— Et alors ? s’impatiente la jeune femme.
— Je savais que cette date ne m’était pas inconnue mais je n’arrivais pas à me souvenir pourquoi… Et cette nuit, je m’en suis rappelé. Je n’étais pas dans la région au moment de son enlèvement. Je peux te le prouver.
Lydia s’approche de la grille.
— Tu te fous de moi, c’est ça ? demande-t-elle d’une voix menaçante.
— Non ! jure Lorand. J’étais à Courchevel, cette semaine-là !
— Intéressant ! Et que faisais-tu à la montagne, mon cher Ben ? Un peu de ski, peut-être ?!
— Je… J’y suis resté une dizaine de jours, pour un boulot saisonnier… Un plan que m’avait trouvé un pote.
— Un boulot saisonnier, hein ?! Mais il me semble pourtant qu’en 1990, tu étais étudiant à la fac de Besançon…
— Exact ! Mais… J’ai séché les cours à la reprise des vacances de Noël pour me gagner un peu de fric. Et j’ai gardé la note de l’hôtel où j’étais hébergé…
— Tu es très conservateur ! raille Lydia. On garde rarement les factures d’hôtel pendant quinze ans !!
— C’est… C’est parce que cet endroit me rappelait quelqu’un…
— Qui ?
— Une fille…
— J’aurais dû le deviner !! Une de tes conquêtes, je présume ! J’ignorais que tu étais un grand sentimental…
— J’avais 20 ans, j’étais amoureux de cette nana… Mais pas elle.
— Oh ! L’irrésistible commandant Lorand s’est fait plaquer ?!
— Ouais, elle m’a largué, si tu veux savoir ! Et j’en ai été très malheureux…
— Ben voyons ! Quand cesseras-tu de me prendre pour une débile mentale ?
Il soupire. Mais s’acharne.
— Lydia, faut que tu me croies ! Tu ne voudrais pas sacrifier un innocent, n’est-ce pas ? Cette facture est dans le tiroir de mon secrétaire, à la maison… Dans un petit coffre en bois, avec d’autres choses, d’autres souvenirs. Je l’ai vue encore, il y a peu…
Lydia le fixe méchamment, désormais. La lionne ne va pas tarder à sortir ses griffes rétractables.
— C’est quoi encore, cette ruse ? Qu’est-ce que tu manigances, fumier ?
— Mais rien ! Je t’assure que cette facture existe et qu’elle se trouve chez moi ! Tu pourrais appeler Gaëlle et lui demander de te la remettre…
La jeune femme éclate de rire.
— De mieux en mieux ! Tu sais, je ne suis pas complètement stupide ! Tu crois que je vais appeler ta charmante épouse, lui donner rancard dans un salon de thé où m’attendront tes petits copains ?!
— Non ! Il suffit de lui téléphoner en numéro caché, de lui ordonner de déposer cette facture dans un lieu que tu fixeras… Si tu lui dis que je suis ton otage, elle ne tentera rien, j’en suis certain !
— Mon otage ? Tu n’es pas mon otage, Ben ! Tu es mon invité, voyons !
Il ferme les yeux. Conscient de son échec.
— A moins que tu ne sois mon esclave, murmure-t-elle.
Dans un effort méritoire, il se lève puis s’avance dangereusement vers la frontière interdite.
— Lydia, je t’en prie, accorde-moi une chance… Je n’ai pas tué ta sœur !
Ils sont face à face, à quelques centimètres de distance.
— Tes mensonges m’agacent, Ben… Tu vas pourrir ici ! Jusqu’à ce que tu me dises où tu as enterré Aurélia…
Lorand explose d’un seul coup.
— J’ai pas buté ta frangine ! hurle-t-il. Quand est-ce que tu vas te réveiller, putain !
Elle tourne les talons, récupère la matraque électrique posée sur une étagère. Mais Benoît ne recule pas. Reste à portée.
— Vas-y, tue-moi si ça te chante ! Mais jamais je ne pourrai t’offrir ce que tu attends de moi… Jamais tu ne pourras savoir où est ta sœur si tu t’acharnes à massacrer un innocent ! Je croyais que tu avais soif de justice, Lydia… Je te croyais intelligente !
