Frédéric Dard - Un tueur

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Un tueur raconte à la première personne du singulier l'épopée sanglante d'un criminel sans envergure devenu tueur.
Un tueur élégant comme on n'en fait plus, ne succombant à rien si ce n'est au charme vénéneux des femmes et qui, les yeux voilés de rouge et la mort dans la peau, finit par attendrir sa proie à commencer par nous, lecteurs.
Kaput, c'est l'odyssée de ce tueur vers la pente fatale du crime.
C'est aussi une pièce majeure sur le chemin de Frédéric Dard vers la reconnaissance littéraire et populaire qui est la sienne aujourd'hui.
Qualifiés de « mémoires du désespoir » par son auteur à l'époque de leur publication dans les années 1950, les textes originaux des Kaput sont désormais réunis dans ce livre sous le titre
.

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— Vous préparerez le déjeuner de notre malade ! a-t-elle ordonné.

— D’accord.

— Moi, je m’occupe de mon café.

Elle ne prenait qu’une tasse de noir avec un jus de citron dedans, sans sucre, pour la ligne, probable.

On s’est retrouvés à la cuisine, un moment plus tard.

Elle soufflait sur sa tasse brûlante et me regardait à travers la buée qui s’en échappait.

— Ça ne va pas vous reprendre, a-t-elle murmuré de sa voix angoissante.

— Qu’est-ce qui ne va pas me reprendre ?

— Vos… Enfin vous le savez bien. Je ne vais pas vivre avec un revolver ou un fouet à portée de la main comme une dompteuse de tigres !

— Alors, je lui ai riposté, il faudra y mettre du vôtre. Si vous venez me promener sous le nez votre panoplie de pin-up, je ne réponds de rien.

— Dois-je mettre une armure ?

— Pas la peine, vous avez pas le physique à jouer Jeanne d’Arc.

Elle est sortie en faisant claquer la porte.

La journée s’est écoulée, un peu plus calme encore que les autres. Elle a lu, comme à l’accoutumée et, à midi, je lui ai servi son pamplemousse et sa tranche d’York-biscotte dans la salle à manger. Elle était en short et portait un sweater blanc. C’était plutôt téméraire de sa part parce qu’en la voyant ainsi nippée je défiais quiconque de ne pas avoir envie de lui sauter sur le poil, histoire de lui arracher le peu de fringues qu’elle portait.

Pourtant j’ai fait bonne contenance. La garce m’observait à la dérobée, inquiète de mon indifférence.

Je me suis occupé du vieux. Il toussotait un peu, je l’avais laissé trop longtemps à la fraîche, la veille au soir. Je lui ai demandé si un grog lui ferait plaisir. Il m’a fait « oui » de sa pauvre tête. Alors je lui ai préparé une mixture carabinée. Et il s’est endormi recta, sonné par l’alcool brûlant.

Je me sentais comme une bête qui devine un séisme. Il faisait beau parce qu’on tenait un été costaud, pourtant, au fond du ciel, on devinait comme une menace et l’air était lourd infiniment.

J’ai pris une douche, histoire de me calmer les nerfs. Mais l’eau froide ne peut rien contre un volcan.

Ma chemise me collait à la peau, j’avais la bouche sèche et, quand il m’arrivait de fermer les yeux, mes paupières brûlaient mes prunelles.

Le dîner expédié, je suis sorti à la fraîcheur du soir. Ce moment-là je l’avais attendu toute la journée, c’était lui le véritable bain régénérateur.

J’ai contourné la maison et je suis allé m’effondrer dans les hautes herbes qui poussaient au fond de la propriété. A cet endroit c’était bourré de grillons qui accordaient leur musique pour le récital nocturne. Des grenouilles leur répondaient. Une vache pastorale, comme vous voyez… J’ai mis mes mains derrière ma tronche et je me suis mis à regarder le ciel à pleins yeux : un bath ciel de velours où se dessinaient des étoiles pâlichonnes.

Soudain, une ombre s’est dressée, derrière moi. Le parfum qui l’accompagnait était éloquent : c’était ELLE.

A la renverse je l’ai regardée s’approcher. Elle est restée immobile un long moment. Je la reniflais ; son odeur se mariait formidablement bien avec celle du crépuscule d’été. C’était enivrant.

— Qu’est-ce que vous faites ? je lui ai enfin demandé.

J’ai été effrayé par ma voix rauque qui avait de la peine à sortir de ma gorge.

La réponse est venue, dans le noir.

