Mais dans le monde qui est le sien, personne n’est à même de lui fournir pareille marchandise.
Assise sur son sofa, elle réfléchit. Qui, dans son entourage, serait susceptible de lui indiquer la marche à suivre ?
Il suffit peut-être de se rendre chez un armurier ? Elle n’y connaît rien, mais suppose qu’il faut posséder un permis ou quelque chose dans le genre. Après quelques recherches sur le Net, elle comprend que le seul calibre qu’elle peut s’acheter trônera fièrement dans les rayons d’un magasin de jouets.
Et si elle optait pour une bombe lacrymo ? Pas aussi dissuasive qu’un AK 47, mais mieux que rien.
Elle pourrait ajouter à cet attirail un club de golf dans la voiture, un autre derrière sa porte d’entrée, un troisième dans sa chambre.
Ça, elle sait comment se les procurer. Dans le monde qui est le sien, c’est beaucoup plus facile d’emprunter des clubs de golf que des revolvers. Question de niveau social.
Puisque les flics ne veulent pas s’intéresser à son cas, elle se défendra par elle-même.
Elle n’est pas femme à se laisser attaquer sans réagir. La prochaine fois que ce taré se manifeste, Cloé promet de ne pas s’évanouir, de le laisser approcher et de lui asperger le visage de gaz paralysant avant de lui fendre le crâne en deux.
Forte de ces bonnes résolutions, elle décide de s’offrir un peu de repos. Elle laisse un message à Bertrand, l’invitant à venir dîner chez elle, et vérifie par deux fois que portes et fenêtres sont bien verrouillées.
Dans la chambre, elle vire ses vêtements et se glisse sous la couette. Elle n’a pas vraiment sommeil mais sait qu’elle doit récupérer. Lundi, il lui faudra être d’attaque pour avaler tous les dossiers en souffrance. Ne pas décevoir le Vieux, si elle veut réaliser ses desseins.
Être à la hauteur de ses ambitions, toujours.
Ses yeux refusant de se fermer, elle attrape un tube de somnifères dans le tiroir du chevet, en avale un.
Au bout de dix minutes, elle en prend un second.
Un rire d’enfant. Pur et cristallin. Et juste après, un hurlement terrifiant, un corps qui tombe dans le vide et s’écrase à ses pieds.
Cloé ouvre les paupières, il fait nuit noire. Elle consulte son réveil, constate qu’il est déjà 19 h 30. Combien de temps a-t-elle dormi ? Elle ne se souvient plus de l’heure à laquelle elle s’est couchée. Ne se souvient même plus pourquoi elle n’est pas au bureau. Y est-elle seulement allée, aujourd’hui ? Affreux mélange, dans sa tête.
Son portable sonne, ça lui fait l’effet d’un électrochoc. Elle lit le texto en plissant les yeux. Tout est si flou…
Bertrand, qui lui écrit qu’il est d’accord pour venir dîner ce soir.
Elle l’a invitée ? Sans doute… Aimerait seulement s’en souvenir.
Cloé tente de sortir de son état second. Assise sur le rebord du lit, elle prend sa tête entre ses mains et nage à contre-courant.
— Saletés de somnifères !
Les images de son rêve défilent encore dans son cerveau, signe qu’elle n’est pas tout à fait réveillée.
Ce hurlement terrifiant, ce corps qui bascule dans le vide et s’écrase à ses pieds.
Si seulement ce n’était qu’un cauchemar. Si seulement…
Elle se lève, titube un peu.
Heureusement, Bertrand n’arrivera pas avant 21 heures.
Elle passe brièvement sous la douche et s’habille en vitesse. Le brouillard se dissipant un peu dans son crâne, elle se souvient brusquement que son frigo est vide. Complètement vide.
— Et merde !
Elle ne se sent pas d’attaque pour affronter la foule d’un supermarché, décide de se fournir chez le traiteur du coin. Dans la cuisine, elle s’appuie au plan de travail. Difficile encore de tenir debout. Un verre d’eau froide l’aidera peut-être à émerger. Quoiqu’à ce stade, c’est un seau d’eau glacée qu’il faudrait.
