Autoroute, file de gauche.
Sur le compteur de la Kawasaki, l’aiguille frôle les deux cents kilomètres à l’heure.
Chaque seconde compte.
Il sent l’angoisse façonner une énorme boule dans sa gorge.
A-t-elle fait la connerie de retourner là-bas ?
Il en est certain.
Arrivera-t-il à temps ?
Ça, Luc l’ignore.
Maud est dos au mur. Axel prend un évident plaisir à la regarder patauger dans son bain de terreur. Il s’approche, sans aucune hâte, traînant sa jambe gauche. Mais même blessé, il sera plus fort qu’elle. Maud le sait.
En cet instant où sa vie va basculer, peut-être s’achever, elle hésite entre se détester et détester Luc. Qu’est-ce qui lui a pris de tabasser Axel ?…
Quand il est à la bonne distance, le dealer attrape la jeune femme par son chemisier et l’attire brutalement contre lui.
— À cause de toi, je ne remarcherai jamais normalement… Et je suis obligé de me tirer d’ici.
— Je n’ai pas voulu ça ! gémit Maud.
— Tu m’as balancé, espèce de salope… Et tu vas me le payer.
Maud réagit enfin et se débat si fort qu’elle échappe à son étreinte mortelle. Elle se rue dans l’entrée et s’acharne sur la porte.
Impossible de l’ouvrir.
— Tu cherches les clefs ? ricane Axel.
Elle se retourne, il est là. Elle envoie alors un coup de pied dans sa jambe blessée et il s’écroule en hurlant. Elle se sauve à nouveau, se réfugie dans la salle de bains et pousse aussitôt la petite targette.
Quelques secondes plus tard, Axel assène un violent coup d’épaule dans la porte.
Les yeux de Maud supplient le loquet qui menace déjà de céder. Elle cherche son téléphone dans la poche de sa jupe en jean. Sauf qu’il est dans son sac à main. Resté sur le canapé du salon.
— Putain de merde ! gémit-elle.
Nouveau coup violent. La cloison tremble si fort qu’un cadre s’en décroche et se fracasse aux pieds de Maud.
Dans quelques secondes, deux minutes au mieux, l’ultime rempart cédera.
— Sors de là, connasse ! hurle Axel.
Avec des gestes paniqués, Maud ouvre le meuble au-dessus du lavabo, jette tout par terre, à la recherche d’une paire de ciseaux, de quelque chose qui pourra lui servir d’arme.
Troisième choc dans la porte. Comme si un bélier enragé venait de la percuter.
Le bois autour du loquet se fend dangereusement. Une des vis sort de son logement et est propulsée jusque dans le lavabo.
Maud continue à vider les meubles. Un rasoir électrique, une brosse à cheveux, un coupe-ongles petit format…
— Merde, merde, merde !
Sous le lavabo, elle trouve des produits ménagers et saisit une bouteille de Javel.
Elle n’a pas le temps de retirer le bouchon.
La porte vient de céder dans un épouvantable fracas.
La Ninja file à toute vitesse sur la Promenade. Au loin, un feu passe au rouge. Luc s’apprête à le griller lorsqu’il aperçoit une voiture blanche avec un gyrophare sur le toit. Il freine brutalement et s’arrête juste à côté du véhicule de police.
Ce n’est vraiment pas le moment de se faire serrer par les flics.
Alors, il attend le signal.
Jamais un feu ne lui a paru rester rouge aussi longtemps…
Axel pénètre dans la pièce tel un ouragan et se jette sur Maud. La bouteille de Javel atterrit sur le sol et la jeune femme reçoit un coup de poing en pleine figure. Sa tête part en arrière, son crâne rebondit contre la vitre de la douche. Elle s’écroule, à moitié sonnée. Axel la remet debout, la soulevant même du sol. Puis il la plaque contre la paroi de la douche, qui se fend sous le choc.
— Tu veux jouer ? hurle-t-il.
Son visage est effrayant. Ses yeux sombres, cernés de mauve, étincellent de fureur. Ceux de Maud se soumettent aussitôt.
— Je te donnerai de l’argent, murmure-t-elle. Beaucoup d’argent !
