José Gómez - Planète à louer

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Dans un futur indéterminé, une guerre nucléaire totale est sur le point d’éclater. Afin de sauver la Terre, des espèces extraterrestres en prennent possession, après avoir fait montre de leur force en annihilant l’Afrique. Ils y imposent des règles draconiennes visant à rétablir l’équilibre écologique. Un siècle plus tard, notre planète est redevenue un paradis, un « monde souvenir », où les riches xénoïdes viennent faire du tourisme. Mais derrière l’image d’Épinal, les conditions de vie des Terriens sont loin d’être idylliques.
Buca, la prostituée, Moy, l’artiste métis ou Alex, le scientifique de génie, tous n’aspirent qu’à une seule chose : fuir… partir… s’exiler… quitter la Terre… par tous les moyens!

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« Je suis pieds et poings liés, liés, liés », chantonna-t-il, une habitude acquise au fil des mois de relatif isolement.

Depuis combien de temps n’avait-il pas posé les yeux sur un autre visage humain ? Des mois. Depuis Kandria, sur Colossa. Et elle n’était pas totalement humaine, mais métissée de Centaurien…

Même son propre reflet commençait à lui sembler étrange dans le miroir. C’était logique, après avoir vu, dans tous les coins de la galaxie, tant de faces poilues, écailleuses, emplumées ou simplement indescriptibles.

« Tu ne voulais pas voir d’autres mondes, mon gars ? ironisa-t-il. Maintenant, il faut boire la coupe jusqu’à la lie. Le malheur, c’est que je ne pourrai raconter ça à personne. Et pourtant j’ai vu tant de choses… »

La tournée avec ToiGrandeBrute l’avait mis en contact avec des êtres et des endroits dont il n’avait jamais entendu parler sur Terre. Des êtres merveilleux et terribles. Pour connaître de telles créatures, n’importe quel sociologue ou biologiste terrien aurait donné dix années de sa vie.

Il avait vu les morlaks de Bételgeuse avec leurs pieds phosphorescents, les oiseaux bicéphales d’Arcturus, les marsupiaux d’Algol qui pouvaient se téléporter, et des centaines d’autres animaux. Le cosmos était beaucoup plus vaste qu’on ne pensait sur Terre, et dissimulait bien plus d’espèces qu’on ne l’imaginait.

Il ne parlerait jamais de ces êtres : les lois de la galaxie contrôlaient très strictement le flux d’informations scientifiques et techniques auquel pouvaient avoir accès les espèces « attardées » comme l’homo sapiens. Dès la signature de son contrat, Moy savait qu’à la veille de son retour sur Terre sa mémoire serait bloquée. Pour préserver l’anonymat des espèces qui ne souhaitaient pas être connues des êtres humains. Pour que nul ne puisse jamais raconter ses expériences. Une précaution élémentaire afin d’éviter que des savoirs et des technologies dont l’utilisation « rationnelle » n’était pas encore à leur portée ne parviennent à la connaissance des Terriens.

« L’important, c’est ce que j’ai vécu et ce dont je me souviens, même si je ne peux pas le raconter », murmura-t-il. Par chance, je ne suis jamais allé sur Auya…

Il cessa un moment son évocation des nano-bloqueurs de mémoire et jeta un regard hors de la tente, par-dessus son épaule. L’hologramme du triple losange bleu, rouge et noir flottait, tournant lentement au-dessus des bâtiments les plus hauts de la place. Le symbole des Auyaris.

L’espèce la plus riche de la galaxie. Et la plus secrète. Nul ne connaissait leur véritable apparence, ni la localisation de leurs mondes. Tous ceux qui les visitaient souffraient d’un effacement total de leur mémoire… Ou mouraient.

Il contempla quelques secondes le triple losange comme un oisillon sans défense fixe les yeux hypnotiques du cobra. Les Auyaris payaient bien. Mieux que personne. Un contrat avec eux pouvait faire de lui un homme fortuné jusqu’à la fin de ses jours. Mais il y avait un prix à payer : repartir avec l’esprit aussi vide que celui d’un nouveau-né. Sans l’unique véritable richesse qu’il avait amassé durant sa courte vie ; ses souvenirs.

Moy frissonna et dut fournir un gros effort pour détourner son regard du triple losange.

« Je dois penser à autre chose ou je ne serai bon à rien, aujourd’hui, marmonna-t-il en sentant des gouttes de sueur perler sur son front. J’aurais bien besoin d’une dose… »

Une dose, une dose… NON.

