Cloé serre les mâchoires. Ce type est en train de se moquer d’elle ouvertement.
— Et le cercueil sur ma voiture ?
Il hausse les épaules.
— Une connerie de gamin ou un voisin indélicat.
— Je suis en danger de mort et vous ne me croyez pas ? s’emporte Cloé.
— Écoutez, madame, j’aimerais vous aider, mais franchement, je ne vois pas comment ! Vous me parlez d’un homme que vous n’avez jamais vu clairement, mais seulement vaguement aperçu. Vous me parlez de faits invérifiables. S’il y avait eu des coups de téléphone ou des lettres anonymes, je veux bien. Mais là…
— Je vous dis que quelqu’un veut ma peau ! martèle Cloé d’une voix glaciale. Et vous devez m’aider.
Nouveau soupir du lieutenant. Il jette un œil à la pendule accrochée au mur.
— Qui pourrait bien avoir envie de vous faire du mal ? demande-t-il à contrecœur. Vous avez un suspect à me proposer ?
— Eh bien… Mon ex-mari, peut-être. Je l’ai envoyé en prison.
Le flic semble soudain légèrement intéressé.
— Il était extrêmement jaloux et possessif. Il… Il me frappait. J’ai fini par porter plainte contre lui, le jour où j’ai été hospitalisée. Il a été condamné à six mois de prison, dont quatre avec sursis. Il s’appelle Christophe Dario.
Le lieutenant prend note.
— Où est-il, désormais ?
— Aucune idée. Nous avons divorcé, je n’ai plus jamais eu de ses nouvelles.
— Il ne vous verse pas de prestation compensatoire ? s’étonne le policier.
— Non, je gagne bien plus que lui, explique Cloé avec un sourire cynique.
— Je vois… Et donc, vous pensez qu’il veut se venger, si je comprends bien.
— Peut-être.
Le flic soupire à nouveau. Ça semble être une habitude chez lui. Un tic, peut-être. Ou le poids des plaintes qu’il encaisse à longueur de journée.
— D’autres suspects ?
— Il y a Philip Martins, l’autre directeur adjoint de l’agence où je travaille.
Cloé lui explique leur rivalité, le départ du président qui approche. Son interlocuteur fronce les sourcils.
— Vous y allez un peu fort. Si tous les collègues de travail en compétition pour un poste se mettaient à…
— Bon, vous prenez ma plainte ?
— Une plainte contre qui ?
Elle lève les yeux au ciel.
— Contre X, bien sûr !
— Désolé, madame, mais ça ne va pas être possible. Il n’y a rien de solide permettant de recevoir votre plainte et d’ouvrir une enquête. Il me faut des éléments tangibles, des constatations. Il n’y a eu ni agression, ni violation de domicile. Vous n’avez reçu aucune menace verbale ou écrite…
— Vous allez attendre que je sois morte pour réagir ?
— Ne soyez pas si pessimiste ! ricane le flic. Ce n’est pas parce qu’un type vous a suivie une fois ou deux dans la rue… Il est peut-être amoureux de vous, tout simplement !
— Et mon ex-mari ?
— Vous l’auriez reconnu, si c’était lui. Même avec une capuche sur la tête ! Allons, soyons sérieux, madame… Une main courante, c’est vraiment tout ce que je peux faire pour vous. Si ça se précise, si vous recevez de véritables menaces, revenez nous voir.
Cloé le fusille du regard.
— N’oubliez pas de reprendre votre… oiseau congelé. Nous avons autre chose à faire que courir après une ombre.
Il n’a pas eu le choix. Ils étaient trop nombreux, armés d’une fausse compassion mais d’une véritable seringue.
Le corps de Sophie est parti pour la morgue.
Tandis que lui reste là, prisonnier de cette chambre vide. Au milieu d’un champ de ruines.
Il a récupéré son arme de service que Martine avait rangée dans un placard, la tient au chaud dans sa main droite.
