— Monsieur le Président, messieurs les jurés… Je n’ai rien à dire pour ma défense… (Murmure dans la salle)… parce que je n’ai pas à me défendre. Ce sont les coupables qui se défendent. Moi je suis innocent. (Re-murmures montant jusqu’au brouhaha).
Le guignol a crié « silence » et a menacé de faire évacuer la carrée, suivant la formule.
J’ai avalé ma salive et regardé Emma. Elle était blême et ses lèvres qu’elle n’avait pas fardées pour faire plus « pauvre veuve courageuse » étaient vidées de sang.
— Je sais, ai-je enchaîné de ma voix égale. Je suis une petite crapule. Ce fait m’est fatal et je n’ai pas d’illusions à me faire. Pourtant, en mon âme et conscience, pour employer les expressions en usage ici, je dois repousser les accusations portées contre moi puisqu’elles sont fausses. Tout est faux, d’un bout à l’autre…
« Messieurs de la cour, je parle presque uniquement pour vous prouver que je suis intelligent. Ça n’est pas puéril orgueil de ma part, encore qu’un homme intelligent soit toujours orgueilleux, mais parce qu’il est essentiel que vous compreniez bien que je ne suis pas la brute sanguinaire que mon avocat a cru devoir vous dépeindre, dans un but louable, je sais. Mais si vous convenez que je suis un homme normal, vous ne pourrez plus admettre une seule seconde que j’aie agi comme on m’accuse d’avoir agi.
« Voyons, messieurs, je me suis évadé de prison où j’étais détenu pour vol. Pour un simple vol, notez-le ! Il ne me restait que douze mois à accomplir. Je trouve un emploi chez des particuliers. J’y suis tranquille, bien payé, à l’abri des recherches… Et voici qu’une nuit, je tue… Je tue un paralytique alors que, si j’avais voulu le détrousser, il m’aurait suffi de prendre ce qu’il avait à son nez et à sa barbe ! Mais pourquoi l’aurais-je tué ? Pour qu’il ne puisse me dénoncer ? Bien… Mais mon forfait accompli je serais allé me coucher tranquillement en attendant la police ? J’aurai laissé mes empreintes sur le couteau. J’aurai glissé des « titres nominatifs » sous mon matelas ! Moi ? Ceci serait à la rigueur le fait d’une brute ou d’un ivrogne ! Mais une brute sanguinaire aurait-elle échafaudé l’histoire du télégramme posté par un complice pour faire partir les occupants de la maison ? Allons donc ! En ce cas il y aurait préméditation. Un meurtrier capable de préméditer son crime n’est pas une brute !
J’ai repris mon souffle. On aurait entendu voler le roi des pickpockets. Pas un assistant n’osait remuer le petit doigt.
Tous étaient suspendus à mes lèvres, béant de stupeur et d’attente. Mon avocat, le président, les jurés, me regardaient comme s’ils me découvraient enfin. C’était un moment inouï. J’ai jeté un coup d’œil à Emma. Elle semblait muée en statue de marbre blanc. Le noir de ses atours faisait ressortir son visage blafard. Je l’ai trouvée laide. Oui, elle était enlaidie par la trouille et ça m’a réchauffé le cœur. Que je puisse détruire un instant sa beauté, n’était-ce pas ma plus magnifique vengeance ?
J’ai passé ma main sur mon front. Il ne fallait pas que je perde le fil… Maintenant, ce fil me mènerait quelque part, je le sentais. Cette histoire, c’était à moi avant tout que je la racontais. C’était moi que je convainquais de mon innocence. Ah ! l’inoubliable moment !
— Poussons le jeu des « admissions », Messieurs, donc « admettons » que j’aie fait adresser un télégramme depuis Orléans. Qu’est-ce qui me prouvait qu’il me permettrait de rester seul à la maison ? Ecoutez-moi, écoutez-moi bien…
Cette exhortation était inutile. Ils étaient tendus à crever, les gars. Au point qu’ils devaient regretter de n’avoir que deux manettes pour m’esgourder. Ce qui — je le sentais — les impressionnait le plus, c’était mon langage choisi, la clarté de ma démonstration, mon manque de frénésie. J’étais froid et précis. Et ça, c’est peu commun chez les criminels.
