— Je n’ai pas que ça à faire, rétorque Maud. Je te cherchais, Luc.
Le ton est ridiculement autoritaire.
— Je suis là, dit-il d’une voix calme. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
— Je vais sortir.
Il s’approche d’elle, sans le moindre empressement.
— Tu es sûre ?
— Pourquoi, tu as autre chose de prévu ?
— Bon, je vous laisse, fait Amanda. À tout à l’heure et merci pour la leçon, Luc. Tu es un excellent prof !
— De rien, répond le garde du corps sans lâcher Maud des yeux. Merci à toi, c’était un plaisir.
Le tutoiement n’a pas échappé à Maud. Et Luc vient d’enfoncer la lame plus profondément encore dans sa moelle épinière. Il se permet même de sourire. Un sourire auquel Maud ne trouve plus rien de charmant.
Elle le trouve seulement odieux.
Elle préférerait encore qu’il la gifle. Ça serait moins douloureux.
— Alors, tu veux aller où ? demande Luc.
Il voit bien qu’elle cherche un bon prétexte. Qu’elle improvise maladroitement.
Il hésite entre la trouver pitoyable et la trouver touchante.
— Au club d’équitation, dit-elle finalement.
— Tu me laisses un moment pour me changer ?
— Je vais chercher mes affaires. On se retrouve ici dans dix minutes.
Elle tourne les talons et s’enfuit. Elle rejoint la maison d’un pas rapide, faisant son maximum pour retenir un geyser de larmes. Elle monte l’escalier en courant et s’enferme dans sa chambre. Là où elle peut laisser libre cours à ses sanglots.
Quel connard !
Elle se jette en travers de son lit, attrape son oreiller qui étouffera ses larmes et ses cris.
J’ai été minable… Grotesque ! Mais qu’est-ce qui m’a pris !
Mon Dieu, pourquoi j’ai réagi comme ça ? Je deviens folle, c’est pas possible !
Au bout de quelques minutes, elle se rue dans la salle de bains pour constater les dégâts. Encore heureux, elle ne s’était pas maquillé les yeux. Elle passe de l’eau sur son visage, tente d’endiguer le flot qui coule sur ses joues.
Puis elle se change, passant un jean, un tee-shirt et ses bottes. Quand elle regarde par la fenêtre, elle voit Luc, déjà prêt, qui patiente près de la voiture en fumant une cigarette.
Un bon petit soldat, à ses ordres. Mais pour lui, elle n’est qu’une cliente. Une fille qu’il est payé pour protéger.
Rien d’autre.
La mort dans l’âme, elle redescend, marchant beaucoup moins vite que l’instant d’avant. Elle met des lunettes de soleil sur son nez avant de franchir la porte. Qu’il ne voie pas ses yeux. Qu’il ne se rende pas compte qu’elle vient de chialer.
Dès qu’elle s’approche, Luc ouvre la portière de l’Audi côté passager. Sans un merci, Maud s’assoit.
— C’est à quelle adresse ? demande-t-il en prenant le volant.
— Prends la direction de Vence. Ensuite, je te montrerai.
— Très bien. Attache ta ceinture, s’il te plaît.
Luc met le contact, actionne l’ouverture du portail. Avant de s’engager, il scrute les abords de la petite route. Aucune voiture ni silhouette suspecte.
— Tu as dit à ton père que tu sortais ?
— Pourquoi ? Je suis majeure, je te rappelle.
* * *
Des nuages s’effilochent dans le ciel, accroissant encore la sensation de chaleur.
Un couvercle sur une cocotte-minute.
Depuis qu’ils ont quitté la maison, ils n’ont pas échangé un mot. Luc ne peut voir ses yeux derrière les verres fumés. Mais il sait que Maud a pleuré.
Il sait qu’elle souffre.
— T’attends quoi pour accélérer ? dit-elle soudain. On se traîne, putain…
— C’est limité à soixante-dix, ici.
— Rien à foutre. Accélère, je te dis.
Luc donne un coup de volant et stoppe la voiture sur le bas-côté. Ils sont en pleine colline, dans un endroit désert.
— Pourquoi tu t’arrêtes ? crache Maud.