— Je vous regarde…

— Ah oui !… Ça vaut le déplacement ?

— Je ne sais pas…

J’ai allongé la main, à tâtons. Mes doigts ont rencontré ses jambes nues, chaudes et douces. J’ai remonté jusqu’à la naissance du short. Elle ne bougeait pas.

Enhardi, je me suis mis debout, contre elle.

— C’est le moment de dégainer votre artillerie, ai-je balbutié.

Mais elle ne faisait aucun mouvement.

Alors je l’ai jetée à terre, violemment et elle a poussé un petit cri de douleur. Ce cri a fait bondir mon cœur dans ma gorge. Un voile rouge a passé devant ma vue. Sans trop savoir ce que je faisais je l’ai giflée à toute volée. D’une main je l’ai maintenue contre le sol tandis que, de l’autre j’arrachais son short, son slip, son sweater… Une fureur immense bouillonnait en moi. Je serrais les dents. Elle hoquetait, secouée par de brefs sanglots.

CHAPITRE VI

Elle restait allongée dans la rosée, comme morte ; son corps doré se détachait crûment sur les lambeaux blancs des fringues que j’avais passablement malmenées…

Je me suis agenouillé à côté d’elle. Il y avait en moi comme un silence de sanctuaire. J’étais désert et vanné.

Je la caressais, doucement, sans pensées précises. Il me suffisait de la sentir là, contre moi. Je la voyais frémir, et elle se rapprochait plus près encore, tout en ronronnant de plaisir, comme une chatte.

Sa bouche était entrouverte sur l’éclat des dents. Je n’ai pas pu m’empêcher de l’embrasser encore, histoire de goûter une fois de plus à sa salive. Nos dents ont crissé, mais ça ne me dérangeait pas. J’aurais voulu me casser en petits morceaux contre cette fille. Elle m’affolait. Même à bout de forces comme j’étais, son corps m’électrisait.

— Allons, ai-je murmuré, lève-toi, il fait froid et tu es nue…

Elle a soupiré :

— Porte-moi.

Elle avait vu ça au ciné et elle en voulait ! Seulement au ciné tout est truqué. Dans l’état où je me trouvais je ne me sentais pas capable de charrier une mouche.

Je me suis baissé ; elle a noué ses bras autour de mon cou et j’ai pu l’arracher de terre. Mes jambes tremblaient, mais à part ça j’étais plus costaud que je le pensais.

Je me suis mis en route dans le sentier. Son odeur me chavirait. Sa chaleur se répandait dans mon corps et j’avais hâte d’arriver à une surface horizontale pour la lancer dessus et recommencer mon numéro de Casanova.

Le sentier passait derrière la maison et arrivait juste sous la fenêtre du vieux. Dans l’ombre j’ai aperçu sa face pâle tournée vers nous. Il avait dû se régaler, le paralytique ! Vous parlez d’un jeton ! C’était ma faute, aussi, j’aurais pas dû l’orienter vers la fenêtre quand je l’avais installé dans sa piaule.

Enfin, j’étais du moins assuré de sa discrétion. Non seulement il pouvait pas jacter, mais ça devait être un homme discret.

En tout cas, lorsqu’une heure plus tard environ, je suis allé lui porter son dîner et le coucher, il ne m’a pas adressé de gestes particuliers. Son regard était un peu fixe à mon gré. Il n’a pas bouffé et dès que je l’ai eu couché il a fermé les yeux pour m’indiquer qu’il n’avait plus besoin de mes services.

Avec une femme pareille sous son toit on avait l’impression de vivre en compagnie d’un incendie. Je ne sais pas si Baumann lui filait son taf d’amour, mais franchement je ne crois pas. Ce jour-là, tout comme moi, elle devait liquider de solides arriérés.

On a passé une nuit assez mouvementée. Elle gueulait comme une chienne blessée, Emma. C’était presque un hurlement, aigu, bestial, qui me vrillait les oreilles et me fouettait le sang !

Quand on s’est endormis, en travers du pieux, j’étais k.-o. comme si toute l’écurie Filippi s’était servie de ma frite comme punching-ball !

* * *

C’est elle qui m’a éveillé.

J’ai ouvert les yeux. La lumière jaune de la lampe de chevet brillait et la fenêtre était obscure.

A travers mes cils j’ai vu Emma se lever et aller à l’armoire. Je ne sais pourquoi j’ai eu peur. Comme j’avais eu peur lorsque Baumann m’avait tendu la fausse carte d’identité. Je me suis dressé sur un coude, instantanément sur la défensive…

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