La deuxième raison – et, à dire vrai , la principale– est plus … économique. L’Agence Touristique Planétaire offre une couverture médicale gratuite et verse d’importantes primes à toute travailleuse sociale enceinte d’un humanoïde … Des primes encore plus importantes si l’hybride vient au monde en bonne santé.
En échange d’une si généreuse quantité de crédits, la mère doit seulement signer un abandon officiel de tous ses droits sur le nouveau-né, dont la garde et l’éducation seront confiés aux pédagogues et au personnel spécialisé de l’Agence.
Les jeunes métis reçoivent une éducation soignée et coûteuse ayant pour but de développer leurs dons artistiques innés. Celle-ci peut durer plusieurs années et ne se termine que lorsqu’un acheteur se présente.
Les riches xénoïdes dépensent volontiers de grosses sommes pour s’adjoindre de façon plus ou moins permanente les talents d’un métis humanoïde. Lequel, pour sa part, grâce à l’extrême particularité de sa naissance, profite automatiquement des privilèges de la double nationalité terrienne et xénoïde, de la liberté de voyager et d’autres avantages . Par ailleurs, en raison de son précieux talent ; il possède généralement des revenus et un niveau de vie très supérieurs à ceux de n’importe quel humain ordinaire.
L’importante quantité de crédits que tout métis doit payer régulièrement , où qu’il soit , à l’Agence Touristique Planétaire, est considérée comme un impôt de citoyenneté extraterritoriale, parfaitement légal selon les normes galactiques. Ou une juste rétribution pour l’investissement élevé qu’a représenté son éducation artistique.
La vente-location d’artistes métis est à l’heure actuelle l’une des sources de revenus les plus rentables pour la Terre qui amortit ainsi largement toutes les dépenses investies pour leur instruction. On étudie même, avec l’aide des ineffables Auyaris, un projet pour réaliser l’hybridation-artificielle, – au moins au début–, d’autres races non humanoïdes avec les gènes terriens. Bien que le projet ne soit encore qu’à la phase expérimentale , on compte déjà des milliers de demandes pour des métis humain-Colossien, humain-Gordien, voire d’autres combinaisons encore plus exotiques.
La seule préoccupation de l’Agence Touristique Planétaire est le risque représenté par le facteur « humain » de l’investissement . La stabilité psychologique des hybrides est anormalement faible. Malgré tous les efforts pour la diminuer, il semble que la tendance à la dépression , la névrose ou autres souffrances psychiques des métis continue d’être très élevée , bien que les statistiques à ce sujet demeurent secrètes.
Certains spécialistes en psychologie sociale supposent que la sensation même de non-intégration , de déracinement , de non-appartenance , d’entre-deux, autant de symptômes de la crise d’identité qui pousse les hybrides à rechercher un refuge solitaire dans l’art, explique que leur taux de suicide et leur espérance de vie soient respectivement le plus élevé et le plus bas de tous les groupes « humains » connus.
Cependant , l’Agence Touristique Planétaire réalise des études prometteuses sur l’implantation corticale de bloqueurs de suicide , du même type que les bloqueurs implantés par les xénoïdes à tout humain qui voyage en dehors de la Terre pour l’empêcher de révéler, lorsqu’il rentre, ce qu’il a vu dans les autres mondes.
Certains spécialistes en comportement doutent de l’efficacité de cette méthode. Ils affirment que priver les métis de « l’échappatoire relative » que constitue le suicide pourrait non seulement aboutir à l’effondrement total de leur psychisme mais aussi représenter un grand danger pour leurs acheteurs ou maîtres. Ne pouvant pas se supprimer, ils seraient susceptibles de devenir très agressifs envers les autres, cherchant ainsi la mort par tous les moyens.
Malgré ces objections qui proviennent de voix isolées , l’Agence compte , avec cette nouvelle technologie , résoudre définitivement un si lamentable problème et ne plus avoir à gérer les réclamations de xénoïdes impuissants face à la dégradation des métis qu’ils avaient payés si cher…
« Toi te décarcasser aujourd’hui, beaucoup public », déclara ToiGrandeBrute en entrant dans la tente de sa voix rauque.
Puis, s’approchant de Moy qui vérifiait l’équipement pour la énième fois, il ajouta :
« Pas besoin autre révision… Moi déjà fait deux fois.
— Je me donnerai à fond, n’aie crainte, ronchonna Moy sans le regarder. Et laisse-moi te dire une bonne chose : je contrôlerai tout ça cent fois si je le juge nécessaire. C’est ma vie qui est en jeu… Pas la tienne, gros balourd. »
Le Colossien grogna, plus amusé qu’offensé. C’était devenu une habitude. Au début, il se vexait chaque fois que l’humain le traitait de « gros balourd ».
Selon les standards de sa race, ToiGrandeBrute était petit et faible. Ce qui expliquait son choix de devenir agent artistique. En effet, les natifs de Colossa appréciaient peu les métiers ne nécessitant ni force physique, ni dextérité, ni agressivité, comme les activités artistiques. Les fonctions honorables et idéales pour un Colossien « normal » se réduisaient à garde du corps, agent des forces de l’ordre ou soldat. Pour les siens, ToiGrandeBrute était un pauvre excentrique.
Le plus amusant était que lorsque Moy le traitait de « gros balourd », il ne plaisantait pas. Le « faible » Colossien qu’était son agent possédait une armure naturelle de plaques osseuses rougeâtres que peu d’armes pouvaient pénétrer, et il mesurait trois mètres de haut sur un mètre cinquante de large. Il lui manquait peut-être une cinquantaine de centimètres et un demi quintal… mais il était bien assez fort pour transformer tout humain en charpie avec un seul de ses bras, aussi gros que la cuisse de Moy.
Le Colossien agita son énorme main tridactyle de façon menaçante :
« Absolument nécessaire que tout soit meilleur que jamais, aujourd’hui. Si toi échoues, contrat terminé. Toi pas encore gagné voyage retour. »
Il fit demi-tour et sortit si précipitamment que les parois de syntho-plast de la tente, fines mais résistantes, oscillèrent, sur le point de se déchirer.
« Imbécile ! » marmonna Moy, mais seulement lorsque le bruit des pas lourds du xénoïde se fut éloigné.
Les Colossiens avaient l’ouïe fine et pouvaient se montrer très rancuniers.
Moy ne craignait pas les poings blindés et les larges muscles de ToiGrandeBrute… Le Colossien ne se risquerait pas à le blesser : l’humain était sa poule aux œufs d’or, son meilleur placement. Mais il pouvait contrôler ses gains avec ce contrat léonin qu’il l’avait forcé à signer comme condition sine qua non pour le sortir de la Terre. Celui-ci comportait certaines clauses qui faisaient littéralement de lui son esclave, si le xénoïde se décidait à en demander l’application. Pire, Moy les avait paraphées volontairement avec ses empreintes digitales, son empreinte vocale et son identification rétinienne, ce qui ne lui donnait droit à aucune réclamation légale.
Par chance, il pouvait se dire qu’entre son agent et lui s’était développé une sorte… d’amitié. Bien que le mot soit un peu exagéré pour décrire toute forme de relation entre un xénoïde et un être humain. Et pourtant, si ToiGrandeBrute voulait lui nuire… Mieux valait ne pas y penser.
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