— Maud, s’il te plaît… Donne-moi cette clef. Je te promets que je ne dirai rien à ton père.
— Non ! Je peux pas m’en passer, je t’en prie…
— Je t’aiderai à tenir. Ensemble, on va y arriver, Maud. Fais-moi confiance.
Il la laisse pleurer encore un peu, reprendre pied. Elle met de longues minutes à se calmer, puis les sanglots s’espacent. Il sent les larmes de la jeune femme couler sur sa peau nue. Ça lui procure de bien étranges frissons.
— On va y arriver, répète Luc. D’accord ? Alors montre-moi où tu caches cette saloperie…
Maud se résigne enfin. Elle ouvre la boîte en bois et contemple le sachet à peine entamé. Quand Luc s’en empare, elle a encore un mouvement pour l’en empêcher. Mais d’un regard, il la persuade de se rendre.
— Je m’en occupe.
— Laisse-m’en un peu ! supplie-t-elle.
— Non, Maud. Plus un seul gramme.
Il disparaît dans les toilettes et elle entend la chasse d’eau à deux reprises. Son cœur se serre douloureusement. Puis Luc revient s’asseoir près d’elle.
— Qui te fournit ?
— Un mec…
— Je veux son nom et son adresse.
— Mais…
— Je vais lui expliquer qu’il ne doit plus t’en vendre. Aie confiance en moi, tout se passera bien.
Maud se retranche dans le silence, mais Luc ne lâche pas prise. Il récupère le portable de la jeune fille, consulte les derniers numéros composés.
— Il s’appelle Axel, c’est bien ça ?
Elle ne répond pas, il décide d’éplucher les textos.
— Oui, c’est ça, dit-il.
Dans la rubrique contacts, il trouve la fiche correspondant au dealer. Son prénom mais pas son adresse. Pourtant, il ne s’avoue pas vaincu.
— Allez, encore un petit effort… dis-moi où je peux le trouver.
Comme elle refuse de parler, il s’agenouille devant elle et prend ses mains dans les siennes.
— Maud, tu crois vraiment que je voudrais d’une junkie ?
Stupéfaite, elle redresse la tête.
— Si tu veux qu’on ait une chance un jour, toi et moi, va falloir que tu me prouves que tu peux changer. Que tu me jures de ne jamais retoucher à cette merde…
— Tu es sérieux ?
Il hoche la tête.
— Alors ?
Elle hésite encore.
— Maud, s’il te plaît.
— Qu’est-ce que tu vas lui faire ?
— Juste lui parler. Le persuader de refuser de t’en vendre si jamais tu craques…
— Mais il connaît mon nom, sait où j’habite !
— N’aie pas peur, sourit Luc. Je sais être très persuasif, je t’assure.
Enfin, la jeune femme passe aux aveux.
Luc dépose un baiser sur sa main et se relève.
— Habille-toi, on y va, dit-il. Tu m’attendras dans la voiture.
À bout de forces, Maud obéit.
Un quart d’heure plus tard, la Mini s’élance sur la route.
… Maud a quitté Nice depuis deux jours. Elle n’a pas appelé son père. Pourtant, elle pense à lui souvent.
Pour Sophia et ses nouveaux amis, plus nombreux qu’à son arrivée, elle a dépensé tout l’argent qu’elle avait emporté avec elle.
Ce soir, elle a bu plus que de raison. Elle s’est injecté une seringue de merde dans les veines. Et dans les bras d’un jeune inconnu, elle plane.
Il peut faire ce qu’il veut avec elle.
Même que Sophia n’arrête pas d’en rire.
Ce soir, Maud a balancé le code de sa carte bleue. Sans même s’en rendre compte. Avec le sourire, elle a énoncé les quatre chiffres, comme s’il s’agissait d’un jeu.
Sophia est partie au distributeur, avec l’un de ses amis, et ils sont revenus avec du pognon plein les poches. Demain, ils iront faire leur marché chez le dealer du coin.
