— Je vous interdis de dire ça ! contre-attaque Gaëlle. Vous croyez quoi ? Que je vais m’effondrer en pleurnichant ? C’est pas mon style ! Et je vous rappelle que Benoît n’est pas encore mort ! Il a disparu… Si vous vous décidiez enfin à faire votre boulot correctement, on l’aurait déjà retrouvé ! Et puis, j’ai Jérémy… Je ne peux pas me permettre de m’écrouler. Je dois continuer à vivre presque normalement pour ne pas le perturber encore plus.
— Bien sûr, madame Lorand. Je comprends.
Djamila allume une Gauloise, pose ses fesses sur le coin de la table.
— Ce que je comprends moins bien, c’est comment une femme telle que vous, avec un caractère bien trempé, peut avoir accepté des années durant que son mari la trompe…
— C’est pas vos affaires ! De quoi vous mêlez-vous ? Je ne vois pas en quoi notre vie de couple peut vous aider dans votre enquête !
— Ça, c’est toi qui le dis ! rétorque Djamila.
— Dois-je comprendre que vous me soupçonnez ? Que vous m’accusez d’avoir tué mon mari ?
Les deux flics la fixent, ne prenant pas la peine de répondre à une question qui semble subitement superflue. Gaëlle secoue la tête.
— Vous êtes complètement à côté de la plaque, ma parole !…
— C’est ce que nous allons vérifier, madame Lorand.
— Je suis en garde à vue ?
— Pas encore, assure Djamila. Pas encore…
— Vous êtes fous ! Pourquoi aurais-je tué Benoît, hein ?
— Peut-être parce qu’il t’a fait cocue un paquet de fois ! balance le capitaine.
— Et alors ? Je vous ai déjà expliqué que j’arrivais à l’assumer…
— Comment une femme peut-elle accepter que son mec s’envoie en l’air avec tout ce qui bouge ? continue Djamila.
Gaëlle se dresse d’un bond, s’approche dangereusement de sa rivale.
— Tu parles pour toi, salope ?!
— Eh ! Doucement ! ordonne Fabre. Asseyez-vous, madame ! Restons calmes…
— Comment voulez-vous que je reste calme, alors que cette pouffiasse me cherche ?! Je me demande comment Benoît a pu sauter cette…
Djamila saisit Gaëlle par son blouson.
— Ça suffit ! s’écrie le commandant. Si vous ne vous maîtrisez pas, je vous exclus de cet interrogatoire, capitaine !
Elle lâche Gaëlle, à contrecœur.
— En tout cas, votre réaction envers l’officier Fashani prouve s’il en était besoin que vous n’assumez pas si bien que ça les incartades de votre époux !
Gaëlle garde le silence, désormais.
— Répondez, madame Lorand…
Elle fixe Djamila bien en face et rétorque, d’une voix de glace.
— Je ne dis pas que l’infidélité chronique de mon mari m’a rendue heureuse. Je dis simplement que je lui pardonnais et que je lui pardonnerai encore. Parce que je l’aime passionnément et parce que je sais qu’il ne garde aucun souvenir des pétasses qu’il a baisées sur un coin de bureau ou dans une chambre d’hôtel pouilleuse… Moi, il m’aime. Il ferait n’importe quoi pour moi… Il ne peut pas se passer de moi. Alors que les putes trouvées sur le trottoir, il les oublie dès qu’il a remonté son froc…
Djamila est sur le point d’exploser. Fabre se positionne entre les deux harpies et desserre un peu son nœud de cravate. Pas évident de se concentrer dans ces conditions !
— Mais peut-être qu’une épouse qui accepte ça de son mari, ça vous choque, commandant ? Peut-être qu’on vient m’arrêter chez moi parce qu’on ne supporte pas ma façon d’aimer un homme ?
— Non… Chacun mène sa barque comme il l’entend. C’est très surprenant, cependant… Admettez-le !
— Je veux bien le reconnaître. Mais vous savez, monsieur, quand j’ai épousé Benoît, je savais à quoi m’en tenir. J’étais consciente qu’il ne me resterait pas fidèle longtemps. Aucune femme ne lui résiste, vous comprenez ? Il a un pouvoir de séduction exceptionnel… Avec lequel il joue, tel un virtuose… N’est-ce pas, capitaine ? Djamila piétine son mégot sur le sol. Décide de passer à l’attaque à son tour.
