— Tiens, monsieur Garnier…
Luc enlève ses gants, son casque, et serre la main du flic.
— Vous vous souvenez de moi ? Nous nous sommes vus hier soir à l’hôpital.
— Bien sûr, répond Luc. Hier soir, c’est pas si loin…
— Que venez-vous faire ici ? questionne le flic.
— J’ai appelé tout à l’heure pour prendre des nouvelles de Maud et son père m’a demandé de passer. Il paraît qu’elle veut me voir.
— Ah… Sans doute pour vous remercier ! Bon, faut que je retourne au bureau.
— Vous avez une piste ?
— Aucune pour le moment, avoue Lacroix.
— Il ne doit pas en être à son coup d’essai…
— C’est pour ça que dès que Mlle Reynier s’en sentira capable, je lui ai demandé de passer au commissariat pour lui montrer les photos de différents délinquants sexuels. Bonne journée, monsieur Garnier.
Luc hoche la tête et regarde la voiture du flic s’éloigner.
La maison des Reynier est une magnifique villa ancienne sur les hauteurs de Grasse, nichée dans un parc immense, agrémenté d’espèces exotiques. Luc prend quelques instants pour apprécier le panorama, malgré le soleil qui lui brûle les yeux. Puis il grimpe les quatre marches et sonne à la porte.
Une femme apparaît, tenue et chignon stricts.
— Monsieur ?
— Je suis Luc Garnier. M. Reynier a demandé à me voir.
— Ah oui, vous êtes le jeune homme d’hier soir ! sourit la gouvernante. Celui qui a sauvé Maud… Entrez, je vous en prie.
— Merci.
La température dans la maison lui procure un frisson dans le dos. La domestique le fait patienter dans le hall et Luc en profite pour une armure japonaise ancienne en bois laqué et cotte de mailles, qui monte la garde au pied d’un escalier de marbre gris clair.
— Monsieur Garnier !
Armand Reynier s’avance vers lui.
— Luc… Je peux vous appeler Luc ?
— Vous pouvez.
Les deux hommes se serrent la main.
— Elle vous plaît ? demande Armand en regardant l’armure.
— Beaucoup… Époque d’Edo, n’est-ce pas ?
Reynier ne cache pas sa surprise.
— Tout à fait. Je vois que vous vous y connaissez !
— Un peu…
— Suivez-moi, je vous en prie.
Luc le talonne jusque dans un salon où Charlotte l’accueille tout aussi chaleureusement.
— Vous voulez un café, un rafraîchissement ? demande-t-elle.
— Un café, volontiers, répond Luc.
— Amanda, rapportez-nous du café, s’il vous plaît ! ordonne la maîtresse de maison. Asseyez-vous, monsieur Garnier.
Luc hésite entre les fauteuils et le canapé. Il y a de quoi asseoir une équipe de foot, remplaçants compris. Il s’installe finalement dans un fauteuil de cuir fauve.
— Je monte voir Maud, dit Charlotte. Je vous laisse entre hommes…
Amanda apporte le café, Reynier dévisage le jeune homme avec insistance.
— Du sucre, monsieur ?
La gouvernante a la voix douce, le regard enjôleur.
— Oui, merci, répond Luc.
Elle s’éclipse sur la pointe des pieds, Luc fixe à son tour le professeur qui s’est assis en face de lui.
— Comment va Maud ? demande-t-il.
— Pas très bien. Nous l’avons ramenée ce matin de l’hôpital et elle est montée directement se coucher. Elle a besoin de se reposer, de dormir.
— Et son chien ?
— Charly ? Le vétérinaire l’a opéré hier soir, mais nous ne savons pas encore s’il va s’en tirer.
— Maud veut me voir ?
Le professeur sourit.
— Elle n’en a pas émis le souhait mais je suis certain que ça lui fera très plaisir.
Luc ne relève pas, laissant Armand continuer sur sa lancée.
— Ma femme est montée la prévenir que vous étiez là. Dites-moi, Luc… Que faites-vous dans la vie ?
— Je suis gardien de nuit, dans un musée.
— Vraiment ? Drôle de boulot.
