Son pouvoir est là. Dans son art de mentir, de manipuler les gens… Mais moi, il ne m’aura pas. Je l’obligerai à parler, par n’importe quel moyen. Parce que moi, je sais.
Parce que j’ai une mission. Parce que la moitié de moi-même est enterrée, quelque part. Et qu’elle m’attend.
Commissariat de Besançon, 10 heures
L’interrogatoire de Gaëlle reprend. C’est Fabre qui s’y colle. Seul. Il préfère ne plus confronter les deux rivales qui vont finir par s’étriper.
En plein commissariat, ça ferait désordre.
Il est plutôt de mauvais poil. Parce que cette femme en apparence fragile lui tient tête depuis la veille. Mais aussi parce que le big boss lui a sévèrement remonté les bretelles ce matin. À peine avait-il mis un pied dans son bureau, que Moretti, tout juste revenu de ses deux jours de repos, a débarqué pour lui passer un savon mémorable. Pour lui dire qu’il faisait fausse route avec Gaëlle, qu’il perdait son temps. Que Paris lui avait envoyé un incapable et qu’il allait le leur signifier sans délai. Mais Fabre a tenu bon. A refusé de libérer Gaëlle, suivant ainsi les ordres du procureur. Moretti n’est pas vraiment son supérieur hiérarchique, ici. C’est peut-être ce qui le contrarie autant, d’ailleurs !
Quoi qu’il en soit, cette enquête commence sérieusement à lui crêper les nerfs. Pourtant, c’est d’une voix posée qu’il balance la première question.
— Alors, madame Lorand, cette nuit en cellule vous a-t-elle permis de réfléchir ?
Elle porte les traces de la geôle ignoble sur son délicat visage de porcelaine. Ses yeux cernés, son teint blafard, témoignent de l’insomnie endurée. Néanmoins, elle se tait. Résiste encore.
— J’ai une mauvaise nouvelle pour vous, poursuit le commandant. Le procureur a autorisé la prolongation de votre garde à vue. Nous pouvons donc vous garder jusqu’à demain matin…
— Espèce d’enfoiré… !
— Restez polie, ça vaudra mieux. Et dites-moi ce que je veux savoir.
— Je ne suis pour rien dans la disparition de Benoît. C’est tout ce que j’ai à vous dire !
Il cale les mains au fond des poches de son pantalon en velours côtelé. Décrit des cercles de plus en plus serrés autour de la table. Pour étouffer lentement sa proie.
— Pourquoi avoir retiré trois mille euros de votre livret, madame ?
— C’est mon fric, j’en dispose comme je l’entends…
— Absolument. Dites-moi seulement la destination de cet argent… Et après vérification, je vous laisse partir.
Elle replonge dans le mutisme. Fabre soupire, vient se rasseoir en face d’elle.
— Vous croyez quoi ? Que vous allez vous taire et qu’on vous libérera demain ? Ça ne marche pas comme ça, madame Lorand ! Si vous vous obstinez à garder le silence sur ce point, vous donnez au procureur une bonne raison de vous mettre en examen… Si vous n’avez pas parlé dans vingt-quatre heures, vous serez déférée devant un juge. Et là, les ennuis commenceront vraiment, croyez-moi !
— Allez vous faire foutre !
— Avez-vous payé quelqu’un pour vous débarrasser de votre mari ?
— Vous pensez qu’avec trois mille euros, on paie un tueur à gages ? ironise Gaëlle. C’est la saison des soldes ou quoi ?!
— Disons que… On peut lui proposer trois mille avant l’exécution et trois mille après… Oui, six mille euros, ça peut suffire à payer un tueur.
— Je n’ai pas tué Benoît ! Et je n’ai embauché personne pour l’éliminer à ma place ! D’ailleurs, Ben n’est pas mort. S’il l’était, je le saurais… Il est vivant, j’en suis certaine.
Elle lui colle le journal sous le nez.
DISPARITION DU COMMANDANT LORAND : SON ÉPOUSE EN GARDE À VUE AU COMMISSARIAT DE BESANÇON.
— Tu vois, je ne t’ai pas menti, Ben…
— Tout ça, c’est de ta faute ! crache-t-il.
