Puis un froid, glacial.Le néant.
La détonation. Le sang. La chute, infinie.
Papa, pourquoi t'es mort ?
17 h 30
Diane n'en croit pas ses oreilles. Hallucination ? Mirage ?
Un véhicule foule le bitume. Là, tout près. Juste au-dessus de sa tête. En s'aidant des mains, elle gravit les derniers mètres du talus avec une énergie nouvelle puis pose enfin un pied sur l'asphalte.
La route. Celle qu'elle espère depuis ce matin. Pour un peu, elle l'embrasserait !
Dommage qu'elle ait raté la voiture qui vient de passer. Mais il y en aura d'autres même si cette fameuse départementale ressemble plus à un chemin vicinal qu'à une autoroute.
D'une main tremblante, elle récupère la carte dans sa poche ; pas le moment de se tromper de direction ! Elle repère le hameau, comprend qu'elle doit partir à droite. Mais les chasseurs aussi sont sans doute proches de la route. Marcher au beau milieu de ce ruban de goudron serait trop risqué ; autant rester à couvert. Elle décide donc de continuer sur le bord, à l'abri de la première rangée d'arbustes. De là, elle pourra entendre et voir le prochain automobiliste, tout en progressant vers les quelques maisons qui ne sont plus qu'à trois ou quatre kilomètres.
C'est rien, trois ou quatre bornes, ma vieille ! Rien du tout…
C'est énorme, trois kilomètres. Lorsqu'on vient d'en parcourir tant, avec une horde de meurs à ses trousses ; avec une balle dans le bras ; avec la peur de mourir.
Trois kilomètres de danger.
Trois kilomètres de trop ?
C'est alors qu'elle entend à nouveau ce bruit, magique. Celui d'un moteur.
C'est alors qu'elle voit, arrivant en face, la voiture blanche…
*
Sarhaan pleure toujours. Quelques larmes qui coulent de ses yeux d'onyx.
Il pleure, mais s'est remis à marcher, puis à courir.
Rémy a donné sa vie pour essayer de sauver la mienne. Je dois tout tenter pour m'en sortir. Tout.
Ne jamais abandonner. Tant que bat mon cœur.
Il a franchi des landes, une tourbière où il a brouillé les pistes ; le voilà émergeant d'une plantation serrée de sapins de Douglas où il a cru traverser les ténèbres, déjà.
Il court, encore. Parallèlement à l'immense mur de clôture qu'il a retrouvé il y a peu.
Il court, alors même qu'il ne sent plus ses jambes, aussi dures que le granit.
Mais soudain, il s'arrête. Une allée, comme il en a tant croisé aujourd'hui. Celle-ci est différente ; elle est goudronnée. Des arbres majestueux la bordent avec élégance.
C'est celle menant au château du Lord. Il la longe, en sens inverse, derrière les magnifiques châtaigniers plus que centenaires. Que va-t-il trouver au bout ? La sortie, évidemment.
Il s'immobilise, à distance raisonnable. Un portail haut, métallique, rehaussé de pointes dorées, assassines. Sur la droite, une sorte de petite maisonnette en pierre ornée d'une baie vitrée. Sarhaan s'approche, avec une féline discrétion. Dans la guérite améliorée, un type veille. Il peut l'apercevoir, assis derrière une table, en train de bouquiner. Tandis qu'en face de lui, quelques écrans distillent des images fixes ; celles des caméras de surveillance disséminées en haut du mur, sans doute. De temps à autre, le garde lève les yeux vers ces espions, puis replonge dans son magazine.
Sarhaan essaie de réfléchir ; la fatigue rend la chose difficile.
Ce mec est certainement armé ; l'attaquer de front serait de la folie. Pourtant, il ne voit pas d'autre solution pour ouvrir ce fameux portail.
Il s'approche encore, à pas de Sioux, avec l'impression que sa respiration bruyante, désynchronisée, va le trahir. Il n'est plus qu'à cinq mètres de la maisonnette.
Se jeter sur le gardien, le désarmer, l'assommer — ou le tuer —, actionner l'ouverture automatique et… voler vers la liberté !
Sarhaan s'allonge carrément par terre. Finir en rampant sera le meilleur moyen.
