans le travail social à son propre compte, il considérait le temps passé à satisfaire les étranges appétits du Colossien comme un profitable investissement… affectif. Le fait que ToiGrandeBrute lui donne une seconde chance pour ses dettes n’y était pas étranger.

Dans la vie, tout avait un prix.

Le matériel était OK.

Sifflotant, Moy quitta la tente et sortit sur la place bondée. Le brouhaha, l’odeur et les couleurs frappèrent ses sens comme une gifle. Il respira profondément et poursuivit son chemin.

Cette courte promenade entre deux représentations était devenue un rituel. Le magnifique spectacle de la capitale cétienne et de ses habitants le calmait, en plus de le motiver. Il avait l’impression de regarder tout ce qu’il pourrait avoir s’il travaillait dur et ne dépensait pas trop.

D’habitude, il n’y avait que de rares passants sur la grande esplanade, mais aujourd’hui était un jour spécial. Avec le sens esthétique démesuré dont seuls les Cétiens se targuaient – quand ils le voulaient bien –, un carnaval à l’échelle planétaire saluait le Jour de l’Union : la fête la plus importante pour toutes les espèces, la commémoration de leur intégration dans la communauté des intelligences de la galaxie, comme un enfant atteignant sa majorité.

Traversant ou évitant les groupes de Cétiens et autres xénoïdes vêtus de costumes exotiques et bariolés, Moy se demanda si un jour les humains pourraient célébrer une fête de ce genre, au lieu du Jour du Contact, qu’il serait plus juste d’appeler le jour de la Conquête…

« Karjuz friz ! »

Perdu dans ses pensées, il mit presque une seconde à enregistrer les mots que venait de lui lancer un Cétien enthousiaste.

Moy l’observa minutieusement. Grâce à un ingénieux système d’holo-projections, le xénoïde était parvenu à la totale transparence de la moitié droite de son corps. Apparemment, la demi-créature avait confondu son physique d’humain avec un déguisement particulièrement hilarant et lui faisait un commentaire sur l’ingénuité de son costume. Ou peut-être lui avait-il seulement demandé où il se l’était procuré, souhaitant en trouver un similaire ?

Moy connaissait peu de mots cétiens et ne portait pas de traducteur. Comme le Colossien, il ne les aimait pas beaucoup.

Il étreignit le Cétien avec effusion, lui criant presque dans les oreilles.

« Ton semblant de mère fornique avec les polypes ! »

Et il éclata de rire.

L’humanoïde le regarda un instant. Puis il agita latéralement la tête, à la manière de son espèce. Il lança un rire cristallin puis s’éloigna en exécutant des pirouettes, heureux.

Si, la plupart du temps, les Cétiens étaient des êtres raffinés qui entretenaient avec tous les étrangers un comportement distant, sérieux et courtoisement condescendant, le Jour de l’Union, ils se lâchaient complètement. Durant ces vingt-six heures, ils se permettaient des plaisanteries de toutes sortes et recouraient à des distractions que, le reste de l’année, ils considéraient comme totalement obscènes.

L’odeur aphrodisiaque de patchouli que lui laissa l’embrassade excita la glande pituitaire de Moy et lui provoqua presque une érection.

Il scruta le xénoïde, avec l’envie de le suivre.

C’était un mâle. Dommage. Il n’éprouvait pas particulièrement d’attirance pour son propre sexe. Sans compter que les Cétiens détestaient et punissaient l’homosexualité. Mais, si aujourd’hui tout était permis… Pourquoi pas ?

La demi-créature s’était à présent perdue dans la foule.

Moy soupira. Peut-être qu’après le spectacle il rencontrerait une femelle… plus communicative. Et qui ne le ferait pas payer, les hétaïres cétiennes étant magnifiques, mais abusivement chères.

Les humanoïdes cétiens devaient leur extraordinaire beauté à leurs ancêtres félins, et les Terriens y étaient particulièrement sensibles. Lorsque les premiers mâles de leur espèce avaient visité la Terre, il y avait eu parmi les humaines de véritables vagues de fanatisme et de passion, devant lesquelles pâlissaient tous les cultes du passé à des stars de la musique ou du cinéma.

Et les femelles… Moy n’oublierait jamais le tiraillement qu’il avait ressenti entre ses jambes, à quatorze ans, lorsqu’il avait contemplé pour la première fois l’une d’entre elles qui était venue, sans doute par erreur, à une exposition de tableaux de son professeur de dessin. La silhouette altière et délicieusement proportionnée, les yeux rayés de pupilles verticales, la grâce aérienne de ses gestes, le ton caressant de sa voix. Cet air d’exotique sensualité qui émanait de son corps, et l’odeur…

Il ne servait à rien d’expliquer qu’il s’agissait de phéromones que tout mâle ou femelle cétien pouvait produire à volonté. L’effet demeurait le même : un désir intense de se frotter contre leur peau, de les caresser, de se soumettre et de les soumettre… et à la fois un respect quasi divin qui empêchait quiconque, à l’exception des attardés mentaux, des malades sexuels ou des lobotomisés, de tenter d’avoir des relations sexuelles avec une créature née sous la lumière de Tau Ceti s’il ne recevait pas au préalable une invitation claire de sa part.

Or, cette fascination n’est pas propre aux humains. Les Centauriens, les Colossiens… même les Gordiens hermaphrodites et télépathes paraissent perdre une partie de leur aplomb commercial devant les magnifiques Cétiens. L’une des nombreuses énigmes de l’univers.

Après plusieurs mois passés parmi eux, Moy avait tiré ses propres conclusions : les Cétiens si raffinés, qui montraient un tel intérêt pour les beaux arts, avaient porté l’attraction sexuelle au niveau de l’art ultime. Fous de beauté, ils l’avaient personnifiée. Celle-ci constituait leur arme secrète et fatale dans les jeux de pouvoir qui opposaient les espèces de la galaxie. Comme la télépathie était celle des Gordiens, la dissimulation celle des Auyaris et leurs redoutables corps celle des Colossiens.

Mais il ne fallait pas se laisser tromper par leur air angélique. Les Cétiens étaient des anges de l’enfer ; sous le charme serein et distant, il y avait presque toujours des esprits cruels et calculateurs, avides de gain, profitant de tout avantage. Derrière le masque de la beauté se cachaient des êtres durs, capables de séduire des humains pour ensuite les obliger à travailler comme esclaves dans leurs bordels ou vendre leurs organes pour la transplantation. Ou pire encore.

Oui, ils pouvaient bien être les Judas de la galaxie… mais nul ne les surpassait en matière de sensibilité esthétique.

ToiGrandeBrute avait été très sage de choisir Ningando comme point fort de sa tournée. La capitale de Tau Ceti était comme la New York de l’âge d’or de la Terre : le centre artistique de la galaxie. Triompher chez les Cétiens revenait à l’emporter sur tous les xénoïdes – à l’exclusion, peut-être, des énigmatiques Auyaris. Et les critiques qu’il avait vues ne tarissaient pas d’éloges sur ses spectacles. Peut-être que son agent colossien ne comprenait pas grand-chose à l’art, mais il savait au moins où se trouvaient ceux qui s’y entendaient… et qui, en outre, payaient fort bien.

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