Frédéric Dard - Un tueur

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Un tueur raconte à la première personne du singulier l'épopée sanglante d'un criminel sans envergure devenu tueur.
Un tueur élégant comme on n'en fait plus, ne succombant à rien si ce n'est au charme vénéneux des femmes et qui, les yeux voilés de rouge et la mort dans la peau, finit par attendrir sa proie à commencer par nous, lecteurs.
Kaput, c'est l'odyssée de ce tueur vers la pente fatale du crime.
C'est aussi une pièce majeure sur le chemin de Frédéric Dard vers la reconnaissance littéraire et populaire qui est la sienne aujourd'hui.
Qualifiés de « mémoires du désespoir » par son auteur à l'époque de leur publication dans les années 1950, les textes originaux des Kaput sont désormais réunis dans ce livre sous le titre
.

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— Paraît !

— Et si le capitaine tombe, le lieutenant prend le commandement. Seulement, dans certaines affaires, il n’en va pas de même. Le patron disparaît et l’affaire s’écroule… A moins… à moins qu’il se trouve quelqu’un au courant des rouages…

Je ne pouvais détacher mon regard d’elle.

— Bon, alors ?

— Carmoni se méfie de tout le monde. Il a peur de son ombre ! Tout ce qu’il fait est enrobé du plus profond mystère.

— Et alors ?

— Seulement, depuis des années, je suis vautrée sur ses tapis… On ne se méfie pas d’un chat siamois ou d’une poupée, n’est-ce pas ?

— En effet…

— Pourtant un chat siamois a des oreilles et une poupée a des yeux. Qu’il disparaisse et je suis capable de continuer son organisation…

— Vraiment ?

— A quoi auraient servi » ces années d’esclavage, sinon ?

— Ce qui veut dire ?

— J’ai besoin qu’un homme, un vrai, m’aide à prendre l’affaire… Car je ne suis qu’une jeune fille. Je peux être le cerveau, mais pas le bras…

Elle m’a regardé bien en face.

— C’est une proposition intéressante, non ?

— Bien sûr ! Mais qui me dit que vous ne me menez pas en bateau, hein ? Qui me prouve que vous ne cherchez pas à m’entraîner dans un piège ? Deux fois déjà j’ai retiré les marrons du feu pour des femmes et j’ai été repassé. Notez que ça ne leur a pas porté chance !

— Je vous ai dit ce qu’il en était, a murmuré Merveille. Faites comme vous voudrez… Si vous doutez de moi, partez…

— Et vous me suivrez gentiment ?

— Allez chercher ma clé de contact pour plus de sécurité…

Je suis un incorrigible risque-tout.

— Ça va, je marche…

— Alors, allons-y !

— Minute, je veux garer cette voiture proprement…

Il y avait un garage tout près. J’ai remisé la D.S. avec son précieux chargement. Ce lit n’éveillait pas l’intérêt, je pouvais être tranquille quant au magot !

Je suis revenu à la Simca-Sport de Merveille.

— Par quoi commençons-nous ? ai-je questionné.

— Par la fin, a-t-elle déclaré gravement… Du moins par celle de Carmoni.

CHAPITRE XV

Elle semblait candide, Merveille. Mais elle avait de la suite dans les idées… Tout était déjà organisé dans sa ravissante petite tête.

— Voilà ce que nous allons faire, Kaput ! Vous vous couchez à l’arrière de la voiture. Moi je rentre à la maison… Une fois dans le garage, je ferai appeler Carmoni par l’un des hommes…

— Et s’il n’y est pas ?

— Je connais son emploi du temps : il y est !

« Comme je rentre de mission, somme toute, et qu’il attend les résultats, il accourra… Vous n’aurez qu’à intervenir !

— O.K…

— Lorsqu’il sera mort j’appellerai sa bande et vous leur tiendrez le langage qui convient, vous voyez ?

— Je vois…

— D’accord ?

— D’accord !

Je me suis penché sur elle. Sa bouche sans rouge à lèvres était fraîche comme de l’eau de source. Nous avons échangé un de ces baisers qui transforment les idées d’un homme.

Après j’ai été tout à fait d’attaque.

* * *

Parvenue devant la maison de la rue de Milan, Merveille a donné un très timide coup de klaxon afin d’alerter le portier. Ce dernier est allé faire basculer la porte du garage et Merveille a rangé la tire entre les deux bagnoles qui s’y trouvaient déjà.

