— Qu’est-ce que tu lui as fait, espèce de fumier ?
Axel ne répond pas, hypnotisé par le canon de l’automatique.
Luc sait que les coups de feu ont alerté les voisins. Il sait que la police ne tardera pas à arriver. Qu’il devrait attraper Maud et quitter au plus vite l’appartement.
Pourtant, il continue à pointer son flingue sur le dealer. Son index a déjà commencé à presser la détente.
Maud se relève sans geste brusque et prend son sac.
— Viens, dit-elle. On y va !
Luc regarde toujours Axel. Comme s’il allait le dévorer. Maud attrape doucement son poignet, tente d’abaisser son bras. Mais soudain, il la repousse sans ménagement et s’avance vers le dealer.
— Qu’est-ce que tu lui as fait ? hurle-t-il. Réponds !
Il lui assène un coup de pistolet sur la tempe, le faisant tomber à ses pieds, puis pose le canon du Glock sur son front.
— Réponds ou je te descends !
Luc semble en transe. Capable de tout.
— Je lui ai rien fait, putain ! gémit Axel.
— Arrête, Luc ! ordonne Maud. Laisse-le, je t’en prie !
Elle s’approche à nouveau de lui, avec prudence. Des tics nerveux assaillent son visage. Elle sent qu’il est au bord de la rupture.
— Luc, s’il te plaît… Viens, on s’en va.
Sa main se met à trembler. Des gouttes de sueur perlent sur son front.
— Luc !
La voix de Maud s’éloigne. Une autre prend sa place.
Celle de Marianne.
— Luc, calme-toi, je t’en supplie… Il ne m’a rien fait, je te jure. Rien de grave. Viens avec moi.
Luc sent sa rage fondre lentement, comme la dernière neige au printemps. En douceur, Maud parvient enfin à abaisser son bras vengeur.
— Tirons-nous… Les flics vont arriver.
Il attrape la main de la jeune femme et l’entraîne vers la sortie.
— Qu’est-ce qu’on va dire à mon père ? s’inquiète Maud.
— Fallait y penser avant, balance Luc.
Ils se sont arrêtés juste avant la propriété. Luc est descendu de sa moto et a rejoint Maud dans sa voiture. Avec ce qu’il a acheté dans une pharmacie, il tente de minimiser les dégâts sur son visage.
— Il aurait pu te tuer, ajoute-t-il.
— Je suis désolée. Tu dois me trouver tellement…
— Pitoyable ?
Elle encaisse en silence tandis qu’il colle un petit pansement sur sa pommette.
— Pour ton père, tu n’as qu’à lui dire que tu t’es fait attaquer par un type qui voulait te piquer ton sac… Que tu as résisté, qu’il t’a frappée… Et que finalement, il a pris l’argent, a jeté ton sac par terre. Que tu m’as appelé et que je suis venu te chercher.
Elle hoche la tête.
— Merci, dit-elle d’une voix penaude.
— Bon, on y va, maintenant. Sinon ton paternel va faire une attaque.
Luc se remet en selle et suit la Mini jusqu’au portail. Dès qu’ils arrivent, Reynier vient à leur rencontre. Maud coupe le moteur et se jette dans les bras de son père, pleurant toutes les larmes de son corps.
— Ma chérie ! Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Qui t’a fait ça ?
Entre deux sanglots, Maud lui raconte le mensonge imaginé par Luc. Le jeune homme lui décernerait volontiers l’oscar de la meilleure actrice.
Et à son père reviendrait la palme d’or de la crédulité.
— Viens, dit Reynier en la tenant par les épaules. Rentrons…
Luc les suit jusque dans le salon où Maud continue sa mascarade.
— Il m’a pris tout l’argent que je venais de retirer !
— Ce n’est pas grave, dit Armand. Mais qu’est-ce qui t’a pris de sortir sans rien dire ?
Elle regarde Luc, comme s’il allait lui souffler la réponse. Mais celui-ci se contente de lui adresser un petit sourire cynique.
— Je voulais… Je voulais te faire une surprise, dit-elle.
— Tu parles d’une surprise ! maugrée son père.
