— Vous savez, mon mari rentre tard. Très tard, même. Il ne vous verra pas dans la piscine, si c’est ce que vous craignez.
— Je ne crains pas votre mari, madame.
À ces mots, le regard de Charlotte change de nuance.
On la dirait subjuguée.
— Mais je suis payé pour faire un travail et non pour prendre du bon temps.
Elle passe à côté de lui, il sent sa main frôler son pantalon.
— Dommage, susurre-t-elle.
Elle enlève ses tongs et s’allonge sur un lit de repos. Même ses pieds sont parfaits, Luc ne manque pas de le remarquer.
— Et si vous alliez me chercher à boire ? dit-elle en fermant les yeux.
— Je ne suis pas payé pour ça non plus, madame.
— Parce que dans la vie, vous ne faites jamais rien gratuitement ? s’amuse Charlotte.
Luc s’approche du bain de soleil et se penche au-dessus de l’épouse du chirurgien.
— Si, mais jamais quand je suis en service.
— Et vous finissez à quelle heure ?
— C’est une information confidentielle, madame.
Il a fait le tour du jardin, une nouvelle fois, histoire d’apprivoiser les lieux et de déterminer par où l’auteur du message est passé. En fait, il a pu entrer par beaucoup d’endroits. Franchir un mur de deux mètres n’est pas compliqué, surtout quand on est grand.
Comme l’agresseur de Maud.
Puis Luc installe ses quelques affaires dans le studio, très fonctionnel, mais où il manque la climatisation. Une pièce d’une vingtaine de mètres carrés, avec un coin cuisine et un coin salon équipé d’une banquette. Il y a également une minuscule chambre où le lit prend quasiment toute la place, ainsi qu’une salle de bains.
Il place ses costumes dans l’unique placard, range ses chemises avec soin et planque son arme dans un petit meuble doté d’un tiroir fermant à clef.
À midi, Luc remonte vers la villa en se demandant si Charlotte est toujours en train de bronzer sur son transat… Il esquisse un sourire gourmand en pensant à elle ; il a toujours trouvé que les femmes d’une quarantaine d’années avaient un charme particulier.
Lorsqu’il arrive devant la maison, il a la surprise d’apercevoir Maud sur le perron. Assise sur les marches, elle fume une cigarette. Il en est sûr, elle l’attendait.
Lorsqu’il s’approche, elle se lève.
— Bonjour, Luc…
— Bonjour. Qu’est-ce que tu fais debout ?
— J’avais envie de prendre l’air.
Il remarque qu’elle a passé du fond de teint sur certains de ses hématomes. Des lunettes teintées cachent son œil abîmé.
— Ton père t’a dit ? demande Luc.
— Oui… Ta présence est censée me rassurer…
— Ce n’est pas le cas ?
— Si… Mais ça me gêne un peu, à vrai dire.
— Vraiment ? Je sais me faire discret, je t’assure. Et puis je m’en irai dès que les flics auront chopé ton agresseur.
Il lui confie un petit papier avec son numéro de portable.
— Mon téléphone restera allumé vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et je ne serai jamais loin.
Elle prend le morceau de papier, le met dans sa poche.
— Merci, Luc. J’espère que ce n’est pas un calvaire pour toi d’avoir accepté ce boulot…
— Un calvaire ? Qu’est-ce que tu vas chercher ! Ton père me paye, et plutôt bien. Je suis logé dans un endroit sympa et je suis chargé d’assurer la sécurité d’une fille adorable. Que demander de plus ?
Elle sourit bêtement et baisse la tête, embarrassée.
— J’ai croisé ta mère tout à l’heure…
— Charlotte n’est pas ma mère.
Luc fronce les sourcils.
— C’est ma belle -mère.
— Pardon, je l’ignorais.
— Elle a épousé mon père quand j’avais douze ans. Et elle se prend pour ma mère, du coup !
— Je vois. Et ta vraie mère, elle est où ?
— Loin, répond Maud. Très loin…
Luc sent qu’il vient de rouvrir une plaie. Qui était là, juste à fleur de peau.
