Donc moralement, il n’avait pu carrer son osier ailleurs ! Ou alors je me faisais des berlues sur le personnage.
J’ai inspecté la pièce depuis le seuil. Elle était culottée comme une vieille taverne anglaise. Le plafond était enfumé… La table d’une saleté repoussante… Des piles de vaisselle l’encombraient encore… Dans la cheminée, le feu était mort sur une énorme bûche presque en cendres qui conservait encore sa forme initiale…
J’ai dit aux zigs :
— Le blé se trouve dans cette pièce, les gars.
Ils boudaient, mais le mot blé est magique lorsqu’il est employé au figuré. Ils ont sursauté et leurs yeux se sont emplis de convoitise.
— Comment le sais-tu ? a demandé Jo…
— J’ai quelque chose dans le plafonard, moi, figure-toi…
Je lui avais répondu distraitement car j’étais abîmé dans la géographie de la pièce. Le lit de fer… Une commode dont Bunk avait itou arraché tous les tiroirs… La table… Un vieux fauteuil Voltaire… Deuq chaises… Une table de chevet vide…
J’étais gonflé d’affirmer que cette petite pièce transformée en tanière recélait une forte quantité de briques !
Même en biftons grand format, ça fait un certain volume, presque deux cents millions, y a pas !
J’ai tout chambardé à la suite de l’homme de la rue Falguière… J’ai dévissé les pommeaux de cuivre du pageot, sondé la commode afin de vérifier si elle comportait des fonds secrets… Le matelas avait déjà été éventré sauvagement… Par acquit de conscience j’ai fouillé ses entrailles, mais en vain ! Rien ! Le désert de Gobi !
Les deux cadors me contemplaient en silence, un petit air tendu et goguenard sur leurs sales tronches.
— Ça biche, pêcheur ? a demandé Jo…
Je me suis tourné vers lui.
— Va me chercher un marteau au garage !
— Mais…
— Tu as peur de sortir sans ta nourrice ?
Il a regardé son pote. Le gros Steve a eu un battement de cils qui signifiait : « Tu peux me laisser seul avec ce gars, je suis paré. »
A regret l’autre est parti… Maintenant j’avais éliminé le mobilier…
— Aide-moi à évacuer tous ces putains de meubles ! ai-je ordonné à Steve… J’ai besoin de mes aises pour la suite du programme.
— Tu prépares un numéro de main à main ?
— C’est ça !
Il m’a aidé, docile… On a tout empilé dans la piaule voisine… Quand je suis revenu dans l’antre du Vieux, il avait un air presque sinistre… Ça reniflait le mystère.
Ce genre d’odeur n’est pas désagréable du reste ! En tout cas, moi j’aime ça !
Jo s’est ramené avec un marteau de faibles dimensions. Je l’ai saisi et lentement, minutieusement, je me suis mis à frapper le mur. Je procédais méthodiquement… Je n’y croyais pas beaucoup car, si Bertrand avait muré son grisbi, il y aurait eu des traces de plâtre frais…
Pourtant il fallait faire ça… Le vieux avait dû préparer son coup de longue date…
Partout ça sonnait le plein… Pas de cachette !
— On dirait que tu fais de l’emboutissage, a observé Steve…
Je ne me suis pas donné la peine de répondre…
Lorsque j’en ai eu terminé avec les murs, je me suis attaqué à la cheminée… Là non plus, ça n’a rien donné. Elle était très honnête, de même que le plafond et le plancher…
— Tu l’as dans le sac, malin !
Jo disait vrai, je l’avais dans le sac… Très sérieusement, même !
« Il faut que je trouve, ai-je décidé… Ça n’est pas possible autrement… Quand je renifle un os c’est qu’il se trouve à proximité. »
J’ai dû jacter à haute voix car les deux truands se sont mis à ricaner. Ils devenaient loquaces, ces braves, à mesure que mon échec se concrétisait.