Elle ouvre son réfrigérateur, prend la bouteille et attrape un verre dans le placard.
Et soudain, elle se fige.
— Non, c’est pas possible…
Elle rouvre le frigo. Il est plein à ras bord.
Cloé a réussi à revenir d’entre les morts. Il a fallu une deuxième douche, presque froide, trois tasses de café et une bonne heure. Elle s’est juré d’éviter les somnifères, dorénavant.
— C’était délicieux, complimente Bertrand.
Il est très élégant ce soir. Cloé le trouve particulièrement beau. Chaque jour un peu plus séduisant.
— Il faut que je te dise quelque chose, annonce-t-elle.
Elle prend une profonde inspiration, se lance.
— Il est venu ici.
Le visage de Bertrand se transforme. La colère germe au fond de ses fascinants yeux clairs.
— Tu vas pas recommencer, non ? On est bien, tranquilles, tous les deux…
— Je te dis qu’il est entré chez moi.
Bertrand soupire. Elle voit bien qu’il fait son possible pour rester calme.
— Comment le sais-tu ? demande-t-il.
— Le frigo…
— Quoi, il y a ses empreintes dessus ? ricane Bertrand.
— Ne te fous pas de moi, ordonne Cloé. Il était vide ce matin. Et il est plein ce soir.
Bertrand fronce les sourcils. Puis soudain, il se met à rire.
— Tu me fais marcher !
— Non, je ne plaisante pas. Je te dis que le frigo s’est rempli pendant mon absence.
Il redevient sérieux.
— Tu m’inquiètes, Clo.
Elle tripote sa serviette, tente de trouver les mots pour le convaincre.
— Il est entré ici et a rempli le frigo.
— Arrête de dire n’importe quoi !
Brusquement, il la fixe avec un regard qui a quelque chose de cruel.
— Au secours ! lance-t-il d’une voix haut perchée. Un homme me veut du mal ! Il a fait les courses et a rempli mon frigo ! Mais que fait la police ?!
Cloé sent les larmes monter jusqu’à ses yeux, tente de les refouler.
— Ne parle pas comme ça, murmure-t-elle. Je ne suis pas folle.
Il change de registre.
— Je sais que tu n’es pas folle, ma chérie. Mais tu as un problème.
— Oui, j’ai un problème. Quelqu’un veut me rendre dingue. Et personne ne me croit.
— Il y a forcément une explication. C’est ta femme de ménage qui a dû faire les courses.
— Impossible. Elle ne vient jamais le vendredi et ne fait jamais les courses.
— Alors c’est toi.
Elle le considère avec incompréhension.
— Mais enfin, si j’avais acheté de la bouffe, je m’en souviendrais !
— C’est bien ça, le problème, conclut Bertrand. Je crois que tu devrais aller consulter un médecin. Un neurologue.
— Un neurologue ? répète Cloé avec effroi.
— Oui. Peut-être que l’autre fois, lorsque tu es tombée dans le garage, le choc à la tête…
— Non ! s’écrie Cloé. Je vais bien !
Il prend sa main dans la sienne, se fait plus tendre.
— Non, tu ne vas pas bien, je t’assure. Tu as des réactions bizarres. Tu me fais peur.
— Je te dis qu’il est venu ! C’est lui, j’en suis sûre !
Bertrand l’oblige à se lever.
— Viens avec moi, ordonne-t-il.
Il l’escorte jusqu’à la cuisine, ouvre le frigo.
— Effectivement, il est bien garni, constate-t-il. Ce qu’il y a dans ce frigo, c’est ce que tu as l’habitude d’acheter, oui ou non ?
Elle jette un œil aux victuailles, ne répond pas. Une peur, encore pire que celles des derniers jours, s’insinue doucement en elle.
Bertrand prend un pack de yaourts, le lui colle sous le nez.
— C’est bien cette marque que tu préfères, non ?
— Oui…
Il remet les yaourts au frais, attrape un paquet de jambon à la coupe, regarde l’étiquette.
— Où fais-tu tes courses ?
— Au Casino.
— Acheté au Casino, dit-il en lui montrant l’étiquette.
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