— Tu nous joues un bien joli numéro, Gaëlle ! Tu crois qu’on va croire à tes salades ? Tu as des cornes qui t’empêchent de passer les portes et tu penses qu’on va gober que tu l’acceptais par amour ? Si ton mari t’adorait tant que ça, il n’aurait pas besoin d’aller voir ailleurs ! Ou alors… C’est parce que tu ne lui donnes pas ce dont il a besoin… Peut-être que tu es complètement coincée au lit !
Fabre la remet à sa place d’un simple regard. Elle consent à se taire.
— Aucun problème à ce niveau-là ! assure Gaëlle avec un sourire à l’acide chlorhydrique.
— Madame Lorand, pouvez-vous nous expliquer pourquoi vous avez retiré trois mille euros d’un de vos comptes, le 9 décembre ?
Le visage de Gaëlle se fige, sa main droite se crispe sur la chaise.
— Trois mille euros en liquide, c’est une jolie somme, poursuit le commandant.
Elle ne répond toujours pas. Djamila enfonce le clou.
— Le 9 décembre, quatre jours avant la disparition de Benoît… Curieux, non ? Tu as payé quoi, avec ça ?
— Ça ne vous concerne pas. J’ai le droit de disposer de mon fric comme bon me semble !
— Sauf si cet argent sert à payer un tueur à gages, madame Lorand, assène Fabre.
Gaëlle le fixe, interloquée.
— Un tueur à gages ? Mais vous êtes malades… !
— À quoi a servi la somme ? répète Djamila en haussant le ton. Vas-y, explique !
— C’est pas vos oignons !
— Il serait plus sage de répondre, madame Lorand.
— Allez vous faire foutre ! Je rentre chez moi ! Cette mascarade a assez duré ! Vous feriez mieux de chercher Benoît !
— C’est ce qu’on est en train de faire ! rappelle Fabre. Gaëlle prend son sac, se dirige vers la sortie ; mais Djamila barre sa retraite.
— Vous ne quittez pas le commissariat, madame Lorand. Puisque vous êtes incapable de justifier de l’utilisation de ces trois mille euros, la situation se complique… Il est 9 h 20, vous êtes officiellement en garde à vue à compter de cette minute. Vous pouvez garder le silence, appeler un avocat ainsi qu’un proche…
— Espèces de salauds !
— Vous pouvez exiger de voir un médecin, continue le commandant. Veuillez enlever vos lacets, votre ceinture et votre écharpe.
— Vous n’avez pas le droit !
Djamila se colle contre elle.
— Ici, on a tous les droits.
Les lèvres de Gaëlle tremblent, ses yeux pastel débordent de poison.
— Quand Benoît apprendra ce que vous m’avez fait subir, il vous le fera regretter… Soyez-en sûrs.
Lydia redescend dans l’arène après son copieux déjeuner.
Elle a un appétit démesuré, ces derniers temps. Peut-être mange-t-elle pour deux ?! Derrière les grilles, Benoît ne bouge pas. Allongé par terre, face au mur, enroulé dans la couverture. Elle s’amuse à caresser les barreaux avec sa barre de fer. Il se redresse, dans un sursaut violent.
— Salut, Ben… Je vois que tu es toujours vivant, c’est bien !
Il s’adosse au mur, replie ses jambes. Elle constate non sans plaisir que son bras droit est totalement paralysé.
— Tu as bien dormi ?
— Lydia… J’ai quelque chose d’important à te dire.
— Ah oui ? J’ai hâte d’entendre ça !
Elle s’assoit sur la chaise, lâche son arme qui percute le sol dans un écho métallique.
— Je t’écoute, chéri !
— Voilà… Je peux te prouver que je n’ai pas tué Aurélia.
Les lèvres de Lydia se pincent, son front se ride. Elle s’allume une cigarette.
— Tu pars mal, Ben… Prends garde : ma bonne humeur pourrait s’envoler.
— Écoute-moi, je t’en prie… ça fait des jours et des jours que je pense à cette date… Celle où Aurélia a disparu. Le 6 janvier 1990.
Читать дальше