J’ai besoin que tu me promettes, Alexandre…
Il est des promesses impossibles à tenir, mon amour. Je sais qu’en me tirant une balle je ne te rejoindrai pas. Ce serait trop facile, trop beau. S’il existait, cet endroit où l’on peut se retrouver, je n’aurais qu’à attendre.
Je sais qu’en appuyant sur la détente je te perdrai à jamais, mon amour.
Mais au moins, j’oublierai.
La désagréable sensation d’avoir avalé un serpent venimeux. Qui remue dans ses tripes.
D’être branchée sur du 220 et de recevoir une décharge toutes les trente secondes.
Cloé ne parvient pas à se calmer.
Il y a la peur qui la submerge par vagues répétitives.
Il y a l’impression d’avoir une cible gravée sur le front. D’être une proie. Facile.
Il y a l’impuissance. Et ce terrible sentiment de solitude.
Personne ne la croit. Personne ne la prend au sérieux. Tandis que l’Ombre attend son heure, le moment propice.
Elle est arrivée à l’Agence en fin de matinée après avoir perdu son temps au commissariat. Deux heures à patienter pour finalement se faire humilier par un simple flic.
Un incapable, oui ! Tu veux des éléments tangibles ? Je te promets de faire livrer mon cadavre encore chaud dans ton bureau !
Cloé sort de sa poche le papier avec les mystérieuses coordonnées trouvées dans le bureau de Philip Martins. Victor Brugman, 06.39.63 …
Elle décide de tenter sa chance. Elle compose le numéro sur son portable, ferme la porte de sa tanière plongée dans la pénombre. Elle a descendu les stores, pour éviter que l’autre ne la surveille avec ses jumelles. Car il est encore là, elle en est sûre. À l’épier sans relâche.
Au bout de la troisième sonnerie, une voix masculine lui répond.
— Monsieur Brugman ?
— Lui-même…
— Pardonnez-moi de vous déranger. Je vous appelle de la part de Philip Martins. C’est lui qui m’a donné votre numéro de portable.
Court silence à l’autre bout.
— Je vous écoute, madame… Madame ?
Cloé invente un nom à la va-vite.
— Voilà, j’aurais besoin de vos services moi aussi.
— Bien sûr, pourquoi pas. Quelle somme souhaitez-vous investir ?
— Quelle somme ? répète bêtement Cloé. Je paierai le prix qu’il faudra.
Encore un blanc. Plus long que le premier.
— Vous avez un budget illimité, c’est parfait ! Mais que cherchez-vous, exactement ?
— La même chose que Martins. Que vous vous occupiez de quelqu’un pour moi.
— Vraiment ? Et que je m’en occupe de quelle façon ?
Cloé a la sensation de s’enfoncer dans des sables mouvants.
— Je veux que vous lui fassiez peur.
L’homme se met à rire.
— Écoutez, madame, je crois vraiment qu’il y a un malentendu. Un gros malentendu ! Vous savez, je ne suis qu’un simple agent immobilier. Je peux faire peur, surtout quand j’annonce un prix… mais ce n’est pas ma spécialité !
Cloé ferme les yeux et raccroche sans la moindre excuse.
— Merde !
Encore une voie sans issue. Heureusement qu’elle a appelé en numéro caché.
Elle consulte sa montre. L’après-midi ne fait que commencer, mais elle se demande soudain ce qu’elle fait là. Elle n’a pas réussi à se concentrer aujourd’hui. Les dossiers s’amoncellent devant elle, comme autant de montagnes à gravir. Elle, d’habitude si rapide, n’a pu en étudier un seul alors qu’on attend son avis sur chacun d’entre eux.
Inutile de s’acharner, elle jette l’éponge. Elle décroche le fixe, appelle Nathalie.
— Je m’en vais, annonce-t-elle. J’ai un rendez-vous chez le médecin.
— Vous revenez à quelle heure ?
— Je ne reviens pas.
— Ah ? s’étonne la secrétaire. Des consignes ?
— Aucune. À demain, Nathalie.
Elle éteint son ordinateur, enfile son manteau et s’enfuit. L’ascenseur s’ouvre, elle tombe nez à nez avec Martins et Pardieu en train de plaisanter.
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