— Allez dire au patron qu’il vienne tout de suite ici ! a-t-elle crié au bonhomme…

— Ici, mademoiselle ? s’est étonné l’homme.

— Oui. Et faites vite !

Il est parti.

— Vous êtes prêt ? m’a-t-elle chuchoté.

— Oui…

— Je vais descendre et ouvrir le coffre arrière… Je serai penchée dessus lorsqu’il arrivera. Il viendra m’y rejoindre. Vous pourrez sortir tandis que je lui parlerai. Ouvrez déjà la portière pour éviter qu’elle fasse du bruit…

Elle n’avait pas quitté le véhicule que la petite silhouette du rital s’encadrait par la porte du fond.

— Pourquoi as-tu voulu que je descende. Y a de la casse ? a-t-il demandé.

— Viens voir…

— Comment cela s’est-il passé ?

— Mal…

— C’est-à-dire ?

La voix de Carmoni était pareille à un feu de sarments : elle craquait.

— Il a tué Jo et Steve et m’a échappé !

— Espèce d’idiote…

J’ai perçu un bruit de gifle… Je me suis coulé hors de l’auto. J’avais en main le pétard de Steve.

Carmoni et Merveille se tenaient debout derrière la voiture. Lui me tournait le dos.

J’ai appuyé brusquement le canon de l’arme dans son dos.

— Bonjour, ai-je soupiré.

Il a blêmi, s’est retourné et sa gueule était hideuse comme la peur. Ses yeux se sont cernés de bistre. Les coins de sa bouche sont tombés.

Quand il m’a reconnu, il a compris qu’il allait crever, et déjà, tout s’est anéanti en lui.

— Alors, on voulait fabriquer son petit associé, Carmoni ?…

Il ne m’a pas répondu. Il a tourné la tête vers Merveille.

— Petite salope, a-t-il grincé.

J’ai appuyé sur la détente. C’était un truc à répétition. Il était branché sur la « salve » et le chargeur s’est vidé dans le dos du rital comme se vide un flacon à la renverse.

Carmoni a toussé, puis il est parti en avant dans le coffre de l’auto…

Je l’ai empoigné par une aile afin de voir son visage. Celui-ci était verdâtre avec des yeux vitreux… Un souffle imperceptible fusait des narines pincées.

J’ai regardé Merveille.

— Voilà le travail, mon chou, ça vous va, comme ça ?

Elle avait des larmes au bord des cils.

— Très bien, a-t-elle soupiré.

— Vous pleurez ?

— Ça fait toujours quelque chose de voir mourir son passé, même s’il a été moche !

— Secouez-vous !

— C’est fait !

Et c’était fait ! Elle s’est redressée, a regardé l’homme affalé contre le coffre…

C’est le portier qui s’est annoncé le premier. Quand il a vu de quoi il retournait, il est parti en gueulant à la garde.

Les autres allaient radiner en bande, il s’agissait de jouer serré…

J’ai jeté le pistolet de Steve et j’ai pris celui que j’avais précédemment. Il ne contenait plus qu’une dragée ou deux, mais une dragée bien tirée produit son petit effet, croyez-moi !

Je me suis assis sur le capot de la voiture et j’ai allumé une cigarette…

Le gorille et six autres truands sont radinés au pas de charge sur les talons du portier. Ils ont regardé le cadavre de Carmoni, puis se sont tournés vers Merveille.

— Qu’est-ce qui s’est passé, Mademoiselle ? a questionné un type.

— Pas grand-chose, ai-je répondu… Je m’appelle Kaput ! Et cette lope a voulu me doubler, c’est tout ! Tirez les conclusions !

Il y a eu des réactions diverses. Par exemple, le gus à la tache de vin a bondi en avant, mais je l’ai stoppé d’une prune entre les carreaux.

— Ecoutez, vous autres, ai-je lancé aux crapules médusées ; si vous voulez la castagne, dites-le, je suis l’homme à tous vous prendre. Sinon, faisons camarades et bossons. Grâce à cette gosse, je peux continuer le bisness. On ferait une association, comme à la Comédie-Française, les gars ! Sinon, allez vous inscrire au chômage !

Ils se sont regardés, tous les six. Et puis, lentement, et sans quitter le cadavre des yeux, ils ont esquissé ensemble un timide geste d’approbation.

J’étais soudain un autre homme. J’arrivais à un tournant de ma carrière maudite.

Un caïd chasse l’autre ! C’est la grande loi du milieu !

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