— Qu’est-ce que t’as à gesticuler comme ça ?
— J’ai envie de pisser, prétend le flic.
— Désolé, ce sera pour une autre fois. Donc, je disais que je les rends folles. C’est le pied, tu peux pas savoir ! Elles racontent leur histoire partout et personne ne les croit.
— Personne, à part moi.
— On ne peut jamais éviter tous les problèmes, c’est sûr, concède Barthélemy. Enfin, ce n’est pas grave, tout ça. Tu vois, ce que j’aime, c’est les déconstruire. Les mettre en pièces ! Les regarder se débattre, se battre contre un ennemi invisible. Perdre tous leurs repères, perdre tout ce qu’elles ont bâti. Les mettre à nu, les mettre à vif… C’est jouissif, tu peux pas t’imaginer.
— Non, je ne peux pas, confirme Gomez. Je ne suis pas assez fou pour ça.
— Moi non plus, je ne suis pas assez fou, regrette Barthélemy. J’aime la folie. Elle m’attire, irrésistiblement. La normalité est si triste, si prévisible. Si banale ! La folie, c’est la porte ouverte sur de nouveaux mondes. Des univers si riches que notre imagination n’est pas assez fertile pour les concevoir. Sauf si on est fou !
Quentin fait une courte pause, comme pour méditer ses propres paroles.
— Fou, je le suis. Mais un peu, seulement. Parfois, seulement. Malheureusement…
— J’ai un scoop pour toi, rétorque le commandant. Tu es fou, à lier. Tu es barge, dingue, cinglé, barré, taré ! Complètement, et tout le temps.
Quentin ne semble pas l’avoir entendu, il poursuit son monologue.
— Grâce à moi, ces filles explorent de nouveaux mondes, vivent de nouvelles expériences. Grâce à moi, elles connaissent enfin autre chose que le désespoir d’une vie insignifiante, parfois bancale, souvent morose. Je suis leur sauveur…
L’infirmier s’éloigne à nouveau, marchant dans le salon, mains sur les hanches.
— Cloé est une cible de choix. C’est une dure à cuire ! Mais elle a un potentiel énorme… Grâce à ce que Carole me racontait, j’ai compris rapidement que Cloé avait des tendances paranoïaques, ce qui m’a grandement facilité la tâche.
Cloé… qu’est-elle en train de faire ? se demande soudain Alexandre. Il l’imagine, dans son tailleur noir. Belle à se damner. Belle à se condamner.
Mourir pour elle, il s’y croyait prêt. Mais finalement, il préférerait vivre. Avec elle.
À cet instant, il en ressent l’envie. Une envie folle, même. À cet instant, Alexandre est prêt à toutes les promesses. Sans doute parce qu’il ne lui reste plus assez de temps pour les tenir.
Quentin se rassoit avant de poursuivre sa confession.
— Tu te demandes sans doute comment j’ai pu accomplir tout ça, poulet… C’est simple, tu vas voir. D’abord, j’ai fait un double des clefs de chez elle. Cloé a une femme de ménage très organisée : elle écrit le nom de ses clients sur chaque trousseau et les suspend dans un meuble de l’entrée. Tu vois, Alex, c’est là que tu as fauté, que tu n’as pas été à la hauteur… Si tu avais fouillé du côté de Fabienne, tu m’aurais démasqué beaucoup plus vite. Tu aurais vu que je me la tapais aussi ! Ceci dit, j’ai de la chance : elle est mignonne et bien plus drôle que Carole. Et elle s’ennuie à mourir avec son mari. Bref, j’ai subtilisé le trousseau, j’ai fait un double et je l’ai remis à sa place. Et chaque fois que Cloé a changé les verrous, j’ai recommencé l’opération. Un jeu d’enfant !
Alexandre réalise à quel point Cloé s’est montrée imprudente en lui désobéissant. À quel point lui-même a été négligent. Éplucher la vie de Fabienne faisait partie de ses projets. Alors que ça aurait dû être sa priorité. Si seulement il avait eu le temps et les moyens… Si seulement Maillard avait daigné l’écouter.
Si seulement je m’étais montré plus persuasif.