— Je voulais t’acheter un cadeau…
— Maud, je te rappelle qu’il y a un fou dangereux qui nous harcèle et tu ne dois jamais sortir seule, c’est clair ?
— Pardon, papa…
Il la serre à nouveau dans ses bras et Luc détourne son regard. Puis Reynier s’avance vers lui.
— Merci de me l’avoir ramenée…
— Je suis payé pour ça. Si vous n’avez plus besoin de moi, je vous laisse. J’ai des choses à faire.
* * *
Maud avale une aspirine et se regarde dans le miroir au-dessus du lavabo. Son visage à nouveau abîmé, alors que les traces de la première agression avaient enfin disparu. Elle qui n’avait jamais pris de coups auparavant…
De retour dans la chambre, elle écarte le rideau, aperçoit Luc dans le parc. Assis sur le petit muret, près du garage, il téléphone.
À qui parle-t-il ?
À Marianne, sans doute.
Luc, qui s’est précipité à son secours, une fois encore.
Son ange gardien, son sauveur.
L’objet de ses tourments.
Le jeune homme regarde soudain vers la maison et, lorsqu’il voit Maud au travers de la vitre, il lui tourne le dos, tout en continuant sa conversation.
Alors la jeune femme abandonne son poste d’observation et descend au rez-de-chaussée. Son pas est lent, saccadé. Comme si des chaînes invisibles entravaient ses chevilles. Elle traverse la maison silencieuse, vide une demi-bouteille d’eau dans la cuisine et s’exile sur la terrasse.
Longtemps, elle contemple la piscine. Quelques feuilles mortes flottent à la surface de l’eau, une myriade d’insectes luttent pour ne pas s’y noyer. Maud attrape l’épuisette pour les extraire du piège et les dépose dans une jarre.
Combien de fois son père l’a-t-il encouragée à se baigner ? Mais même en sa présence, Maud n’a jamais pu.
Et elle n’a jamais compris pourquoi il n’avait pas détruit cette tombe.
Debout, près du rebord, les poings serrés, elle retient ses larmes. Elle sent le désespoir affleurer juste sous sa peau, courir dans chacune de ses veines.
Soudain, elle s’approche des marches qui s’enfoncent dans l’eau translucide. Elle hésite un instant encore, puis son pied nu se pose sur la première marche.
Lentement, elle descend.
Lentement, elle s’immerge.
L’eau lui arrive désormais jusqu’à la taille. Malgré le froid qui la tétanise, elle continue à avancer. L’eau grimpe jusqu’à son menton. Encore quelques pas et elle n’aura plus pied.
La seconde d’après, le liquide froid franchit ses lèvres.
Un goût de Javel immonde.
Un goût de mort.
— Maud !
Sans aucune hésitation, Luc lâche son téléphone et se jette à l’eau.
Au même moment, alerté par le cri du garde du corps, Armand arrive en courant et plonge à son tour. Les deux hommes ramènent Maud sur la terre ferme. Ils l’allongent sur les dalles surchauffées par le soleil.
Dans une violente quinte de toux, elle recrache une bonne quantité d’eau.
— Maud, ça va ? demande son père. Qu’est-ce qui s’est passé, bon sang ?
Pour toute réponse, elle se met à pleurer.
— Je suis tombée !
— Mais comment tu as fait ? interroge Reynier en l’aidant à s’asseoir.
— Je… J’étais au bord et j’ai eu une sorte de… de malaise, explique-t-elle.
Il la serre contre lui, caresse ses cheveux. Elle croise le regard de Luc, assis près d’elle. Et elle discerne une réelle inquiétude au fond de ses yeux verts.
Oui, il tient à elle.
Oui, il sait qu’elle n’est pas tombée. Qu’elle a simplement voulu rejoindre son cauchemar.
* * *
Armand s’use les rétines sur l’écran de son ordinateur.
Toutes les dix secondes, il actualise sa messagerie.
Le courriel arrive à dix-sept heures pile. Avant de l’ouvrir, le chirurgien appelle Luc, qui descend aussitôt. Les deux hommes se postent devant l’écran et Reynier clique sur l’e-mail. Même s’ils savent ce qu’ils vont lire, ils retiennent leur respiration.
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