— Ma chérie ? M. Garnier est là…
— Bonjour, Maud.
— Bonjour…
Elle a une voix faible, tout juste audible.
— Prenez le fauteuil, là, dit-elle.
Luc obéit et s’installe tout près du lit. Ses yeux s’habituant à la semi-obscurité, il commence à distinguer plus nettement le visage de la jeune femme. Lèvre supérieure enflée, œil au beurre noir, pansement sur le front, estafilade sur la joue. Son cou est noirci d’ecchymoses. Et encore, il ne peut pas voir le reste.
Armand est debout près de la porte, telle une vigie.
— Papa, tu peux nous laisser ?
— Mais…
— Papa, s’il te plaît.
Sans un mot, mais visiblement à contrecœur, le père consent à quitter la chambre.
— Comment vous sentez-vous ? demande Luc.
Il imagine le médecin dans le couloir, l’oreille collée à la porte.
— J’ai connu mieux, répond Maud avec un triste sourire.
— Je m’en doute. Vous auriez peut-être dû rester à l’hôpital, non ?
— Je n’en avais pas très envie. Et puis mon père préférait que je rentre. Il est toubib, il peut s’occuper de moi.
— Je sais, nous avons fait connaissance ! dit Luc à voix basse.
— Je vois… Il ne vous a pas trop emmerdé, au moins ?
— Non, pas de souci.
Soudain, son bras gauche émerge de dessous les draps et elle lui tend la main. Luc hésite et, finalement, la prend dans la sienne.
— Merci, murmure Maud. Merci, Luc…
Une larme coule sur sa joue, le jeune homme lui sourit même si sa gorge est nouée.
— Vous n’avez pas à me remercier, dit-il. J’étais juste là au bon moment, au bon endroit…
— Sans vous, il m’aurait tuée. J’en suis sûre. Il m’a dit qu’il me connaissait, qu’il savait tout sur moi !
Luc attrape la boîte de kleenex sur le chevet et lui en donne un. La jeune femme essuie ses larmes, Luc récupère sa main.
— Vous êtes en sécurité, maintenant.
— Il est toujours en liberté, rappelle Maud. Je suis sûre qu’il n’est pas loin… Qu’il va revenir !
— Mais non, voyons… Jamais plus il n’osera vous approcher.
— Qu’est-ce que vous en savez ?
— En tout cas, il ne vous agressera pas chez vous. Ce n’est pas de cette façon qu’il agit, visiblement…
— Vous vous y connaissez ?
— Pardon ?
— Vous connaissez ce genre de malades ?
— Non, mais c’est une simple question de logique.
— Je crois que je n’aurai plus le courage de sortir de la maison, dit-elle en se remettant à pleurer.
— Laissez-vous du temps, conseille Luc d’une voix douce. Et puis peut-être que les flics vont lui mettre la main dessus.
— Ça m’étonnerait !… Je n’ai même pas pu le décrire avec précision… Et vous ?
— Pas mieux.
Ils restent quelques instants sans parler mais ne se quittent pas des yeux. Maud aimerait se réfugier dans ses bras, comme après l’agression. Elle était choquée, mais se souvient pourtant avoir ressenti une drôle d’émotion lorsqu’il l’a portée jusqu’à sa voiture.
— Comment vais-je pouvoir te remercier ? murmure-t-elle soudain.
— Un sourire suffira, assure le jeune homme.
Alors, elle sourit. Légèrement. Puis elle décide de se redresser et Luc découvre alors un énorme hématome sur son épaule droite.
— Il t’a bien amochée, ce fumier…
— Les bleus, c’est rien. Le pire, c’est là, dit-elle en collant son index sur son front. C’est ce qui se passe dans ma tête. Tu te rends compte que je ne l’ai pas croisé par hasard ? Qu’il m’attendait, moi ? Qu’il me surveillait depuis des jours ou des semaines ?
Elle pleure à nouveau, Luc reprend sa main dans la sienne.
— Le plus terrible, c’est de l’imaginer en train de me regarder, de m’épier… Il est peut-être dans le jardin !