Il ne devait plus jamais y penser.

Le télé-crack avait failli lui liquéfier le cerveau. ToiGrandeBrute avait juré de le réduire en miettes s’il le surprenait à en reprendre, après tout ce que lui avait coûté la désintoxication. Et les Colossiens tenaient toujours leurs promesses.

« C’est sa faute… Il n’aurait jamais dû me laisser me sentir si seul, ronchonna Moy. J’ai dû chercher du réconfort dans le télé-crack… »

Il déglutit. La simple évocation de la drogue et le souvenir de sensation incomparable lorsque celle-ci entrait dans ses veines l’avait fait trembler. Il dut s’appuyer sur un coin de la tente pour ne pas trébucher.

Bien sûr que c’était la faute du Colossien.

Pourquoi ne lui avait-il jamais dit que les prétendues capacités télépathiques supposément générées par le télé-crack étaient de la foutaise ? Pourquoi, étant son agent, ne l’avait-il pas mieux aidé à gérer ses gains des premiers mois ? À les investir, comme lui ?

En fait, pour arriver à l’éloigner de la drogue et des autres plaisirs faciles, il aurait fallu lui ordonner d’arrêter. Mais Moy était avide de gagner des crédits pour pouvoir les dépenser. Aurait-il seulement obéi ?

« Nul n’apprend les leçons avec les veines d’un autre », fit-il dans un sourire las.

Avec tristesse, il se souvint de sa frénésie des premiers mois. Époustouflés par la nouveauté totale de son spectacle, les xénoïdes déboursaient très généreusement leurs crédits. Et lui les dilapidait avec ravissement.

Il avait acheté tout ce qu’il avait désiré sur Terre et n’avait jamais eu. Tout ce qui, pour lui, avait symbolisé le statut, le pouvoir, la richesse. Des vêtements de luxe. Des mets exotiques. De somptueuses hétaïres cétiennes. L’achat et l’envoi par télé-transport de cadeaux pour toute sa famille. Un appartement dans les quartiers les plus huppés. Des crédits, encore plus de crédits… et, pour finir, le télé-crack.

L’excuse qu’il s’était donnée pour en prendre était un pur cliché. Quelque chose comme : parvenu à un certain point, tout créateur a besoin de développer ses facultés parapsychologiques s’il veut aller plus loin. Quels spectacles grandioses il pourrait créer s’il pouvait lire dans l’esprit du public ! La rétroaction parfaite, la boucle divine…

« Ah ah ! ricana sèchement Moy. La boucle de rien du tout ! »

Au plus profond de son être, il avait deviné que le télé-crack était un mensonge. Pour un être humain, devenir temporairement télépathe tenait de l’absurdité totale. Ce qui l’avait attiré là-dedans, ce n’étaient pas tant ses effets douteux que l’addiction irréversible dans laquelle on tombait. Et les séquelles de détérioration cérébrale qu’on pouvait encourir. C’était comme jouer avec la mort…

Une dose. Puis une autre. La roulette russe de la drogue.

Le télé-crack, même loin de la Terre, restait une drogue chère. Il avait dépensé des milliers de crédits pour se remplir les veines de venin. Jusqu’à ce qu’un jour, ToiGrandeBrute, las d’être le témoin de son autodestruction, l’enferme de force dans un Centre de désintoxication. Moy n’était plus que l’ombre de lui-même : il pesait quarante-cinq kilos et respirait par miracle.

Au Centre, on s’était bien occupé de lui. Très bien, même, puisqu’on l’avait débarrassé de son addiction. Certes, ces gens-là étaient là pour ça. Mais ils y étaient parvenus en seulement huit jours. Huit jours durant lesquels il avait connu les affres de l’enfer. Ça s’était mal passé. Très mal.

Savoir ce qu’il avait traversé lui suffisait, il ne voulait pas se souvenir des détails… Ou il ne le pouvait pas. Les Auyaris n’étaient pas les seuls à savoir effacer la mémoire.

Il en était sorti rétabli, avec trente kilos de plus et un respect absolu pour la médecine xénoïde, qui était parvenue à le remettre miraculeusement sur pied en une semaine et à le libérer d’une drogue dont nul ne s’échappait sur Terre. Il éprouvait un mélange de gratitude et de ressentiment envers ToiGrandeBrute. Le Colossien lui avait sauvé la vie, oui… mais il avait inscrit au débit de son compte l’intégralité du coût du traitement.

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