Il vient de dire ça d’un air consterné.
— C’est provisoire. J’ai un CDD de six mois, le temps que l’expo de bijoux soit démontée.
— Ah… Et ensuite ?
— Je chercherai un autre job.
— Vous avez quoi, comme formation ?
— Je suis APR.
— APR ? Ça veut dire quoi ?
— Agent de protection rapprochée.
Devant la mine dubitative du professeur, Luc précise :
— Garde du corps, si vous préférez.
— Bodyguard ! s’exclame Reynier. Ce n’est pas commun !
— On est assez nombreux, rectifie Luc. Mais on ne nous remarque pas, en général.
— Vous êtes armé ?
— J’ai un port d’arme, en effet. Mais je n’ai pas mon pistolet sur moi… Uniquement lorsque je suis en mission.
— Mais dans ce cas, pourquoi êtes-vous employé au musée ?
— Je peux fumer ?
— Ici, on ne fume pas, répond Reynier en poussant devant lui un cendrier en Baccarat. Mais pour vous, je ferai une exception.
— En fait, il n’y a pas longtemps que je suis arrivé dans la région de Nice, explique Luc en allumant sa cigarette. Je reviens de l’étranger et il me fallait un boulot rapidement, alors j’ai pris ce qui se présentait. Mais dès que j’aurai terminé mon contrat là-bas, je m’inscrirai dans une agence. Et puis, pour dire vrai, j’avais envie d’autre chose, de faire un break. Ma dernière mission ne s’est pas très bien passée…
Armand esquisse un sourire, apparemment satisfait que le jeune homme se laisse aller à la confidence.
— Votre client est mort ? suppose-t-il.
Luc sourit à son tour.
— Confidentiel. Je ne peux pas vous en parler.
Le sourire d’Armand disparaît. Celui de Luc s’affirme.
— Je comprends… C’est bien payé, garde du corps ?
— Ça dépend de la mission, du client et des références de l’APR. Mais ça va.
Reynier lève la main et Amanda accourt aussitôt.
— Resservez-lui un café, ordonne-t-il.
Elle s’exécute, avec le sourire.
— J’aurais très bien pu le faire, dit Luc. Mais merci, mademoiselle.
— Je vous en prie.
Elle repart dans le fond de la pièce, de son pas rapide et discret. Luc la suit avec un regard appuyé. C’est alors que Charlotte revient dans le salon et s’assoit près de son mari.
— Ce jeune homme est garde du corps, annonce le professeur.
— Garde du corps ? répète sa femme. Ça alors… Incroyable !
Habitué à ce genre de réaction à l’évocation de son métier, Luc se contente d’un sourire.
— Et qui protégez-vous en ce moment ? demande-t-elle, un brin émoustillée. À part ma fille, je veux dire ! ajoute-t-elle.
— Une collection de bijoux anciens.
— Vraiment ?
Luc sent son regard qui le détaille soudain avec plus d’intérêt, moins de condescendance.
— Je t’expliquerai, coupe son mari. Maud est d’accord pour qu’il aille la voir quelques instants ?
— Oui, elle vous attend, confirme Charlotte.
— J’y vais, dit Luc en se levant.
— C’est au premier étage, la chambre au bout du couloir. Je vous accompagne ?
— Ce ne sera pas nécessaire, madame, assure Luc.
— Arrêtez de m’appeler madame, j’ai l’impression d’avoir cent ans ! Appelez-moi Charlotte, voulez-vous ?
— Je trouverai le chemin tout seul, Charlotte.
Armand se lève à son tour.
— Je viens avec vous, décrète-t-il. C’est préférable.
Le ton ne souffre aucune repartie, Luc lui emboîte le pas. Ils montent à l’étage, Armand frappe trois coups discrets à la porte et une petite voix les invite à entrer. La pièce est plongée dans la pénombre, les volets étant entrebâillés. Maud est dans son lit, le drap remonté jusqu’au menton.
La chambre est immense, haute de plafond, et Luc sent ses pieds s’enfoncer dans une épaisse moquette. Un dressing, un bureau, une bibliothèque et, plus étonnant, un imposant bouddha en bois au pied du lit.
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