Elle se met à étudier consciencieusement leur contenu. Des dossiers qu’elle connaît par cœur, des fournitures de bureau… Pas un seul objet personnel, à part une photo de sa charmante épouse et de sa fille. Près du cadre, il y a également un livre écorné, qui a dû être lu plusieurs fois. Cloé regarde son titre de longues secondes.
Les manipulateurs .
En le feuilletant, elle découvre que l’auteur explique qui sont les manipulateurs, quelles sont leurs méthodes. Un vrai guide pratique pour les reconnaître, les éviter.
Ou les imiter.
Elle remet le bouquin à sa place, parcourt des yeux le bureau. Plusieurs notes sur des Post-it. Des choses à ne pas oublier, des clients à rappeler…
En soulevant le calendrier qui lui sert de sous-main, elle découvre un autre Post-it, bien planqué. Un prénom et un nom qui ne lui disent rien. Ainsi qu’un numéro de portable.
Elle se hâte de recopier ces coordonnées sur un morceau de papier qu’elle glisse dans sa poche. Il est temps de quitter les lieux.
Cloé remet tout en ordre, récupère sa tasse de café. En ouvrant la porte, elle tombe nez à nez avec Philip et manque de basculer en arrière.
Il la considère avec étonnement, puis rapidement avec colère.
— Cloé… tu es bien matinale, dis-moi ! Puis-je savoir ce que tu fais dans mon bureau ?
— Je cherchais un dossier dont j’ai besoin.
— Et tu l’as trouvé ? demande-t-il en regardant ses mains vides. Si tu as besoin de quelque chose, il suffit de me demander.
Elle réfléchit à la vitesse de la lumière, son cœur refuse de se calmer.
— Le dossier Barbier.
— Il est aux archives. Et je te rappelle que je ne suis pas aux archives. Pas encore… Sors de mon bureau, maintenant.
— Pourquoi ça te dérange autant que j’y sois entrée ? contre-attaque Cloé. Tu as des choses à cacher ?
— Pas le moins du monde, ma chère. Mais tu perds ton temps.
— Je… je perds mon temps ? De quoi tu parles ?
— Tu ne trouveras pas la réponse à ta question en venant fouiller dans mes affaires. Si tu veux connaître ton avenir, va plutôt consulter une voyante ! balance-t-il en lui claquant la porte au nez.
Gomez file une tape sur l’épaule de Laval.
— À demain, petit branleur.
— À demain, patron. Et bonne soirée !
— Toi aussi. Embrasse ta télé pour moi.
— Très drôle ! bougonne le lieutenant.
Gomez ne rentre pas directement chez lui. Vu l’état de la circulation, il place le gyro sur le toit de sa voiture, actionne le deux tons et fonce à travers la ville.
Il a enfin trouvé ce qu’il cherche depuis des semaines. Ce qui fera plaisir à Sophie. Son sourire est si précieux… Il songe, une fois encore, au moment où elle s’éteindra, où la mort figera ses traits. Et la délivrera enfin de la douleur.
Il gare la voiture devant une petite boutique un peu triste. Livres anciens.
À l’intérieur, pas un seul client, à se demander comment le libraire parvient à boucler ses fins de mois.
— Bonsoir, je suis monsieur Gomez.
— Ah oui, je vous attendais !
Le commerçant saisit un volume placé sous la caisse, le pose devant le commandant.
— Voilà, c’est ce que vous cherchiez.
Gomez sourit béatement. Un livre épuisé depuis des lustres, jamais réédité. Un roman que Sophie a lu dans sa jeunesse et qui l’a marquée au fer rouge. Un roman qu’elle veut absolument relire avant de…
Il ne paye pas de mine, mais Gomez a l’impression de tenir un trésor inestimable entre ses mains. Il règle le libraire, demande un paquet cadeau et remonte dans sa voiture. Il pose le livre sur le siège passager avant de remettre la sirène.
Alexandre monte l’escalier en courant. Sûr de son effet, il a hâte d’offrir son présent à Sophie. Il avait promis qu’il le lui dégoterait. Et il tient toujours parole.