— Ensuite, je me suis introduit chez Cloé et j’ai posé quelques petits mouchards. Un micro par-ci par-là. Attention, c’est du beau matos, pas de la merde… Quand on veut réussir, il faut savoir investir. Dommage que tu ne les aies pas trouvés, hein Alex ? Faut dire que j’avais pris tout mon temps pour les planquer et qu’il t’aurait fallu plus qu’une simple fouille pour mettre la main dessus… J’ai aussi placé un traceur sur la bagnole de Cloé. C’est incroyable ce qu’on peut acheter sur le Net, aujourd’hui !
Le flic ferme les yeux. Il a envie de s’endormir, résiste autant qu’il peut. Quentin décide de l’aider en lui filant une nouvelle gifle.
— Eh ! Reste avec moi, le héros ! Tu veux pas connaître la suite ?
Gomez relève la tête.
— Bien… Donc, j’ai posé des micros un peu partout. Si tu savais tout ce que j’ai entendu ! Je vais même te confier un truc : elle criait bien plus fort avec Bertrand qu’avec toi.
Le visage d’Alexandre se contracte imperceptiblement. Il donnerait cher pour le pulvériser. L’écraser entre ses mains comme un fruit mûr.
— Mais je ne voulais pas te faire de peine, mon vieux.
— Moi, au moins, j’ai pas été obligé de l’agresser pour qu’elle remarque que j’existe, riposte le commandant. Je n’ai pas eu le moindre effort à faire.
— Allons, sourit Quentin, ne sois pas de mauvaise foi. Elle t’a remarqué uniquement parce qu’elle avait besoin de toi. Parce qu’elle avait la trouille. Uniquement parce que je lui faisais peur. Réveille-toi : cette garce s’est servie de toi, t’es pas du tout son genre ! Sans mon intervention, elle ne t’aurait jamais regardé.
Gomez va pour répondre, mais il sent bien qu’il parle dans le vide.
— Comme les micros ne suffisaient pas, poursuit l’infirmier, j’ai installé des caméras miniatures, à des endroits stratégiques. C’est de cette façon que je peux entrer en étant sûr qu’elle dort. Malin, non ? Et puis je peux l’admirer à loisir. C’est vrai qu’elle est belle. Un vrai régal pour les yeux…
Alexandre n’en revient pas. Comment a-t-il pu passer à côté de ça ?
— Et puis ensuite, je me suis amusé à mon jeu favori… Lui donner l’impression qu’elle perdait la raison.
Quentin allume une cigarette, narguant le commandant. Lui balançant la fumée directement dans les yeux.
Ces yeux qui n’ont rien vu. Ces yeux qui s’ouvrent, bien trop tard.
— Le Ya Ba, ça te parle ?
— Métamphétamine, répond machinalement Gomez.
— Bravo, tu as bien appris ta leçon ! C’est ce que j’ai mis dans ses pilules pour le cœur. J’ai remplacé ses médocs par cette merde. À faible dose, tu peux pas savoir comme le crystal accentue la paranoïa ! Notre petite princesse est devenue complètement accro. Et puis, elle a pris d’autres cames, aussi, en croyant avaler des somnifères ou des calmants. J’ai testé différents trucs, pour voir ce que ça donnait. Pour la déstabiliser encore plus. Up and down … Et elle continue, chaque jour, à se shooter sans même le savoir.
— Salopard ! rugit le flic.
— Tu devrais plutôt admirer mon intelligence, s’indigne Barthélemy.
— T’es pas intelligent, seulement gravement malade !
Quentin se contente de sourire et écrase sa cigarette dans le cendrier déjà plein. Il récupère ensuite le mégot éteint, le fourre dans la poche de son pantalon.
— Tu veux que je te raconte la suite, maintenant ?
— Ce que je veux, c’est t’exploser la gueule !
— La cervelle, rectifie Quentin. C’est la cervelle que je vais t’exploser.
Alexandre déglutit bruyamment.
— T’as les foies, le héros ? chuchote l’infirmier.
— Peut-être bien, avoue Gomez.
— Je comprends. Et crois bien que je suis désolé d’avoir à te faire ça.
— Eh bien ne le fais pas, alors ! De toute façon, je n’ai rien contre toi… Tu risques que dalle !
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