Karine Giébel - Juste une ombre

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Tu te croyais forte. Invincible. Installée sur ton piédestal, tu imaginais pouvoir régenter le monde.
Tu manipules ? Tu deviendras une proie.
Tu domines ? Tu deviendras une esclave.
Tu mènes une vie normale, banale, plutôt enviable. Tu as su t’imposer dans ce monde, y trouver ta place.
Et puis un jour…
Un jour, tu te retournes et tu vois une ombre derrière toi.
À partir de ce jour-là, elle te poursuit. Sans relâche.
Juste une ombre.
Sans visage, sans nom, sans mobile déclaré.
On te suit dans la rue, on ouvre ton courrier, on ferme tes fenêtres.
On t’observe jusque dans les moments les plus intimes.
Les flics te conseillent d’aller consulter un psychiatre. Tes amis s’écartent de toi.
Personne ne te comprend, personne ne peut t’aider. Tu es seule.
Et l’ombre est toujours là. Dans ta vie, dans ton dos.
Ou seulement dans ta tête ?
Le temps que tu comprennes, il sera peut-être trop tard…
Tu commandes ? Apprends l’obéissance.
Tu méprises ? Apprends le respect.
Tu veux vivre ? Meurs en silence…
Karine Giébel a reçu le Prix Marseillais du Polar en 2005 pour
, son premier roman ; le prix Intramuros, le prix Polar SNCF et le prix Derrière les murs pour
.
Meurtres pour rédemption Ses livres sont traduits dans plusieurs pays, et, pour certains, en cours d’adaptation audiovisuelle.
Juste une ombre

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Il ramasse ses vêtements, se dirige vers la salle de bains. Carole le suit, continuant à lui parler tandis qu’il prend sa douche.

— Qu’est-ce que je peux faire pour elle, à ton avis ? demande-t-elle.

— Hein ? J’entends rien !

Carole répète sa question, tout en laissant son regard profiter encore un peu de ce corps dont elle devient dépendante, chaque jour un peu plus.

— Il faudrait qu’elle aille consulter un psy, répond Quentin. Un bon, si possible. Je peux t’en indiquer un, si tu veux. Mais le plus dur, ce sera de la persuader d’y aller. Si elle n’a pas conscience de son problème, elle refusera.

Quentin sort du bac à douche, Carole lui tend une serviette.

— Merci… C’est ta meilleure amie, tu devrais pouvoir la convaincre, non ?

— J’ai déjà essayé, mais elle campe sur ses positions. Je suis même sûre que c’est pour ça que Bertrand l’a plaquée.

— Possible. Il a peut-être eu la frousse.

Il enlace Carole, l’embrasse dans le cou. Elle ferme les yeux, rêvant d’une prolongation.

— Toi, tu ne me laisseras pas tomber, hein ? murmure-t-elle.

— Jamais… Mais là, faut vraiment que j’y aille. Mes charmants malades m’attendent !

— Ils ont de la chance !

Il la regarde, interloqué.

— De la chance ? D’être internés dans un hôpital psychiatrique ?

— De t’avoir près d’eux toute une nuit…

Sera-t-il là ?

Dans l’ombre, sans aucun doute. À épier le moindre de ses mouvements.

Cloé désire pourtant une confrontation. Elle a envie que le chasseur se montre. Même si le duel final lui sera certainement fatal.

Cette envie est plus forte que la peur de l’avoir en face ou celle de succomber à la rencontre.

Elle ne supporte plus qu’il l’observe à son insu, à l’abri des ténèbres. Elle veut plonger ses yeux dans les siens. L’affronter, enfin.

Un ennemi de chair et de sang, avec un visage, une peau. Une voix et une odeur.

Alors qu’elle ne l’a jamais réellement vu, ils sont presque devenus familiers. Affreusement familiers. Liens étranges qui se tissent entre la victime et son bourreau.

Cloé coupe le contact et saisit le P38. Elle le glisse dans son sac avant de descendre. Le lampadaire est encore en panne, la rue baigne dans une inquiétante semi-pénombre.

Tout est devenu inquiétant, désormais. La moindre parcelle d’obscurité, le jour qui se lève sur l’inconnu, le plus insignifiant des bruits… Tel est le quotidien du gibier. Être une cible avant même d’être une personne. Se posant une question terrifiante entre toutes : comment me tuera-t-il ? Lentement ? Rapidement ?

Interminable agonie ou mort subite ?

Visiblement, il aime prendre son temps. Ce qui laisse présager le pire…

Cloé se dépêche de rentrer. Elle scrute le jardin, plonge une main dans son sac. Ses doigts se posent sur la crosse en métal. Rassurante.

Doucement, elle avance vers le perron. Malgré le froid humide, elle a l’impression de se consumer de l’intérieur. Elle s’instille une dose de courage. Même s’il est venu pendant son absence, il est déjà reparti. Envolé depuis longtemps.