Je me suis approché du gros Steve parce que c’était une vraie portion. Je lui ai balanstiqué mon poing dans le bide et il a poussé un soupir de soufflet de forge… Malgré leur désir de meurtre, ils se sont tenus tranquilles, lui et son copain. C’est pas qu’ils n’auraient pas été joyces de me défoncer le portrait, mais ils avaient reçu des instructions précises et Carmoni ne devait pas charrier avec les mecs qui se permettaient des initiatives privées !
Bourré d’amertume, j’ai quitté la pièce. Je ne savais où aller et je me sentais gagné par le découragement. On n’allait pas se mettre à démolir la cabane pierre à pierre pour peau de zob !
J’ai avisé une bouteille de rhum à la cuisine et je m’en suis entiflé un bon coup histoire de surmonter cette dépression. Si jamais ça tournait mal ; si on ne remettait pas les paluches sur l’osier, Carmoni me prendrait pour une crêpe et mon crédit tomberait comme une pierre dans un puits.
Plus que le manque à gagner cette perspective me filait dans une rogne noirâtre ! Penser que soixante-dix briques roupillaient peut-être dans un coin de cette demeure et qu’on passait à côté sans les voir, c’était intolérable.
— Si tu zyeutais à la cave ? a suggéré Jo, sérieusement…
Il a ajouté, prouvant ainsi que le rital les avais mis au parfum pour le trésor :
— Les vieux, ça aime bien creuser des trous dans leurs caves !
L’idée était valable… Nous sommes descendus…
Le sous-sol comportait quatre caves… L’une était autrefois réservée aux spiritueux, à en juger par l’accumulation de tonneaux vides qui s’y trouvaient ; une autre au charbon, une troisième servait de débarras et une quatrième d’atelier. Il y avait dans cette dernière, un établi, une forge, et toute une flopée d’outils pour le travail du bois et du fer.
Je ne sais pourquoi, j’ai examiné particulièrement cette cave-atelier. Probable qu’elle m’inspirait ?
Elle me faisait découvrir une facette nouvelle du personnage. J’imaginais le Vieux, s’occupant à confectionner des trucs dans son terrier… Ça m’ouvrait des horizons, vous comprenez ? Si j’avais affaire à un bricoleur, le genre de planques différait…
Je me suis approché de la forge… Il y avait dedans des espèces de tubes en terre cuite dont je ne comprenais pas l’utilité… On eût dit des moules…
— Tu t’intéresses à la chaudronnerie ? m’a demandé Steve.
— Oui. Et le jour où je m’intéresserai à l’élevage des gorets, je te promets de me pencher sur ton cas en priorité !
Je touillais lentement les cendres de la forge… De toute évidence, on avait boulonné là depuis peu de temps… Des cendres friables subsistaient… Le temps, comme disent les empêchés du stylos, n’avait pas encore fait son œuvre ! Je me suis penché soudain sur une sorte de goutte jaune, solide… Je l’ai gratté avec l’ongle… Pas d’erreur, c’était du jonc… Alors là, le problème changeait d’aspect. Le vieux Bertrand, pas fou, avait transformé les billets de la banque de France en bon or pur… Et cet or, il l’avait modelé. Il lui avait donné un aspect innocent, il…
Comprenant que je venais de trouver un détail essentiel, les deux tartes ne se marraient plus. Ils me regardaient comme on regarde l’acrobate, au cirque…
C’était mince en fait de public, mais je tenais néanmoins à réussir mon numéro.
Pas de doute : les tubes de terre réfractaire avaient servi de moules pour les lingots que Bertrand avait fait fondre…
Je suis remonté, mes deux anges gardiens rivés à mes semelles, et suis allé dans la pièce où habitait le vieux… Aucun objet métallique… A partir du moment où son or avait pris une autre forme que celle des lingots, il avait pu le peindre. Alors là, n’importe quel métal a priori était susceptible d’être du jonc !
Quelque chose remuait au tréfonds de mon subconscient… Tout à l’heure j’avais éprouvé une vague surprise à cause d’un fait que je n’arrivais pas à me rappeler… Qu’était-ce, tonnerre de Zeus ? Voyons, un fait innocent m’avait obscurément troublé…
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