— Ecoutez-moi bien, Messieurs…
Et le président ne pensait pas à me rappeler aux usages qui veulent qu’on s’adresse à Messieurs de la Cour, Messieurs les jurés. Ils étaient d’accord pour que j’abrège…
— Ecoutez-moi bien ! Baumann était en voyage avec la voiture. Logiquement, au reçu de ce télégramme alarmant, Mme Baumann aurait dû prendre le train ! Les trains pour Orléans sont nombreux ! Si elle avait loué une voiture elle m’aurait demandé, ou plutôt elle aurait dû me demander de la conduire, puisque c’était MOI le chauffeur de la maison !
Ça a fait l’effet d’un paveton dans une mare. Il y a eu une grosse rumeur d’approbation. Je tenais le bon bout.
— Je poursuis, messieurs… En m’étonnant de la conduite de Mme Baumann. Elle apprend que sa mère est mourante. Au lieu de se précipiter à la gare, elle trouve le temps de louer une voiture en pleine nuit, ce qui n’a pas dû être facile. Puis, toujours en pleine nuit, elle s’arrête à Etampes afin d’y prendre un repas dans un établissement de routiers, alors qu’elle avait déjà dîné chez elle et qu’elle surveille sa ligne comme toutes les jeunes femmes. Elle fait conduire la voiture en question par un domestique qui n’est pas le chauffeur. Vous êtes satisfait de ces explications ? Moi oui, car je comprends parfaitement son but. En agissant ainsi, elle pouvait emmener le nommé Robbie avec elle et, ainsi, me laisser seul. Il le fallait pour que je sois accusé du meurtre. Car Emma Baumann savait qui j’étais, je le lui avais dit !
Alors là, ça a été le vrai tumulte. Chacun y allait de sa beuglante. Tous les regards se sont tournés vers la jeune femme.
Ce braquage général l’a fait réagir. Elle s’est levée, a haussé les épaules et a essayé de parler, le président lui a fait signe de s’asseoir.
— Continuez ! m’a-t-il crié.
J’ai levé la main à la romaine, pour obtenir le silence, et je l’ai obtenu instantanément.
— Il y a, ai-je dit, un vieil adage policier qui dit : « Cherchez à qui le crime profite ». Il est bon. A qui ce crime a-t-il profité ? A moi, pour voler quelques titres difficilement négociables et qui aurais attendu les flics, couché dessus comme un chien sur un os ; ou bien à celle qui hérite les biens de la victime ?
« Me croyez-vous capable d’avoir été aussi monstrueusement stupide et inconscient ? Je ne le pense pas. Je n’ai rien dit durant ce procès parce que cela n’aurait servi à rien. Maintenant, allez me juger comme bon vous semblera ; quel que soit votre verdict, je suis votre homme !
Des gars ont applaudi au fond de la salle. Le président a fait carillonner sa clochette. Quand le calme a été à peu près revenu, il a fait venir Emma à la barre et lui a demandé ce qu’elle avait à dire en réponse à ces insinuations.
Elle a souri tristement en soulignant qu’elle se trouvait à Etampes au moment où on tuait le vieux. Ceci acquis, elle voulut bien expliquer qu’elle avait loué une auto parce qu’elle tenait à pouvoir circuler librement. Qu’elle s’était arrêtée pour manger parce que le voyage la fatiguait. Et enfin qu’elle méprisait mes insinuations malveillantes.
J’ai senti qu’elle redressait quelque peu la situation. Mais insuffisamment, car j’avais fait une énorme impression. La cour s’est retirée pour délibérer. Elle est revenue dix minutes plus tard et le président a annoncé à une salle exaltée que le procès était suspendu pour complément d’information.
J’ai retrouvé la taule et son accablante monotonie. Grâce à ma belle salade, j’avais réussi à gagner un peu de temps et à chanstiquer « l’âme et conscience » des jurés. Mais je ne me berlurais pas : c’était reculer pour mieux sauter car, dans le fond, ma bonne jactance ne tenait pas le choc. Elle avait produit un effet seulement à cause de la façon et du moment où je l’avais déballée.
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