— Je vous dis la vérité.
— OK, admet Alexandre en se calant au fond du fauteuil. Racontez-moi tout, depuis le début. J’ai lu les deux mains courantes, mais je veux les détails.
— Vous vous intéressez à mon affaire ? s’étonne-t-elle.
— Pourquoi croyez-vous que je suis ici ? rétorque Gomez avec un autre de ses sourires sardoniques. Pour prendre l’apéro ?
— Mais le flic… policier…
— Vous pouvez dire flic , ce n’est pas une insulte, s’amuse Alexandre.
— Le policier qui m’a reçue m’a dit qu’il ne pouvait pas ouvrir d’enquête.
— C’est à moi d’en décider. Alors racontez-moi, d’accord ?
Cloé hoche la tête, avale une gorgée de cognac supplémentaire pour se donner du courage. Ce type l’impressionne. Son regard est tellement dérangeant qu’elle ne parvient pas à le fixer. Alors, elle baisse les yeux. Les mots peinent à venir, son interlocuteur reste de marbre. Aucun signe d’impatience de sa part.
— Comment ça a commencé ? À quel moment ? demande-t-il pour l’encourager.
— Il m’a suivie dans la rue, un soir…
Elle repart en arrière pour un éprouvant flash-back. Ne s’arrête alors plus de parler. Elle lève la tête de temps en temps, la rebaisse aussitôt.
Des semaines d’angoisse, la peur au ventre. Elle n’omet aucun détail, pas même sa rupture avec Bertrand. Pas même sa tentative de suicide.
On dirait qu’elle soliloque face à un rempart. Pourtant, elle sent qu’il l’écoute. Même s’il ne prend aucune note, il enregistre chaque mot, chaque geste.
Enfin, sa longue confession se termine. Le silence qui suit dure plusieurs minutes. À en devenir gênant.
— Vous êtes folle ? interroge soudain Gomez.
Cloé redresse la tête.
— Pardon ?
— Je vous demande si vous êtes folle, répète calmement Alexandre.
Il voit le visage de la jeune femme se transformer pour devenir d’une incroyable dureté. Elle reprend des forces à une vitesse prodigieuse.
— Vous ne me croyez pas, c’est ça ? Vous pensez juste que je suis dingue ?
— Pas de digression. Contentez-vous de répondre à ma question, je vous prie.
Elle est sur le point d’exploser. De le sortir manu militari de chez elle.
— Non, je ne suis pas folle ! s’écrie-t-elle en bondissant du canapé.
Elle marche de long en large, sentant les yeux qui collent à sa peau. À son âme.
— Je ne suis pas cinglée, merde ! Ce type existe vraiment ! Et je commence à en avoir marre de perdre mon temps avec des flics qui ne sont pas capables de comprendre que je suis en danger !
Elle attend une réplique qui ne vient pas, Gomez demeurant impassible.
— Ce type veut ma peau, vous m’entendez ? martèle Cloé. Il veut me tuer, ou pire !
Toujours rien en face. Alors Cloé bascule définitivement dans la colère.
— Vous n’êtes qu’une bande d’incapables !… Sortez d’ici !
Il ne bouge pas d’un millimètre, continue simplement à détailler chacun de ses gestes.
La colère de Cloé retombe d’elle-même, elle se rassoit en face de lui.
— J’en sais rien, murmure-t-elle. Peut-être bien que je suis cinglée après tout…
Nouveau sourire de Gomez. Mais sans ironie, cette fois. Un sourire, un vrai.
— Je vous crois, dit-il. Je pense que ce type existe et qu’il vous veut du mal.
Elle le considère avec stupeur, cherchant à quel jeu il joue.
— Pourquoi m’avoir demandé si j’étais folle, alors ?
— Pour savoir si vous l’étiez. Mais le fait que vous envisagiez la possibilité d’avoir tout imaginé prouve que vous êtes saine d’esprit. Autant qu’on peut l’être, en tout cas.
En signe d’agacement, elle a un léger mouvement de tête que Gomez trouve terriblement sexy.
— Vous avez de drôles de méthodes !