Mais subitement le type se lève, Sarhaan retient son souffle. Ça bouge sur un des écrans. Le cerbère appuie sur un bouton, le portail commence à s'ouvrir. Le Black voit apparaître progressivement la calandre d'une voiture. Un 4x4, tels ceux qui circulaient sur la propriété pour guider les chasseurs.
Ce que Sarhaan ignore, c'est qu'il s'agit du véhicule qui a conduit le Russe à l'hôpital. Et qui revient d'ailleurs sans son client, resté en observation.
Ce que Sarhaan ignore, c'est que l'opportunité qui s'offre à lui n'est pas fortuite. Qu'il en est, avec ses regrettés compagnons, l'instigateur.
En balançant cette pierre à la tête de Balakirev, il s'est acheté un ticket pour la liberté.
Il a changé les règles du jeu.
Sarhaan ne sait qu'une seule chose : maintenant ou jamais.
Le conducteur du 4x4 attend patiemment que le portail finisse d'ouvrir sa gueule béante. Le Malien a rampé encore plus près. Le portier salue ses collègues, le 4x4 s'engage dans l'allée.
Maintenant ou jamais.
Alors que les portes sont en train de se refermer. Maintenant ou la mort assurée. Sarhaan bondit, s'élance. Sprint d'anthologie.
Le gardien le voit passer en trombe, sorte de bourrasque ; il en tombe presque de sa chaise.
Le 4x4 freine brutalement, ses feux de recul s'allument.
Sarhaan a franchi le seuil. Le cerbère dégaine son arme, ajuste son tir entre les deux pans métalliques. Une meurtrière, désormais.
Le fuyard traverse la route, se jette tête la première dans la végétation alors que la détonation retentit…
*
17 h 40
Diane se plante au milieu de l'étroite chaussée, agite son bras gauche, sans songer à lâcher son précieux fusil.
— Arrêtez-vous ! Arrêtez-vous, s'il vous plaît !
La voiture blanche freine, un peu tard, dérape sur le goudron humide, chasse de l'arrière, fait une embardée et évite de justesse d'atterrir dans le fossé. Le conducteur a sans doute été effrayé par cette fantomatique apparition devant son capot.
Diane se précipite vers le véhicule ; au moment où elle touche la vitre côté passager, la bagnole redémarre nerveusement.
— Mais arrêtez ! implore Diane en s'accrochant à la berline. Arrêtez-vous ! J'ai besoin d'aide ! Ne partez pas ! S'il vous plaît !
Elle lâche prise, cesse de poursuivre l'automobile qui s'éloigne de plus en plus vite. Elle a eu le temps de voir le visage des occupants ; un couple, avec un jeune enfant derrière. La trentaine, comme elle. Des gens ordinaires, comme elle.
Pourquoi ne se sont-ils pas arrêtés ?
Diane tombe le cul sur l'asphalte. Cette course l'a anéantie. Cet espoir si intense, brisé, l'a vidée.
Comment ont-ils pu m'abandonner ici ?
Peut-être est-ce le fusil qui les a effrayés… ?
Soudain, elle se met à hurler.
Salauds ! Lâches ! Si je vous retrouve, je vous fais la peau !
Elle s'arrête enfin de cracher son inutile venin. Tout juste bon à ameuter ses poursuivants en train de ratisser les parages. De toute façon, sa voix s'est éteinte. Des sanglots restent coincés dans sa gorge sèche, des embryons de larmes dans ses yeux.
Elle se remet debout, avec l'impression de gravir l'aiguille du Midi, retourne se planquer derrière les arbustes et reprend son chemin de croix en direction du hameau. Inhabité, si ça se trouve…
Pourquoi ne m'ont-ils pas secourue ? Ils pouvaient arrêter ce cauchemar. Ils pouvaient tout arrêter. Me tendre la main, simplement. Il leur suffisait d'ouvrir une portière. Pourtant, ils n'ont rien fait.
*
17 h 50
Le Lord a perdu son sourire. Enfin. Mais pas son sang-froid.
Le garde l'a prévenu, juste après l'évasion spectaculaire du Malien. Le premier 4x4, celui dont l'entrée lui a permis de s'échapper, est déjà à sa poursuite.
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