Il trouve Martine dans le salon, en train de feuilleter un de ces magazines people débiles qu’elle affectionne apparemment beaucoup.
— Bonsoir, monsieur. Parlez doucement, elle dort.
— D’accord, chuchote Alexandre. Ça a été, aujourd’hui ?
Martine hausse les épaules.
— Il a fallu de la morphine. Elle souffrait.
Le sourire de Gomez s’évanouit.
— Mais ça semble aller mieux, désormais. Je suis allée la voir il n’y a pas longtemps, elle dort profondément. Essayez de ne pas la réveiller.
— OK. Bonne soirée.
Il la raccompagne jusqu’à la porte, lui serre la main.
— À demain.
Un peu frustré de ne pouvoir donner son cadeau tout de suite, il décide d’aller le poser sur la table de chevet, afin qu’elle le trouve en se réveillant. À pas de loup, il entre dans la chambre. La veilleuse est allumée.
Une douce lumière éclaire le visage de Sophie. Elle est morte.
Elle a les yeux ouverts, fixe le plafond.
— Salut, ma beauté. Je croyais que tu dormais… J’ai une surprise pour toi !
Plus que quelques kilomètres et Cloé sera chez elle. Plus qu’une heure et demie et Bertrand la serrera dans ses bras. Il doit passer la chercher à 20 heures pour l’emmener dîner au restaurant.
Le manque de lui devient dangereux. Mais elle n’a pas la force, ni même l’envie, de résister à cette attraction. Tant pis pour l’éventuel prix à payer.
Car il y a forcément un prix à payer.
Dans les embouteillages, Cloé réfléchit. Elle a cherché une bonne partie de l’après-midi, mais le nom sur le Post-it n’est pas celui d’un client de la boîte.
C’est lui, j’en suis sûre. C’est Martins. Je ne sais pas comment, mais il est au courant que Pardieu va me faire nommer directrice et cherche à se débarrasser de moi. Et maintenant, il sait que j’ai des doutes sur lui. Ça peut le calmer ou…
La Mercedes quitte enfin l’autoroute pour entrer en ville. Circulation particulièrement dense, ce soir. Alors, Cloé décide d’emprunter l’itinéraire bis, par les bords de Marne. Plus long, mais plus dégagé. Enfin, elle peut enclencher la vitesse supérieure.
Une voiture vient soudain se coller derrière la sienne, Cloé est douloureusement éblouie.
— Tes phares, abruti ! vocifère-t-elle en abaissant le rétroviseur intérieur.
Le feu passe au rouge, elle s’arrête. Les phares sont toujours derrière.
— Quel con, ce mec !
Elle redémarre, tourne à droite pour s’engager dans un raccourci, dédale de petites rues bordées de pavillons. Les phares la suivent.
Cloé commence à transpirer. Sueurs froides qui coulent le long de sa nuque.
C’est lui. Aucun doute.
Elle accélère, lui aussi.
Elle tourne à gauche, lui aussi.
— Merde ! Merde…
Elle est tellement éblouie qu’elle ne parvient pas à distinguer la marque ou la couleur de la voiture. La seule chose qu’elle devine, c’est qu’il s’agit d’un 4 × 4 ou d’un fourgon, vu la hauteur des feux.
Le dessin sur le capot, la nuit dernière… Façon de l’avertir que sa voiture va se transformer en cercueil ?
— Reste calme ! murmure-t-elle. Reste calme…
Elle freine brusquement, stoppe la berline sur le bas-côté. Prête à redémarrer. Avec l’espoir que l’autre va la doubler et disparaître. Mais bien sûr, il s’arrête un mètre derrière elle.
Cloé vérifie que les portières sont verrouillées, attrape le portable dans son sac.
Appeler les flics. Vite.
Un choc la projette en avant, le téléphone lui échappe des mains. Son poursuivant vient de coller le pare-chocs de sa voiture contre celui de la Mercedes. Cloé cherche son téléphone, ne parvient pas à mettre la main dessus. Il accélère, la Mercedes se met à avancer même si Cloé garde le pied sur la pédale de frein.
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