— Je comprends ce que tu ressens. Mais je crois que ça passera avec le temps.
Elle tourne la tête vers la fenêtre. Luc la trouve encore plus jolie que la veille, malgré les traces immondes sur son visage. Il aime ses longs cheveux châtain foncé, qui se marient à la perfection avec ses yeux, aussi bleus que ceux de son père.
— J’ai fait des conneries dans ma jeunesse, dit-elle sans le regarder. Mais je crois que je ne méritais pas ça…
— Ta jeunesse ? répète Luc avec un sourire. Tu es encore bien jeune !
— Enfin, pendant mon adolescence, je voulais dire.
— Personne ne mérite ça. Ni toi ni quelqu’un d’autre… C’était quoi, ces conneries ?
Elle a toujours le visage tourné de l’autre côté. Ses lèvres se pincent, comme si elle regrettait d’avoir ouvert la bouche.
— Tu me raconteras une autre fois, propose Luc. On n’est pas obligés de tout se dire au premier rendez-vous !
Maud le regarde, ébahie. Mais face à son sourire de gamin, elle se détend.
— Tu habites à Nice ? demande-t-elle.
— Oui. Dans le quartier de Cimiez.
— Tu es étudiant ?
— Ah non, j’ai passé l’âge…
— Tu as quel âge ?
— Vingt-six ans.
— Tu pourrais encore être à la fac, souligne-t-elle.
— Pas faux. Mais j’ai jamais été un intellectuel.
— Tu n’es pas allé à la fac ?
— Eh non… Désolé. Tu veux encore me parler ou je m’en vais en rampant ?
Elle se met à rire, Luc est fier de lui.
— Tu peux rester, dit-elle d’un ton faussement hautain. Et tu fais quoi, alors ? T’as un boulot ?
— C’est drôle, ton père m’a posé la même question il y a dix minutes.
— J’en étais sûre ! Mais mon père, ce n’était pas pour les mêmes raisons. Lui, il questionne les gens comme s’il leur faisait passer un interrogatoire ! Je déteste quand il fait ça… Une fois, je lui ai présenté un mec avec qui je sortais et après avoir vu mon père pendant un quart d’heure et répondu à trois cents questions, il m’a plaquée !
Luc rit à son tour.
— C’est qu’il ne devait pas t’aimer très fort, dit-il.
— Sans doute… Moi, je te pose des questions parce que je m’intéresse à toi.
— Merci.
— Alors, c’est quoi, ton job ?
— Je suis garde du corps.
Elle pouffe à nouveau.
— T’es drôle, ça me fait du bien.
— Non, c’est vrai. Je suis réellement garde du corps. C’est mon métier.
Elle le dévisage, la bouche légèrement entrouverte.
— Ton père a fait à peu près la même tête quand je le lui ai dit !
— Garde du corps, murmure Maud. J’ai eu de la chance que tu passes sur ce sentier hier soir…
Luc hausse les épaules.
— Ç’aurait pu être quelqu’un d’autre que moi.
— Non. Si tu n’avais pas été là, je serais morte. J’en suis sûre.
Il sent que les larmes ne vont plus tarder, essaie de la faire rire à nouveau.
— Tu crois que ton père va encore m’interroger quand je vais redescendre ? s’inquiète-t-il à voix basse.
— Sans doute, soupire Maud.
— Alors je vais sauter par la fenêtre directement dans le jardin… Encore une chance que ta chambre soit au premier étage !
Elle sourit, Luc se lève.
— Je te laisse te reposer, dit-il.
— On va se revoir ?
Luc la dévisage un court instant.
— J’en suis sûr, répond-il.
Il dépose un baiser sur sa joue et quitte la chambre. Avant d’ouvrir la porte, il se retourne. Maud le fixe dans la pénombre.
De retour au rez-de-chaussée, le jeune homme ne peut échapper aux parents.
— Encore un café ? propose Charlotte.
— Non, merci, je dois y aller.
— Je vous raccompagne, décide le père.
— Ne vous donnez pas cette peine, je connais le chemin !
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