Il coupe le contact, enlève ses lunettes et la dévisage. Sans un mot.
— Pourquoi tu t’arrêtes ? répète-t-elle en haussant la voix.
— Tu as quelque chose à me dire, Maud ? À me reprocher, peut-être… ?
— Démarre, ordonne-t-elle sans même le regarder.
— Je ne suis pas ton chien. Parle-moi autrement, s’il te plaît.
La bouche de la jeune femme se crispe.
— Mon chien, je ne lui parlais pas comme ça, balance-t-elle. Mon chien, je l’aimais. Maintenant, démarre.
Luc fixe toujours la jeune femme, lui faisant perdre ses dernières défenses.
— Démarre, putain ! hurle-t-elle. Ou casse-toi !
Doucement, il approche son visage du sien.
— Tu veux vraiment que je m’en aille ? murmure-t-il près de son oreille.
Elle veut s’éloigner, mais il passe une main derrière sa nuque et la force à rester collée à lui.
— Alors pourquoi as-tu supplié ton cher papa de ne pas me virer ce matin ?
— Tu rêves ! bredouille la jeune femme.
Il sourit en voyant trembler ses mains.
— Du calme, Maud… Qu’est-ce qui se passe ? Tu as peur de moi ?
— Mais non !
Il accentue la pression, elle se fige.
— Si tu as quelque chose à me dire, c’est le moment, ajoute-t-il calmement. Je t’écoute…
Elle a de plus en plus de mal à respirer.
— Puisque tu ne veux pas parler, je vais le faire à ta place, poursuit Luc. Tu es tombée amoureuse de ton garde du corps… Et ça, c’est vraiment pas de veine !
Elle commence à pleurer, il ne cède toujours pas.
— Le problème, tu vois, c’est que je ne suis pas là pour baiser la fille du patron. Ni pour subir ses crises de jalousie ou ses caprices de petite fille riche. Je suis là pour te protéger d’un fou qui veut te faire la peau. Tu comprends ça, Maud ?
Elle se contente de sangloter, il resserre sa poigne.
— Je veux une réponse.
— Oui, murmure-t-elle.
— Parfait, conclut-il en la lâchant enfin.
Elle continue de trembler, n’arrive plus à s’arrêter de pleurer. Il allume une clope, attendant qu’elle se calme.
Mais elle ouvre brusquement la portière et s’enfuit. Luc jette sa cigarette et s’élance à la poursuite de sa protégée. Elle quitte la route pour s’enfoncer dans le maquis, dévalant à toute vitesse une pente abrupte. On la croirait poursuivie par une armée de monstres.
Luc la rattrape en moins d’une minute. Il la saisit par le bras, elle se débat comme une hystérique. Il la ceinture et la soulève du sol.
— Lâche-moi !
— On se calme ! ordonne Luc.
Elle lutte quelques secondes jusqu’à ce qu’elle s’épuise et se noie dans ses propres larmes. Alors, il prend le risque de la libérer et reste assis près d’elle. Elle pleure encore et encore, il laisse passer l’orage, les yeux dans les nuages.
— Je suis désolé, dit-il enfin. Je n’aurais pas dû te parler comme ça… Mais tu as réussi à me faire péter les plombs ! ajoute-t-il avec un sourire un peu triste. Pourtant, c’est pas évident…
Il lui tend un kleenex.
— Tu sais, Maud, je ne vaux pas la peine que tu te mettes dans des états pareils. Je ne suis pas un mec pour toi… Tu mérites mieux que moi, je t’assure.
— J’y peux rien, murmure-t-elle. J’arrête pas de penser à toi. Depuis que je t’ai vu…
Il ramasse une pomme de pin et la mutile consciencieusement, arrachant une à une ses écailles.
— Je suis flatté…
Elle regarde ailleurs.
— Et puisqu’on en est aux confidences, faut que je te dise que moi aussi, je suis très attiré par toi.
Elle tourne la tête vers lui, les yeux saturés d’espoir.
— Mais nous deux, ce n’est pas possible, poursuit le jeune homme. Pas maintenant, en tout cas.
— Pourquoi ?
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