Une décharge en pleine tête lui cloue le bec. Il s’effondre contre la grille, paralysé, groggy. Elle lui saisit le poignet gauche, l’attache à un barreau. Il reprend conscience au moment où elle ouvre la porte.
— Alors, tu veux jouer, c’est ça ?
— Non… Je veux que tu me croies… Je veux que… Nouvel électrochoc, en pleine poitrine. Nouvelle contraction généralisée, nouveau cri.
— À chaque fois que tu ouvriras la bouche pour prononcer un mensonge, la sanction tombera, explique-t-elle. Alors, tu as encore quelque chose à dire ?
— La preuve de… mon innocence… est chez moi… dans mon bureau…
Troisième décharge, il n’a même plus la force de crier. Met de longues minutes à recouvrer l’usage de la parole. Mais Lydia n’est pas pressée.
— Tout s’apprend, Ben… Tout. Et je vais t’apprendre à dire la vérité.
— Je… suis innocent…
Foudroyé, une quatrième fois. Elle s’accroupit pour descendre à hauteur de son visage. Il dégouline contre les barreaux, suspendu par son poignet entravé. Semble évanoui.
— Tu m’entends, Ben ?
Pas de réponse.
— Tu vas cesser de mentir, n’est-ce pas ?
Elle intercepte encore un mot, comme un râle. Innocent.
— Tu as la tête dure, dis-moi…
Cinquième électrochoc qui le tétanise entièrement. Elle patiente, mais il ne revient pas à lui. Pourtant, sur la notice, c’était écrit en toutes lettres. Arme de défense non létale.
Hôtel de police, 18 h 30
Gaëlle a indiscutablement les nerfs solides. Fabre et Fashani ont exercé leur talent inquisiteur sur elle depuis le matin. Sans aucun résultat. Impossible de lui faire cracher le morceau. De découvrir la destination de ces trois mille euros.
Elle n’a même pas essayé de mentir, s’est contentée de garder le silence.
Après une bonne heure dans les geôles de garde à vue, elle patiente à nouveau en salle d’interrogatoire. Mais ce ne sont pas ses tourmenteurs habituels qui poussent la porte.
Surprise… Éric Thoraize apparaît dans la pièce lugubre. Elle se précipite dans ses bras, s’accroche à lui avec désespoir. Son sauveur, sans doute.
Le lieutenant la réconforte en silence.
— Tu vas me sortir de là ? gémit Gaëlle.
Il la repousse doucement, la raccompagne jusqu’à sa chaise.
— Gaëlle… Ils te soupçonnent d’avoir payé quelqu’un pour éliminer Benoît…
— Je sais ! Mais c’est ridicule ! Tu ne vas pas les croire, tout de même ?!
— Non… Je ne pense pas que tu aies pu faire une chose pareille. Mais dans ce cas, il te suffit d’expliquer à quoi ont servi ces trois mille euros. Et si c’est vérifiable, tu seras relâchée.
Gaëlle se mure à nouveau dans le silence.
— Pourquoi tu ne veux pas nous le dire, hein ? questionne-t-il d’une voix douce.
Elle le fustige du regard.
— Ils t’ont envoyé pour faire le sale boulot ?! C’est ça ? Tu ne crois pas que tu devrais plutôt chercher Ben ?
Il baisse les yeux.
— J’ai des ordres, explique-t-il. Il faut qu’on sache comment tu as utilisé ce fric…
— Non. C’est privé.
— Gaëlle, sois raisonnable, je t’en prie…
— Va te faire foutre ! Si tu penses que j’ai pu tuer Benoît, c’est que tu es dans leur camp !
— Calme-toi, prie-t-il d’une voix un peu plus ferme. Je peux comprendre leur raisonnement. Ils ne te connaissent pas et ils savent que…
— Que je suis cocue, c’est ça ?
Thoraize hoche la tête.
— Et toi ? Tu le savais ? balance-t-elle.
Il soupire en guise de réponse.
— Tu le savais ?… Réponds !
— Disons que… que je connais bien Benoît… Alors oui, je savais des trucs…
— Parce qu’il s’en vantait au bureau ? C’est ce que tu essaies de m’expliquer ?
— Non… Mais lui et moi, nous sommes proches. Il lui arrivait de se confier à moi.
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