— Rien à branler !
— Je te donnerai tout ce que tu veux ! gémit la jeune femme.
— Son nom !
— Luc… Il s’appelle Luc.
— Luc comment ? rugit Axel.
Maud hésite. Quelques secondes.
Alors Axel la secoue. Son crâne heurte à nouveau le plexiglas de la douche. Avec son avant-bras, il écrase sa gorge.
— Arrête ! supplie-t-elle d’une voix à peine audible.
— Son nom !
— Garnier, murmure Maud.
— C’est un putain de flic ?
— Non… C’est le… garde du corps de… mon père… Je peux plus… respirer !
— Dommage qu’il ne soit pas là, hein, Maud ?
Il la saisit par les cheveux, l’entraîne dans le couloir et l’oblige à avancer jusqu’à la chambre. Elle résiste de toutes ses forces, s’agrippe au chambranle de la porte.
— Non ! gémit-elle.
Insensible à ses supplications, le dealer la jette sur le lit, tel un paquet de linge sale. Elle se relève aussitôt, essaie encore de lui échapper. Reçoit un nouveau coup de poing qui lui explose la lèvre.
— Tu as voulu me baiser, hein ? balance Axel.
À genoux sur le sol, Maud se met à pleurer. Du sang coule de sa bouche, jusque sur sa petite tunique blanche à moitié déchirée.
— Me fais pas de mal ! supplie-t-elle entre deux sanglots. Axel, s’il te plaît !
La Ninja arrive enfin à destination. Luc aperçoit la voiture de Maud garée à quelques dizaines de mètres de l’entrée de l’immeuble.
Malheureusement, il ne s’était pas trompé.
Il laisse sa moto sur le trottoir et se précipite jusqu’à la porte de l’immeuble. Il appuie sur toutes les sonnettes à la fois, priant pour que quelqu’un lui ouvre. Plusieurs voix résonnent dans l’interphone et, enfin, la porte se déverrouille…
— Ne me fais pas de mal ! répète Maud.
— Junkie de merde ! hurle Axel.
Il la regarde un instant, les yeux débordants de haine.
Il ne s’attendait pas à la revoir. N’a rien prémédité. Il s’est juste laissé guider par sa colère, ses instincts. Et une féroce envie de vengeance.
Mais en la voyant si vulnérable, sa colère descend d’un cran. S’engouffrant dans la brèche, Maud l’implore à nouveau.
— Axel, pardonne-moi ! Je t’en prie… Je n’ai pas voulu ça, je te jure… !
— Putain de merde !
Il lève le bras, prêt à lui asséner un nouveau coup, mais se retient au dernier moment.
Luc enlève son casque et s’engage à toute vitesse dans l’escalier. Ses jambes iront plus vite que l’ascenseur. Malgré les douleurs qui l’assaillent, il continue à grimper les marches en courant.
Il arrive sur le palier et tente d’ouvrir la porte.
En vain.
Maud est là, enfermée avec ce type, il le sait.
Et il n’a qu’une solution…
— File-moi ton pognon, ordonne le dealer.
Il prend Maud par le bras, l’entraîne jusqu’au salon. Elle fouille son sac et, d’une main tremblante, lui tend l’argent liquide qu’elle a retiré une heure auparavant.
— Y a deux mille, murmure-t-elle. C’est tout ce que j’ai…
Il lui arrache les billets, la pousse violemment. Elle atterrit sur le canapé puis glisse jusqu’au sol, ayant encore trop de mal à tenir debout.
— Barre-toi ! Et ne reviens plus jamais ici ! Sinon, je t’écorche la gueule, t’as compris ?
— Oui… Oui…
Luc tire à deux reprises dans la serrure, file un violent coup de pied dans la porte et s’engouffre dans l’appartement, arme au poing.
À l’entrée du salon, il s’immobilise et braque son Glock en direction du dealer.
— Si tu bouges, t’es mort.
Il regarde Maud, par terre près du divan. Sa jupe remontée jusqu’à mi-cuisse, sa tunique déchirée et tachée de sang. Son visage marqué par les coups.
Son regard terrorisé.
Il sent monter en lui une haine bestiale. Incontrôlable.
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