— J’espère que Charlotte ne t’a pas emmerdé.
— Pas le moins du monde, prétend Luc. Pourquoi dis-tu ça ?
Maud hausse les épaules et écrase sa clope.
— Dès qu’elle voit un mec, elle a tendance à…
— Tendance à quoi ?
— Ben à le draguer !
Luc sourit.
— Elle a des amants ? demande-t-il à voix basse.
— Je ne crois pas, non ! chuchote Maud. C’est juste pour se faire remarquer… Mon père est plutôt du genre jaloux. À mon avis, elle se tient à carreau.
— Si elle fait ça, c’est peut-être parce qu’elle n’est pas très heureuse, souligne le jeune homme.
— Je sais pas… Peut-être. Et à vrai dire, je m’en fous un peu.
— Tu ne l’aimes pas ? s’étonne Luc.
Elle hausse à nouveau les épaules et s’abstient de répondre. Luc ôte ses lunettes de soleil et, pour la première fois, Maud découvre la couleur de ses yeux en plein jour. Verts, pailletés d’or.
— Tu veux déjeuner ? Amanda a préparé des cannellonis. C’était mon plat préféré…
— C’était ?
Maud détourne la tête un instant.
— Je n’ai plus trop d’appétit…
— C’est normal. Mais avec le temps, tu iras mieux.
— En tout cas, Amanda les réussit très bien, tu verras. Viens, suis-moi, ajoute la jeune femme en ouvrant la porte.
Luc reste sur le perron.
— Ton père a été clair : je ne dois pas partager vos repas.
— Hein ?
— Tu as très bien entendu. Je déjeunerai dans mon studio.
— Mais…
— Ne t’en fais pas, ça ne me dérange pas.
Il rebrousse chemin et Maud le regarde s’éloigner.
— Luc ?
— Oui ? répond-il en se retournant.
— Je… Je suis heureuse que tu sois là. Près de moi. Je crois que c’est le plus beau cadeau que mon père m’ait fait.
— Merci, dit simplement le jeune homme.
— Tu sais, il n’est pas aussi mauvais qu’il en a l’air… Il faut juste le connaître.
Luc hoche la tête.
— Tout se passera bien, fais-moi confiance, conclut-il.
* * *
— Je vous présente M. Garnier. C’est notre garde du corps.
Charlotte vient de dire ça avec une sorte de fierté ridicule. Luc tend la main au jardinier, qui le dévisage d’un air incrédule.
— Garde du corps ? répète bêtement M. Ferraud.
— Oui, Sébastien. Je sais que ça a de quoi surprendre, mais Maud s’est fait agresser il y a quelques jours. Et Luc est là pour la protéger tant que ce malade mental ne se sera pas fait arrêter par la police. Vous comprenez ?
— Mon Dieu… Elle va bien ?
— Pas trop, non, répond Charlotte. Mais elle est en vie, c’est l’essentiel.
Le jardinier est un homme qui doit avoir entre trente-cinq et quarante ans. Petit trapu aux mains rugueuses et à la poigne virile. Sa chemise ouverte laisse apparaître un torse abondamment velu sur lequel repose une épaisse chaîne en argent, ornée d’un étrange et ostentatoire pendentif en métal.
— Si vous voyez quelqu’un rôder autour de la maison, prévenez-moi, ajoute Luc.
— Oui, bien sûr… Je le ferai, oui.
Charlotte s’éloigne et Luc entraîne le jardinier un peu plus loin.
— Nous craignons que cet homme soit obsédé par Maud, dit-il.
— Obsédé ?
— Oui… Il pourrait revenir pour finir le travail.
— Finir le travail ?
Luc soupire. Il a l’impression de causer à un volatile qui aurait troqué ses plumes contre des poils.
— Il voulait la tuer et n’en a pas eu le temps, précise-t-il.
— Mon Dieu… quelle histoire !
Luc se demande si Ferraud est aussi stupide qu’il en a l’air.
— Vous travaillez ici depuis longtemps ?
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