Après s’être laissé désargenter, Maud se laisse déshonorer. Elle y prend un certain plaisir, c’est en tout cas mieux qu’avec Mathéo. Avec ce qu’elle a dans le sang, pas étonnant. Même l’enfer lui semblerait un endroit délicieux…
Autour d’elle, des gens qu’elle ne connaît pas, affalés sur de vieux canapés, défoncés à mort. Un couple fait l’amour, tout près d’elle. Elle les regarde en souriant bêtement.
— Tu es de la famille du prince Rainier ? demande soudain l’un d’eux.
Maud éclate de rire.
— Mais non ! dit Sophia. Elle vient de Nice, pas de Monaco ! Et puis elle, ça s’écrit REYNIER, pas RAINIER !
Doucement, Maud s’endort dans les bras de l’inconnu.
Quand elle se réveille, il fait jour.
Elle est complètement nue, allongée sur un canapé pourri, dans une baraque ouverte aux quatre vents.
Elle est seule.
Plus de sac, plus de carte bleue. Plus de passeport, plus de téléphone.
Un mal de crâne à se cogner la tête contre les murs.
Elle s’est vomi dessus, ne s’en souvient même pas.
D’ailleurs, elle ne se souvient plus de grand-chose.
Elle se laisse glisser du sofa, rampe sur le sol. On dirait une bête agonisante.
Repoussante.
Elle cherche ses vêtements, ne les retrouve plus.
— Y a quelqu’un ?
Non, il n’y a personne.
Seulement une jeune fille de presque dix-sept ans à qui on a volé tout ce qu’elle avait. Dont on a vidé le compte alimenté par l’argent paternel.
Combien de mecs lui sont passés dessus, cette nuit ?
Plusieurs, elle en est sûre.
Alors elle vomit encore et encore. Avec l’impression qu’elle va cracher ses tripes sur le sol crasseux. Elle enfile un tee-shirt déchiré qui ne lui appartient pas, se met à trembler. À pleurer.
Le manque vient l’achever.
Elle voudrait de la drogue, encore.
Pour oublier qu’elle n’est qu’une droguée. Qui a passé une partie de la nuit à faire des pipes à de parfaits inconnus.
Elle voudrait de la drogue, pour oublier ce que la drogue a fait d’elle.
Pour oublier la honte.
Elle donnerait n’importe quoi pour en avoir, sauf qu’elle n’a plus rien.
« Papa, aide-moi… »
Elle voudrait tant qu’il soit là.
Pourtant, elle préférerait mourir plutôt qu’il la voie dans cet état.
« Pardon, papa… »
* * *
Armand sort du bloc, vire ses gants et son masque. Lefèvre, l’anesthésiste, le rejoint dans le couloir.
— On prend un café ? propose-t-il.
— Volontiers.
Ils se rendent dans le bureau du professeur et Blandine leur apporte un café et quelques viennoiseries.
— Qu’est-ce que tu as en ce moment ? demande Lefèvre.
— Pourquoi cette question ? s’étonne Armand.
— Je vois bien que tu n’es pas comme d’habitude, mon vieux… Tu as l’air épuisé et complètement à l’ouest !
— Je suis un peu fatigué, mais rien de grave.
— Je t’ai vu hésiter pendant l’opération. Tu n’es pas dans ton assiette. Tu devrais te reposer avant que…
— Avant que quoi ? tranche Armand.
— Avant de faire une connerie, assène Lefèvre. Je suis ton ami et je sais bien que…
— Tu as vu le planning ? Quand veux-tu que je me repose ?
— Tu peux te faire remplacer, objecte l’anesthésiste. Je t’assure, t’as vraiment pas l’air bien.
— Ça ira. Allez viens, on nous attend en salle d’op.
Luc laisse son doigt appuyé sur la sonnette.
Enfin, la porte s’entrouvre et Axel apparaît, décoiffé et vaguement habillé.
— Salut ! dit Luc en souriant.
Le dealer ne répond pas, toisant d’un air suffisant l’homme qui se tient sur son palier.
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