— Ah non ! C’est de ta faute, Benoît ! N’inverse pas les rôles… Remarque, peut-être bien que les poulets ont raison… Peut-être bien que c’est ta femme qui m’a envoyé les lettres !
— Non, c’est pas elle !
— Ça te ferait mal, pas vrai ? De savoir que tu as été trahi par ta propre épouse… Que ta tendre Gaëlle t’a balancé !
— Elle ne peut pas m’avoir balancé vu que je suis innocent !
— Voilà un mot que je vais te faire oublier, prévient Lydia. Un mot que tu n’auras plus l’impudence de prononcer…
Elle effleure sa joue, il détourne un peu vivement la tête, s’inflige une douleur brutale à l’épaule.
— Tu trembles, Ben… Tu as froid sans doute… Ou alors tu as les jetons !
Il ne prend pas la peine de répondre, continue à fixer le sol crasseux.
— Tu as sans doute soif, aussi. Et puis faim. Sans parler de la douleur… Je ne voudrais pas être à ta place !
Il enfonce à nouveau son regard dans le sien. Remarque qu’elle a un léger coquard. Le coup de tête qu’il lui a filé avant de s’enfuir, sans doute. Il lui en collerait bien un deuxième. Juste pour le plaisir. Il songe aux représailles encourues, ça calme immédiatement ses ardeurs. Quoique… Elle doit avoir les clefs sur elle. Celles de la cage et celles des menottes. S’il parvenait à l’assommer, il pourrait peut-être se libérer et l’enfermer à son tour… Un frisson de plaisir trottine le long de sa colonne vertébrale, rien qu’à l’idée. Peut-être même qu’il s’occuperait d’elle, avant d’appeler ses potes… Quelques secondes durant, il l’imagine à sa merci. Ça lui procure une nouvelle jouissance cérébrale et physique.
Il essaie de bouger son bras droit, la sanction est immédiate. La douleur lui coupe le souffle, le ramenant brutalement dans la sordide réalité.
— Si tu consens à avouer, toute cette souffrance peut s’arrêter, rappelle Lydia. Tu m’as déjà expliqué comment tu l’as tuée, quelles horreurs tu lui as fait subir… Si tu me révèles où elle se trouve, je te promets de t’achever. Rappelle-toi, Ben : la mort lente ou la mort rapide… C’est ta seule et unique alternative.
— J’ai avoué parce que j’avais peur pour ma famille ! Parce que j’ai craqué ! Mais j’ai menti, Lydia ! Menti !
— C’est maintenant que tu mens…
— Non ! Tu as le moyen de vérifier ! Il te suffit d’aller récupérer la preuve ! Gaëlle est au commissariat, tu peux entrer chez moi sans risque !
— Tu m’agaces, Ben, soupire-t-elle. J’ai pas envie d’écouter tes boniments… Oui, tu m’ennuies… Et je déteste m’ennuyer…
Elle se poste devant lui, descend à sa hauteur.
— Alors je vais m’occuper… de toi.
Elle arbore son joli sourire de garce.
Il tente le tout pour le tout, se concentre. Lui flanque son poing droit dans la mâchoire. Elle perd l’équilibre, part en arrière dans un cri, reçoit alors un violent coup de pied en pleine tête.
Benoît n’en croit pas ses yeux, reste ébahi quelques secondes : la lionne est à terre. Elle ne bouge plus. Il se met à genoux, serre les dents et allonge son bras. Il a l’impression de s’arracher l’épaule. Sa main tremble comme une feuille. Mais Lydia est tombée trop loin.
— Merde !
Il se rassoit, essaie de ramener le corps inanimé vers lui à l’aide de ses jambes. Exercice difficile. Enfin, en y mettant ses dernières forces, il parvient à l’approcher suffisamment pour la fouiller. La souffrance qu’il inflige à sa blessure est intolérable. Mais il ne renonce pas. Pourtant, ses efforts sont vains. Les poches de sa geôlière sont désespérément vides.
— Putain, mais c’est pas vrai ! peste-t-il.
Lydia, qui lui tourne le dos, ouvre un œil. Sa tête ressemble à un ballon de rugby. Mais elle se redresse quand même et tente de s’éloigner. Benoît la plaque au sol, elle se débat. Finit par lui mordre la main. Lorand hurle, la lâche enfin.
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