— Bon, j’ai quelques questions à vous poser.
— Allons-y… Vous voulez un verre ?
— Volontiers, répond Alexandre.
Cloé se dirige vers le bar, il la suit des yeux encore et toujours. Comme s’il la sondait en profondeur. Elle ressemble étrangement à Sophie, tout en étant très différente d’elle.
— Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ?
— Whisky. Sans glace.
— Je croyais que les flics ne buvaient jamais pendant le service.
— Et que les poules avaient des dents ?
Tandis qu’elle le sert, il allume une clope sans même demander la permission. Cloé pose devant lui un cendrier en cristal et le single malt.
— Merci, mademoiselle Beauchamp.
Elle se réinstalle en face de lui, tente de supporter son regard. Incroyable qu’il soit si difficile à soutenir.
— Qui possède les clefs de chez vous depuis que vous avez changé les serrures ?
— Fabienne, ma femme de ménage. Et Bertrand, mon ex.
— Vous offrez vos clefs comme cadeau d’anniversaire ou quoi ?
Piquée au vif, Cloé répond du tac au tac.
— Ma femme de ménage, ça me paraît logique.
— Admettons. Et votre ex ?
— C’était pour lui faire comprendre qu’il était ici chez lui.
— Vous ne les lui avez pas reprises lorsqu’il vous a larguée ? s’étonne Alexandre.
Larguée … Un mot blessant. Ce type n’a aucune délicatesse. Pourtant, Cloé a compris qu’il a de la finesse.
— Non, avoue-t-elle. Je pensais qu’on se remettrait ensemble.
— Hum… Curieux qu’il ne vous les ait pas rendues.
— Il n’a rien à voir là-dedans.
— Vraiment ? Comment pouvez-vous en être aussi sûre ?
Elle ne trouve pas de réponse acceptable pour un flic.
— Je le sais, c’est tout.
— Vous savez que dalle, Cloé. Mais vous êtes du genre à croire que vous savez tout.
Il ne va pas tarder à la faire sortir de ses gonds à nouveau. Elle se contient, tant bien que mal. Partagée entre l’envie de mordre et celle de se réfugier dans ses bras.
Ce type sera son sauveur, elle le sait.
— Je dois récupérer les clefs, c’est ça ?
— Trop tard. Il a eu le temps de faire un double. Ce qu’il faut, c’est changer les serrures une nouvelle fois et ne plus distribuer vos clefs à tort et à travers… Autrement dit, ne plus les donner à qui que ce soit.
— La femme de ménage, il faut bien…
— À personne, c’est compris ? Démerdez-vous autrement.
— D’accord, concède Cloé en envisageant exactement le contraire.
Comment faire comprendre à ce flic buté que Fabienne n’a pas le don de passer au travers des portes et qu’il est hors de question qu’elle officie le soir ou le week-end ?
— Je vais aller questionner les voisins, reprend Alexandre.
— C’est obligatoire ? l’interrompt la jeune femme.
— Il faut que je sache s’ils ont vu quelqu’un entrer chez vous pendant votre absence.
— Et vous allez relever les empreintes digitales ? Il a dû toucher des tas de trucs, ici.
— Ce type m’a l’air d’être tout sauf un idiot. Alors ça m’étonnerait qu’il ait laissé sa carte de visite.
— Mais…
— Les gants, c’est pas fait pour les chiens, tranche le commandant. Inutile de perdre notre temps.
Gomez allume une nouvelle cigarette. Cloé se retient d’aller ouvrir la fenêtre.
— Donnez-moi le reçu de carte bleue, celui des courses.
— Je ne l’ai plus. Je l’ai sorti de mon sac quand j’étais chez Bertrand, pour le lui montrer. Et je l’ai oublié là-bas.
— Demandez-lui de vous le rapporter, ça pourrait m’être utile… Et maintenant, parlez-moi un peu de votre ex. Votre ex-mari, je veux dire.
Il sent que la simple évocation de cet homme la met profondément mal à l’aise. Ce n’est pas pour lui déplaire. Il a envie de la bousculer pour la faire chuter de son piédestal.
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