Mais alors qu’elle pose son pied sur la première marche, elle le voit.

Pendant un quart de seconde, elle se demande s’il est vraiment là ou si elle a des visions.

Assis sur la rambarde en pierre, près de la porte, l’inconnu se lève. Il est immense, habillé en noir.

— Bonsoir, dit-il d’une voix caverneuse.

Chapitre 33

Cloé a l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre, elle suffoque.

Moment tant attendu, tant redouté.

Elle devine à peine son visage. Mais la faible lumière de la rue éclaire ses yeux. Terrifiants.

Règle numéro quatre : tirer à vue. Tirer pour tuer .

L’homme descend une marche, Cloé brandit le P38 devant elle.

Il se fige instantanément.

— Du calme !… Je m’appelle Alexandre Gomez, je suis officier de police. Lâchez immédiatement votre arme.

Tandis qu’il parle, il esquisse un simple mouvement du bras pour attraper quelque chose dans son blouson. Un flash aveuglant explose dans la tête de Cloé.

Tirer à vue. Tirer pour tuer .

Lui ou moi.

Elle appuie sur la détente. Mais rien ne se passe.

Gomez dévale les marches et, sans que Cloé ait le temps de comprendre comment, il s’empare du flingue.

— Vous êtes dingue ou quoi ?! hurle-t-il. Je vous dis que je suis de la police !

Il glisse le P38 dans la ceinture de son jean, lui colle sa carte professionnelle sous le nez. Cloé entrevoit les trois bandes.

Trois couleurs.

Bleu, blanc, rouge.

Trois mots.

Arrestation, jugement, prison.

Elle vient d’essayer de descendre un flic, va sûrement s’évanouir.

— Je vous attendais, ajoute Alexandre en rangeant sa carte dans la poche intérieure de son blouson. Et comme y a pas de portail, je me suis permis d’entrer.

Cloé demeure muette, complètement pétrifiée.

J’ai failli tuer un policier. J’ai sorti une arme devant lui, je suis foutue.

— J’aimerais vous parler, continue le commandant. On pourrait aller à l’intérieur ?

Comme elle n’a aucune réaction, il la saisit par le bras, l’escorte jusqu’à la porte d’entrée.

— Ouvrez, s’il vous plaît.

Il lui arrache les clefs des mains et se résout à la pousser à l’intérieur. Quand la porte claque dans son dos, Cloé sursaute. La poigne se referme à nouveau sur son bras, Gomez la conduit jusqu’au salon, tâtonne pour trouver l’interrupteur et l’assoit de force sur le canapé. Elle ressemble à une poupée de cire, sans réaction.

Sous le choc.

Alexandre essaie quelques portes avant de trouver la bonne ; celle du bar. Il prend un verre, y verse un doigt d’Otard 1795.

— Buvez, je crois que vous avez besoin d’un remontant !

Elle obéit, une vague de chaleur la submerge.

Gomez pose le P38 sur la table basse, s’installe dans le fauteuil en face d’elle.

— Ça va mieux ? Vous n’allez pas faire un malaise, au moins ?

— J’ai failli vous tuer, murmure Cloé.

— Aucun risque ! répond le flic avec un sourire moqueur. Il faut armer avant de tirer. Heureusement pour moi que vous ne savez pas vous servir d’un calibre.

Son sourire s’efface aussi vite qu’il est apparu. Il se penche légèrement vers l’avant, comme pour lui enfoncer chaque mot profondément dans le crâne.

— Sinon, j’étais mort.

— Je sais qu’il faut armer. J’ai juste oublié, j’ai paniqué… Vous allez m’arrêter ?

Il hausse les épaules, détaille le décor qui l’entoure.

— Ça se pourrait bien, répond-il de manière désinvolte. J’ai de quoi vous envoyer en taule pour un bout de temps.

Cloé a de nouveau l’impression de défaillir. Rien qu’à l’idée de finir en prison.

— Je croyais que c’était… lui.

— Je m’en doute. Et c’est justement de lui que je suis venu vous parler.

Il la fixe à nouveau de ses yeux de dément. Qui ressemblent à des mâchoires puissantes prêtes à la déchiqueter.

— Désolé de vous avoir effrayée, mademoiselle. Ce n’était pas mon intention.

Avec des gestes rapides et précis, il décharge le P38, enfourne les munitions dans sa poche.

— Vous en avez d’autres ?… Des chargeurs, vous en avez d’autres ?

Cloé hésite une seconde.

— Non, prétend-elle. Cette arme est ancienne, il n’y avait qu’un seul chargeur.

Il insiste, ne la quitte pas des yeux.

— Je peux fouiller la maison, vous savez. Alors, il vaudrait mieux me dire la vérité.

Sa voix regorge de menaces, les flammes continuent de brûler Cloé de l’intérieur. Pourtant, elle persiste et signe. Au point où elle en est… Tentative de meurtre sur un flic.

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